Le pape François poursuit sa visite au Canada, qu'il a lui-même qualifiée de pèlerinage pénitentiel. Lors de cette deuxième étape dans la province de Québec, le pape a rencontré les autorités canadiennes, a célébré une messe pour les autochtones et d'autres pèlerins dans un sanctuaire à Beaupré, et a tenu des vêpres avec le clergé et les agents pastoraux. Aujourd'hui, il termine sa visite dans cette province largement francophone et s'envole pour Iqaluit.
Masterclass sur la doctrine sociale
Le pape a d'abord écouté le premier ministre Justin Trudeau, puis la gouverneure générale inuite Mary Simon (représentant la reine Elizabeth II et assise à la droite du pontife - au cœur du Québec autonomiste).
François a donné un cours magistral sur la doctrine sociale de l'Église. C'était le 27 juillet à 17 heures, avant que Bergoglio ne plonge avec sa papamobile dans un bain de foule - les milliers de passionnés qui le suivent sur un écran géant dans le parc historique des plaines d'Abraham (où en 1759 les Anglais ont finalement vaincu les Français). Le discours du chef d'État du Vatican a été prononcé dans une atmosphère protocolaire. Il était clair que le pape avait fait ses devoirs. Il voulait s'inspirer du symbole canadien par excellence, la feuille d'érable.
Déjà "les peuples autochtones extrayaient la sève des érables dont ils faisaient des sirops nutritifs. Dans leur ardeur au travail, ils étaient attentifs à sauvegarder la terre et l'environnement, fidèles à une vision harmonieuse de la création... qui apprend à l'homme à aimer le Créateur et à vivre en symbiose avec les autres êtres vivants. Il y a beaucoup à apprendre de leur capacité à écouter Dieu, les gens et la nature. Nous en avons besoin ... dans le ... tourbillon actuel ... caractérisé par une constante "accélération" qui entrave un développement véritablement humain, durable et intégral (voir Laudato si'18), générant finalement une "société de la lassitude et de la désillusion", qui a besoin de contemplation, du goût authentique des relations".
"Les grandes feuilles d'érable ... absorbent l'air pollué et restituent l'oxygène, elles s'émerveillent de la beauté de la création et ... les valeurs saines présentes dans les cultures indigènes sont une inspiration pour nous tous et peuvent nous aider à guérir les habitudes néfastes d'exploitation ... de la création, des relations, du temps."
Il s'est excusé pour la énième fois, déplorant les politiques passées d'assimilation, de désengagement et de déculturation (le néologisme est de moi). Il a répété qu'"il est tragique que certains croyants, comme cela s'est produit au cours de cette période historique, ne se conforment pas à l'Évangile mais aux convenances du monde. C'était un système déplorable promu par les autorités gouvernementales de l'époque" et non par les églises catholique, anglicane et presbytérienne (on comprend).
En outre, le professeur de philosophie politique a fait deux remarques. Premièrement, les chrétiens ont aussi fait beaucoup de bien. La foi a joué un rôle essentiel dans la formation des plus grands idéaux canadiens. Deuxièmement, que les autorités d'aujourd'hui peuvent pécher de la même manière. Bien sûr, il a dit tout cela de manière très diplomatique, mais il est bien connu que l'index pointe le majeur, l'annulaire et l'auriculaire.
Citant sa bien-aimée Cher AmazoniaLe professeur a donné une leçon aux personnes présentes, accusatrices du passé, sur la colonisation idéologique actuelle. Aujourd'hui, "les colonisations idéologiques ne manquent pas, qui ... étouffent l'attachement naturel aux valeurs des peuples, en tentant de déraciner leurs traditions, leur histoire et leurs liens religieux. Il s'agit d'une mentalité qui prétend avoir surmonté "les pages sombres de l'histoire".
Par exemple, au Québec, on parle souvent de la grande noirceur avant 1960. Cette mentalité donne naissance à la culture de l'annulation, qui juge le passé uniquement en fonction de quelques catégories actuelles. C'est ainsi que s'installe une mode culturelle qui uniformise tout et ne tolère pas les différences, qui se concentre uniquement sur le moment présent, sur les besoins et les droits des individus : elle néglige les devoirs envers les plus faibles et les plus fragiles : les pauvres, les migrants, les personnes âgées, les malades, les enfants à naître ! Le Canada est le seul pays au monde, à ma connaissance, qui ne réglemente pas l'avortement, c'est-à-dire qui laisse libre cours à la loi de la jungle sur cette question. Non seulement cela, mais elle se targue d'exporter l'avortement, et donc de coloniser. Le pape a insisté sur le fait que ces faibles sont oubliés par les sociétés d'aide sociale et que "dans l'indifférence générale, ils sont jetés comme des feuilles sèches à brûler".
