"Adorote devote, latens deitas.../ Te adoro con devoción Dios escondido"... L'hymne liturgique de saint Thomas d'Aquin, ainsi que d'autres comme le "Pange lingua" répété, continue de résonner dans nos églises après de nombreux siècles. Il n'est pas le seul, saint Bonaventure, saint Jean d'Avila, sainte Marie-Micaël, fondatrice des Adorateurs, et tant d'autres, enflammés par l'amour divin, transforment leurs études théologiques de haut niveau en poésie ou en essais et continuent à soutenir la foi de l'Église catholique en la présence réelle du Christ dans l'Eucharistie. Jean-Paul II et son encyclique "Ecclesia de Eucharistia" (2003), suivi par Benoît XVI qui, dans son exhortation apostolique "Sacramentum caritatis" (2007), reprend le flambeau pour gloser sur une vérité centrale de son pontificat, le don que le Christ fait de lui-même en nous révélant son amour infini pour chaque homme. Un amour qui permet aux simples mortels de devenir ce qu'ils reçoivent, de devenir un avec Dieu. Cette idée a été glosée par saint Thomas d'Aquin, saint Léon le Grand et saint François de Sales, entre autres. Car communier, c'est "apaiser sa faim du Christ", disait Sainte Thérèse de Calcutta, et ne pas le faire serait comme "mourir de soif au bord d'une fontaine", disait le Saint Curé d'Ars, autre grand dévot de l'Eucharistie. Par conséquent, les prières, les hymnes et les poèmes eucharistiques traversent l'histoire occidentale autour de la fête du Corpus Christi et de ses processions, qui sont encore célébrées avec une splendeur inhabituelle à Séville, à Tolède et dans bien d'autres villes. Les hymnes des congrès eucharistiques internationaux du XXe siècle en témoignent également : "À genoux, Seigneur, devant le tabernacle, / Qui contient tout ce qui reste d'amour et d'unité, / (...) le Christ dans toutes les âmes et dans la paix du monde /" (Pemán y Aramburu, Barcelone 1952). En fait, Pemán a travaillé sur ces thèmes dans "El divino impaciente" (théâtre, 1933) et dans le "Canto a la Eucaristía" (1967). Il y a plusieurs siècles, l'amour de l'Eucharistie a rempli la vie d'une autre laïque que le pape François a déclarée vénérable : "la folle du Sacrement", Doña Teresa Enríquez, dame d'Isabelle la Catholique, qui a fondé le premier siège des confréries eucharistiques en Espagne.
Traces de l'Eucharistie dans la littérature : les autos sacramentales
Mais laissons de côté les saints, malgré leur capacité métaphorique, pour nous concentrer sur un autre aspect de la question : l'Eucharistie, don de Dieu et mystère central du chrétien, a suscité une abondante littérature depuis le Moyen Âge jusqu'à nos jours. Dans un souci de concision, nous ne ferons que quelques brefs commentaires sur ce processus.
Il n'est pas surprenant que, dans une société théocentrique, les autos sacramentales soient apparues en Espagne au Siècle d'or (XVIe-XVIIe siècle). Il s'agissait de pièces allégoriques en vers, en un ou plusieurs actes, ayant pour thème l'eucharistie. Elles étaient jouées le jour du Corpus Christi avec un grand dispositif scénographique et glosaient sur des thèmes bibliques, philosophiques, moraux et, surtout, eucharistiques. Les personnages étaient des abstractions, des symboles qui incarnaient des idées telles que le bien et le mal, la foi, l'espérance, la charité et l'Eucharistie. Compte tenu de leur complexité théologique et des subtilités doctrinales, le succès des autos sacramentales dans un peuple où le taux d'analphabétisme est très élevé est paradoxal. Presque tous les grands auteurs de l'époque en ont écrit : Timoneda, Lope de Vega, Valdivielso, Tirso de Molina... Mais le sommet du genre a été atteint par Pedro Calderón de la Barca (1600-1681), écrivain, dramaturge et prêtre qui a écrit plus de quatre-vingts autos sacramentales, avec un lien théologique étroit entre la fête et la pièce jouée, dont le thème eucharistique est toujours essentiel. Il les définit ainsi : "Sermons / mis en vers, en idée / questions représentables / de la Théologie Sacrée, / que mes raisons / ne peuvent expliquer ni comprendre, / et à la réjouissance il dispose / en applaudissements de ce jour".
