Dans le Angelus du 18 décembreLe pape François a appelé à une solution à la situation dans le corridor de Lachin, seul point de contact entre le Haut-Karabakh (ou Artsakh, selon son ancien nom arménien) et l'Arménie.
Le blocage du corridor par certains militants menace de provoquer une tragédie humanitaire, tandis que les manœuvres dans le corridor, et dans le Haut-Karabakh en général, soulèvent depuis longtemps des questions sur l'avenir de l'héritage chrétien de la région.
Cependant, cet appel avait aussi une autre signification. C'est un appel qui est venu au secours d'une Église "sœur", la Église apostolique arménienneet le patriarche Karekin II, qui a rencontré plusieurs fois le pape François et l'a accueilli en Arménie en 2016.
Dans la dernière rencontre entre les deux C'est en octobre 2021 que Karekin II a été accompagné par le responsable des droits de l'homme pour dénoncer les crimes qui se déroulent dans la région. Les contacts sont toutefois fréquents, et l'appel lancé il y a cinq jours aux dirigeants de toutes les Églises sœurs n'est certainement pas passé inaperçu auprès du pape François.
L'épisode est digne d'intérêt car il raconte comment le pape François mène l'œcuménisme. Plusieurs fois, il a rappelé en souriant une vieille plaisanterie selon laquelle si tous les théologiens étaient mis sur une île, l'œcuménisme suivrait immédiatement. Mais le pape a poursuivi en disant que la théologie est effectivement utile au dialogue œcuménique. Il préfère toutefois se concentrer sur autre chose : sur les gestes de proximité et d'amitié personnelle.
Cadeaux œcuméniques
Ce qui est certain, c'est que tout le pontificat du pape François est parsemé de "cadeaux œcuméniques". La semaine dernière, trois pièces du Parthénon conservées dans les musées du Vatican ont été restituées à la Grèce, directement à l'archevêque orthodoxe Ieronymos, que le pape avait rencontré il y a un an lors de son voyage dans le pays.
Auparavant, le 29 juin 2019, le pape François a soudainement décidé de faire don d'une relique de saint Pierre au patriarche œcuménique de Constantinople Bartholomée.
Et puis il y a le oecuménisme des reliques. Le plus grand exemple est la relique de saint Nicolas prélevée sur le corps du saint à Bari et apportée à la vénération des fidèles en Russie en 2017. Toujours en 2017, ce sont les reliques de saint Philippe qui ont été envoyées à Smyrne, au patriarcat œcuménique de Constantinople.
La tunique sanglante de Thomas Beckett, l'évêque anglais assassiné par l'épée dans la cathédrale de Canterbury, a été prêtée à l'Église anglicane et de St Mary Major rendue à Canterbury en 2020, à l'occasion des célébrations du 850e anniversaire du martyre d'Albion. Toujours en 2020, le pape François a fait don des reliques de saint Clément et de saint Potitus au patriarche Néofit de Bulgarie.
Ce sont tous des gestes destinés à encourager les gestes de détente avec les Églises sœurs. En fait, le pape François laisse la tâche de définir les questions théologiques à la Commission européenne. Dicastère pour la promotion de l'unité des chrétiens. En général, il s'appuie sur les rencontres, sur les relations personnelles, pour aboutir à un œcuménisme pratique qui montre des églises sœurs travaillant ensemble.
Les voyages œcuméniques du pape François
Une partie de cette stratégie est le "voyage œcuménique" prévu de longue date pour Sud-Soudanoù il sera rejoint par l'archevêque de Canterbury Justin Welby, le primat anglican et le modérateur de l'Église d'Écosse Iain Greenshields. Le pape François sera au Soudan du Sud les 4 et 5 février 2023, au terme d'un voyage qui le conduira en République démocratique du Congo du 31 janvier au 3 février.
Le voyage était prévu depuis un certain temps, et les relations avec le primat anglican Welby s'étaient resserrées à l'approche du voyage. Le 11 avril 2019, Mgr Welby était également présent à la réunion de prière pour les autorités civiles et politiques sud-soudanaises voulue par le pape François au Vatican.
C'était l'époque d'avant la pandémie, et le pape François avait prévu pas moins de deux voyages œcuméniques en 2020. En plus de celui au Sud-Soudan, un voyage plus long en Grèce a également été prévu, sur les traces de St Paul, avec l'aide de la Commission européenne. Patriarche Bartholoméequi a toujours montré sa proximité avec le Pape François, à ses côtés.
En raison de la pandémie, le voyage en Grèce n'a pas pu avoir lieu comme prévu en 2020. Lorsqu'elle a eu lieu en décembre 2021, les conditions étaient différentes, et il a été décidé de faire un voyage avec un arrêt à Athènes et un rapide détour à Lesbos, où le pape s'était déjà rendu.
Toutefois, le fait qu'elle ait été réalisée en dit long sur la direction que le pape François souhaite donner au dialogue œcuménique. Il suffit de dire que la plupart des nations que le pape François a visitées en Europe sont à majorité orthodoxe : en 2019, c'était la Bulgarie, la Macédoine du Nord et la Roumanie. En 2021, Chypre et la Grèce.