En outre, de même que chaque feuille d'un arbre est essentielle au feuillage riche et multicolore de la forêt, de même la société ne doit pas être uniforme mais ouverte et inclusive. Chaque famille est la cellule fondamentale de la société et l'avenir de l'humanité se forge dans la famille. Cependant, elle est menacée par toutes sortes de facteurs. "Que le mal dont ont souffert les peuples indigènes, et dont nous avons honte aujourd'hui, nous serve d'avertissement aujourd'hui, afin que les soins et les droits de la famille ne soient pas mis de côté au nom des besoins productifs éventuels et des intérêts individuels".
La feuille d'érable a tout de même donné au pape l'occasion de faire des conférences sur l'environnementalisme (le Canada obtient une note très élevée, dit-il) et sur la folie de la guerre et la nécessité du désarmement (note plus basse peut-être) : "Nous n'avons pas besoin de diviser le monde en amis et en ennemis, de prendre nos distances et de nous armer jusqu'aux dents : ce n'est pas la course aux armements ou les stratégies de dissuasion qui apporteront la paix et la sécurité." Dans un tweet, M. Trudeau a indiqué qu'il avait parlé hier avec le pape et son secrétaire d'État Pietro Parolin de questions telles que l'Ukraine et l'insécurité alimentaire. Le gouvernement du Parti libéral de Trudeau donne parfois l'impression de suivre les sondages. C'est aussi ce qu'a dit le Pape : "La politique ne peut pas rester prisonnière des intérêts partisans. Nous devons savoir regarder, comme l'enseigne la sagesse indigène, les sept générations à venir, et non pas l'opportunité immédiate, les échéances électorales ou le soutien de la lobbies. Et aussi pour valoriser le désir de fraternité, de justice et de paix de la jeune génération". Il a rappelé que l'Église catholique prend soin des plus fragiles et se met au service de la vie humaine dans toutes ses étapes, de la conception à la mort naturelle.
Pèlerinage à Sainte-Anne-de-Beaupré
En 1658, le navire de quelques marins bretons a coulé au large des côtes de la Nouvelle-France, l'actuel Québec. Ils promirent à Sainte Anne que s'ils étaient sauvés, ils lui construiraient une chapelle, ce qui fut à l'origine de l'actuelle basilique, construite au siècle dernier. Les indigènes sont immédiatement tombés amoureux de la grand-mère de Jésus, et ce matin, le pape lui a jeté un très long regard, comme un petit-fils dévoué. Alors qu'il le faisait depuis son fauteuil roulant à la fin de la messe de réconciliation, une femme indigène est spontanément montée sur l'autel et a placé son petit garçon visiblement déformé dans ses bras. Moment emblématique.
Omnes s'est entretenu aujourd'hui avec deux pèlerins qui ont visité la basilique pour la première fois, tous deux venus de la province de l'Ontario en voiture pendant plus de dix heures. Tiffany Taylor, une jeune assistante sociale d'origine ojibway, s'y est rendue avec une douzaine d'autochtones d'une réserve de la ville de Sudbury, dont aucun n'était catholique. "Ma langue est préservée mais je ne la parle pas. Elle est désormais enseignée dans les écoles, même aux non-natifs. Près de chez nous, il y avait un pensionnat catholique. Ça me fait mal ce que mes ancêtres torturés ont souffert." Soixante-dix % des personnes présentes à l'intérieur de la basilique étaient des autochtones. Des milliers d'autres, munis de billets gratuits mais difficiles à obtenir, se sont rassemblés à l'extérieur.
Le père Scott Giuliani, SOLT, est missionnaire canadien au Belize depuis 2014. Il s'est rendu à Sainte-Anne depuis les environs de Toronto. "Ces dernières années, on a constaté une influence croissante dans la région des Caraïbes de la part des pays riches qui poussent à introduire des valeurs étrangères à la population. Nouvelles définitions des droits de l'homme fondées sur une nouvelle anthropologie, et non sur le droit naturel. L'idéologie du genre et la pression exercée pour modifier la législation locale sont des exemples de la colonisation idéologique qui s'y déroule. Cette intrusion d'idées cause beaucoup de dommages à la culture. Au Belize, le gouvernement canadien a utilisé une partie de son aide étrangère pour exporter des valeurs idéologiques".