Quelques titres : "El gran teatro del mundo", "La cena del rey Baltasar", "El gran mercado del mundo", "El verdadero Dios pan", "La lepra de Constantino", "La protestación de la fe", "Viático cordero"... Dans le premier, la vie est un théâtre où chaque personnage joue son rôle et est reçu à la fin par l'Auteur lors du grand souper eucharistique qui récompense ceux qui ont défendu les valeurs chrétiennes. Ainsi, dans chacun d'entre eux, on passe sous silence un argument qui se réfère toujours au thème eucharistique en utilisant l'allégorie, une ressource qui satisfait son désir de jouer avec les abstractions et les concepts. Dans "Lo que va del hombre a Dios", il tente de refléter sa technique et ses intentions dans ce genre dramatique en disant : "Il était de style que l'homme commence par pécher, / que Dieu finisse par racheter / et, quand le pain et le vin arrivaient / de monter avec lui au ciel / au son des shawms". A sample of his poetic work is "Manjar de los fuertes": "El género humano tiene / contra las fieras del mundo, / por las que horribles le cerquen, / su libertad afianzada, / como a sustentarse llegue / de aquel Pan y de aquel Vino / de aquel quien hoy es sombra éste.../ Nadie desconfíe, / nadie desespere. / Que con este Pan y este vino.../ las llamas se apagan, / las fieras se vencen, / las penas se abrevian / y las culpas se absuelven" (The human race has / against the wild beasts of the world, / by those that encircle it, / its freedom secured, / as if to sustain itself / from that Bread and Wine / of which today it is the shadow.../ Nobody distrust, / nobody despair.
L'eucharistie dans la littérature anglaise du 19e et du 20e siècle
Pour la brièveté de l'article, je ne peux pas en parler, mais je peux au moins faire allusion à la littérature des convertis anglais qui commence avec le Cardinal Newman et a son centre dans G. K. Chesterton (1874-1936), si bien étudiée par Pearce dans son livre "Converted Writers" (1999). Un phénomène de conversions en chaîne (Belloc, Benson, Knox, Grahan Greene, Waugh, C. S. Lewis, Tolkien...). La plupart d'entre eux viennent du protestantisme et pour eux le thème eucharistique est une priorité. Ils l'ont travaillé dans des essais, des poèmes et des romans. Pour Chesterton, depuis sa conversion amoureuse lors de la fête du Corpus Christi, la croyance en la présence réelle du Saint-Sacrement était la pierre de touche de la vérité, au point de s'exclamer après sa première communion : "Aujourd'hui a été le plus beau jour de ma vie". Il avoue avoir été effrayé par la formidable réalité du Christ dans l'Eucharistie. Et il ajoutait : "Pour ceux qui ont ma foi, il n'y a qu'une seule réponse : le Christ est aujourd'hui sur terre, vivant sur mille autels, et il résout les problèmes des gens exactement comme il l'a fait lorsqu'il était dans le monde dans un sens plus ordinaire".
Les poètes chantent l'Eucharistie
Si en pan tanberano, se recibe al que mide cielo y tierra ; / si el Verbo, la Verdad, la Luz, la Vida / en este pan se encierra ; / si Aquel por cuya mano/ se rige el cielo, es el que convida / con tan dulce comida/ en tan alegre día. / O chose merveilleuse, / Invite et Celui qui invite est une chose, / Réjouis-toi, mon âme, / Car tu as sur la terre / Un pain aussi blanc et aussi beau qu'au ciel". Ou Luis de Góngora (1561-1627) : "Brebis perdues, venez / sur mes épaules, car aujourd'hui / je ne suis pas seulement votre berger, / mais aussi votre pâturage (...) Pâturage, enfin, aujourd'hui fait vôtre / Qu'est-ce qui émerveillera le plus, / ou bien le fait que je vous porte sur mon épaule, / ou bien le fait que vous me portiez sur votre poitrine ? / Ce sont des vêtements d'amour étroit / que même les plus aveugles voient (...)".
Au XXe siècle déjà, il est surprenant de trouver chez Miguel de Unamuno (1864-1936), toujours en quête angoissée de Dieu, un beau et dense poème intitulé "Eucharistie" qui s'ouvre ainsi : "L'amour de toi nous brûle, corps blanc ; / amour qui est faim, amour des entrailles ; / faim de la parole créatrice / qui s'est faite chair ; amour féroce de la vie / qui ne se satisfait pas d'étreintes, de baisers, / ni de quelque liaison conjugale que ce soit. / (...) Pour terminer par une supplique : "Et tes bras s'ouvrant comme en signe / D'abandon amoureux tu nous répètes : / "Venez, mangez, prenez : ceci est mon corps" / Chair de Dieu, Verbe incarné, incarne / Notre divine faim charnelle de Toi"". Beaucoup plus surprenante est l'"Ode au Saint-Sacrement de l'autel" (1928) de Federico García Lorca (1898-1936) qui, malgré le caractère personnel, libre et presque bizarre de son écriture, révèle un germe de foi chez le poète grenadin. Car la Génération de 27, bien qu'à sa manière, recherchait aussi le divin, que les modernistes avaient déjà entrevu avec un certain exotérisme, comme cela est palpable dans les publications d'"Adonais" et également recueilli par Ernestina de Champourcin dans son anthologie "Dios en la poesía actual" (BAC 1976). Par exemple, un fragment poétique d'Ernestina elle-même : "Parce qu'il est tard, mon Dieu / parce qu'il fait nuit / et que la route est nuageuse / (...). Parce que je brûle de soif de Toi / et de faim de ton blé, / viens, assieds-toi à ma table ; / bénis le pain et le vin" (...).