Une visite en Serbie est maintenant prévue, qui a également été proposée pour une rencontre entre le pape François et le patriarche Kirill de Moscou. Terrain difficile en raison de l'opposition du patriarcat orthodoxe local à la canonisation du cardinal Aloizije Stepniac, archevêque de Zagreb pendant les années de la Seconde Guerre mondiale, considéré par les orthodoxes comme un collaborateur des nazis - à cet effet, le pape a également mis en place une commission catholique orthodoxe qui n'a pas abouti à des conclusions définitives.
En outre, des voyages ont été effectués dans des pays à majorité protestante. En Suède en 2016, le pape François est allé marquer le 500e anniversaire de la Réforme protestante, en lançant une déclaration commune entre Caritas Internationalis et Lutheran World Service.
Sans oublier la visite du pape François en Suisse, d'abord au Conseil œcuménique des Églises, puis à Bossey en 2018, soulignant à nouveau la volonté d'être présent.
Les relations avec le Patriarcat de Moscou
Il n'est donc pas surprenant que le pape recherche les rencontres personnelles plutôt que les grands discours. Il s'est entretenu avec son "cher frère" Bartholomée lors de son dernier voyage à Bahreïn en novembre 2022 et lors de son voyage au Kazakhstan en septembre 2022. Et il n'est pas surprenant que les pays qui s'efforcent le plus de montrer leur engagement en faveur du dialogue et de se débarrasser d'une image difficile (le Kazakhstan et le Bahreïn, mais aussi les Émirats arabes unis et l'Irak) aient toujours invité le pape à des rencontres interreligieuses où il peut également avoir des "bilatérales œcuméniques".
Depuis son voyage au Kazakhstan En septembre 2022, le pape François a également rencontré le métropolite Antonij, qui dirige le département des relations extérieures du Patriarcat. Le patriarche Kirill, qui avait confirmé sa participation puis annulé à la dernière minute, devait être présent. Avec Antonij, il était question d'une éventuelle deuxième rencontre entre le patriarche et le pape, prévue en juin en Terre Sainte, qui a ensuite été annulée et rendue difficile également par les déclarations du pape François, qui - en parlant de la vidéoconférence qu'il a tenue avec Kirill en mars de cette année - avait laissé entendre qu'il avait ordonné au patriarche : " Nous ne sommes pas des clercs de l'État ".
La possibilité d'une rencontre s'est donc évanouie, avec en toile de fond une guerre en Ukraine qui a vu le patriarche prendre des positions très claires en faveur de la guerre, tandis que le cardinal Koch, préfet du dicastère pour la promotion de l'unité des chrétiens, n'a pas hésité à définir certaines de ces positions comme "hérétiques".
Mais pour le pape, la rencontre doit avoir lieu, sur le modèle de celle de février 2016 à La Havane. Le contexte de la guerre en Ukraine rend tout plus difficile, y compris l'évaluation de l'éventuelle déclaration finale. Le thermomètre de la les relations entre l'Église orthodoxe russe et l'Église catholique pourront se rendre compte de la situation en février : l'habituelle réunion commémorative annuelle aura-t-elle lieu à La Havane ? Et sous quelle forme ? Cela reste à voir.
Réconciliation œcuménique en Ukraine
Entre-temps, une autre possibilité pourrait également exister sur le front ukrainien, où il existe depuis 25 ans un Conseil panukrainien des églises et des organisations religieuses représentant les 95% de l'Union européenne. mosaïque religieuse d'Ukraine.
Le conseil, qui est également très actif dans le soutien à la population locale, a écrit une lettre au Pape, demandant la possibilité d'une rencontre, et sa visite à Rome devrait avoir lieu en janvier, pendant la Semaine pour la promotion de l'unité des chrétiens.
Ce serait une visite importante, une façon de rechercher la paix également par le dialogue œcuménique. Mais il s'agirait aussi d'une visite qu'il faudrait bien calibrer, dans les rencontres, les manières et les termes, en gardant à l'esprit que l'Ukraine est aussi un champ de bataille œcuménique. Là-bas, en effet, la déclaration d'autocéphalie (autonomie) de l'Église orthodoxe ukrainienne en 2019 avait déclenché ce qu'on appelle le "schisme orthodoxe".
L'autocéphalie avait été accordée par Bartholomée, le premier du Synaxe des Églises orthodoxes, mais avait provoqué la vive protestation du Patriarcat de Moscou, qui s'était également retiré de tous les organes coprésidés par le Patriarcat de Constantinople, y compris la Commission théologique orthodoxe-catholique.
Moscou considère l'Ukraine comme son territoire canonique et, entre autres, l'autocéphalie a été perçue précisément comme un éloignement supplémentaire de l'Ukraine de la Russie, ce qui a également influencé le récit russe sur la guerre actuelle.
En définitive, tout dépendra de la manière dont les choses se dérouleront. Le pape François poursuit son idée de la culture de la rencontre, laissant le débat aux théologiens. Cela suffira-t-il ?