Le Pape, en prêchant, a noté que son homélie pourrait être intitulée : "De l'échec à l'espérance". Il a commenté l'épisode de la fin de l'Évangile de Luc dans lequel deux disciples désabusés de Jésus s'échappent de Jérusalem. Il a dit que le Christ résout nos tragédies par son mystère pascal. C'est la seule façon d'avancer dans des situations telles que la colonisation historique des peuples indigènes. Le ressentiment ne guérit pas. Nous devons éviter de nous accuser mutuellement, comme Adam et Eve après avoir péché, ou d'avoir une discussion stérile, comme les deux marcheurs. La seule issue, pour qu'il y ait une vraie réconciliation, est celle que Jésus explique à ses deux disciples. Le Christ nous donne un moyen de sortir du labyrinthe de notre histoire. L'Eucharistie guérit. Emmaüs montre la tentation de la fuite - qui est une fuite, pas une résolution. Jésus est venu pour marcher avec nous.
"Il n'y a rien de pire face aux revers de la vie que de les fuir. C'est une tentation de l'ennemi, qui menace notre cheminement spirituel et celui de l'Église ; il veut nous faire croire que la défaite est définitive, il veut nous paralyser par l'amertume et la tristesse, nous convaincre qu'il n'y a rien à faire et qu'il ne vaut donc pas la peine de trouver un moyen de recommencer".
"Nous qui partageons l'Eucharistie dans cette basilique pouvons aussi relire de nombreux événements de l'histoire. À cet endroit précis, il y avait déjà trois églises, mais aussi des personnes qui n'ont pas reculé devant les difficultés, et qui ont été capables de rêver à nouveau malgré leurs erreurs et celles des autres. Ainsi, lorsqu'un incendie a dévasté le sanctuaire il y a cent ans, ils ne se sont pas laissés abattre, construisant cette église avec courage et créativité. Et tous ceux qui partagent l'Eucharistie depuis les proches Plaines d'Abraham (par écran géant), peuvent également percevoir l'esprit de ceux qui ne se sont pas laissés kidnapper par la haine de la guerre, de la destruction et de la douleur, mais qui ont su projeter une ville et un pays à nouveau". Il désigne la ville de Québec et le pays du Canada, construits pacifiquement depuis 1759.
Injection d'optimisme pour les évêques et les prêtres
Enfin, aujourd'hui, dans la cathédrale Notre-Dame de Québec, le pape a mis le doigt sur le plus grand obstacle à la réévangélisation du Canada - et surtout du Québec, autrefois bastion du catholicisme depuis sa fondation explicitement missionnaire en 1608 jusqu'aux années 1960. François a prononcé une homélie pendant les vêpres devant près d'une centaine d'évêques, de nombreux prêtres et d'autres personnes, et leur a parlé de la laïcité. Il n'est pas vrai que tous les temps passés étaient meilleurs.
Le Pape a rappelé qu'il s'agissait de la cathédrale du siège primat du Canada, dont le premier évêque, St François de Laval, a ouvert le Séminaire en 1663. Il leur a parlé de la responsabilité du pastorat et de l'évangélisation, qui apporte toujours de la joie. Il n'y a pas besoin d'être des fonctionnaires du sacré. Il les a encouragés à prêcher un Jésus vivant de manière vivante, à être des témoins crédibles, à éviter à tout prix une tentation diabolique très actuelle : celle du pessimisme négatif. La mondanité est mauvaise mais le monde est bon. Il a parlé d'humilité, et d'une manière particulière de fraternité.
La première chose est de "faire connaître Jésus". Dans les déserts spirituels de notre temps, générés par le sécularisme et l'indifférence, il est nécessaire de revenir à la première proclamation". Il a cité le philosophe montréalais Charles Taylor : la sécularisation est "l'occasion de recomposer la vie spirituelle sous de nouvelles formes et aussi pour de nouvelles façons d'exister".
"De cette façon, poursuit Bergoglio, alors que le regard discernant nous fait voir les difficultés que nous avons à transmettre la joie de la foi, il nous stimule à redécouvrir une nouvelle passion pour l'évangélisation, à chercher de nouveaux langages".
Il a conclu comme suit. "S'il vous plaît, ne nous enfermons pas dans la 'régression', allons de l'avant avec joie ! Mettons en pratique ces mots que nous avons adressés à Saint François de Laval :
Vous étiez l'homme du partage, visiter les malades, vêtir les pauvres, lutter pour la dignité des peuples autochtones, soutenir les missionnaires en détresse, toujours prompt à tendre la main à ceux qui étaient moins bien lotis que vous. Combien de fois vos projets ont été brisés, mais toujours, vous les remettez sur leurs pieds. Vous aviez compris que l'œuvre de Dieu n'est pas faite de pierre, et cela, dans ce pays de découragement, un bâtisseur d'espoir était nécessaire.
Je vous remercie pour tout ce que vous faites et vous bénis de tout mon cœur. Veuillez continuer à prier pour moi". Une ovation très émouvante a suivi.