"Dios en la poesía española de posguerra", livre de M. J. Rodríguez (1977), témoigne de l'essor religieux après la guerre d'Espagne de 1936, lié à l'angoisse de la recherche et à l'aspiration au salut, même s'il n'est pas essentiellement eucharistique. L. Panero, Dámaso Alonso, Blas de Otero, M. Alcántara, L. Rosales, C. Bousoño, B. Llorens, J. M. Valverde, M. Mantero, L. Felipe, V. Gaos, J. J. Domenchina, A. Serrano Plaja... Quelque chose d'explicable dans un climat d'existentialisme et après les massacres des guerres successives.
Et ils la chantent encore aujourd'hui
Ce qui n'est peut-être pas si prévisible, c'est l'essor qui, à la fin du XXe siècle, dans une atmosphère de laïcité désacralisante, s'est manifesté chez un certain nombre de jeunes poètes et qui se poursuit encore aujourd'hui. Au-delà de Murciano et Martín Descalzo, dans le sud de l'Espagne et autour (mais pas seulement) de la revue et maison d'édition sévillane " Númenor ", C. Guillén Acosta, J. J. Cabanillas (tous deux ont d'ailleurs coordonné une anthologie, " Dios en la poesía actual ", Rialp, 2018), les frères Daniel et Jesús Cotta, R. Arana... ont abordé la poésie religieuse avec un naturel insouciant et désinhibé. Je voudrais terminer cet article avec une petite sélection de vers.
Un fragment d'" Eucharistia ", de Guillén Acosta (1955) dans son livre " Redenciones " (2017) ouvre l'ensemble : (...) " Et c'est le besoin quotidien de me connaître / tourné vers quelque tabernacle, / et de là attendre que le moment arrive / et parvenir à découvrir son mystère, celui du pain, / qui me fait me donner comme le grain sur l'aire de battage / et dans lequel je me transforme chaque fois que je l'ingère ".....
Un autre fragment de "Por tres" dans "Mal que bien" (2019), de E. García Máiquez (1969) : "Mon éjaculation la plus sollicitée / a toujours été : Sangre / de Cristo, embriágame. / Et j'entonne une autre éjaculation : Toi / qui m'as fait à ton image, / Dieu trinitaire, multiplie-moi"...
Faisant appel au contexte (Sta María del Transtévere) et à la suggestion, R. Arana (1977) aborde le thème dans "Hagamos tres tiendas", poème extrait de "El último minuto" (2020) : "Rebañito de ovejas bizantinas / que minuto a minuto yo miré / miré / balar en esa bóveda dorada / en un silencio que también refulge : / a vuestro lado yo me quedaría / si hubiese buen pastor, como lo hay, / al calor del poder mudo y gigante / de aquella diminuta lamparita / y no volver jamás jamás al gris cemento".
Impressionnant "Está sucediendo ahora", dixièmes de Daniel Cotta (1974) dans "Alumbramiento" (2021) qui expriment la foi catholique en la présence réelle du Christ dans l'Eucharistie au moment de la consécration : (...) "Maintenant, oui, dans le lieu / où ces mains en vol / viennent de convoquer / le Seigneur de la terre et du ciel / sur le linge de l'autel ! / Cette blancheur qui s'avance / aimante et bienfaisante / comme une lune qui se lève / c'est Dieu dans la chair d'un nuage, / c'est Dieu qui descend dans l'aube (...) / Dieu vient dans le monde... / et c'est maintenant ".
Aussi "Con los ojos cerrados", de Jesús Cotta (1967) qui ose étonnamment un livre entier à thème religieux, "Acogido a sagrado" (2023), et dit : (...) "Y llueva tu agua, / agua hecha vino, / vino hecho sangre, / sangre hecha gracia" (Et que ton eau pleuve, / l'eau a fait du vin, / le vin a fait du sang, / le sang a fait de la grâce).
Un autre poème très récent, "Venite adoremus" (Esos tus ojos, 2023), de J. J. Cabanillas (1958) en témoigne : (...) "Il a fallu des nuits, des soleils / la flamme verte d'un épi de maïs debout / et te faire Ton pain blanc et je t'adore / comme ce roi des neiges t'adorait / toi, Enfant, mon enfant, toujours un enfant"... Il avait déjà abordé le thème dans Cuatro estaciones (2008) : "Les cloches... Entends-tu ? Il fait déjà jour (...). Quand suis-je arrivé en ce jeudi de la Fête-Dieu / Déjà le trône sous le soleil est dans la rue / (...). L'ostensoir s'approche comme une torche de feu / et la chair ronde est cerclée d'Amour"...
Pour clore cette section, on pourrait dire que presque tous écrivent des recueils de poèmes ambitieux, audacieux et inhabituels dans le paysage poétique espagnol actuel et qu'ils expriment leur foi jubilatoire en la divinité à partir de perspectives quotidiennes. La trajectoire du jeune Carlo Acutius, déclaré vénérable en 2020, est tout aussi surprenante. Un garçon très moderne et très amoureux de l'Eucharistie, qui a créé un site web sur la genèse des miracles eucharistiques du monde.
Professeur de littérature hispano-américaine à l'université de Séville