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"Les abus sexuels font l'effet d'une bombe dans la société française".

Basé sur une enquête commandée par l'Inserm, le rapport Ciase estime que 216 000 personnes ont été abusées sexuellement par des ecclésiastiques en 70 ans. Au cours de la même période, il y aurait eu environ 3 000 prêtres prédateurs sexuels.

José Luis Domingo-13 octobre 2021-Temps de lecture : 4 minutes
le pape prie pour les abus

Photo : Le pape François et quatre évêques français prient pour les victimes d'abus commis par des membres du clergé français. ©2021 Catholic News Service / Conférence des évêques catholiques des États-Unis.

Il y a trois ans, les évêques catholiques français ont demandé à Jean-Marc Sauvé, 72 ans, ancien vice-président du Conseil d'État, de présider une commission chargée d'étudier les abus sexuels commis sur des mineurs par des membres du clergé. Ils lui ont demandé de les aider à comprendre l'ampleur du phénomène entre 1950 et 2020, ses principales causes, mais aussi de formuler des recommandations pour que de tels scandales ne se reproduisent plus. Cette commission s'appelle la Commission indépendante sur les abus sexuels dans l'Église (ICASE). Il a été financé par l'Église à hauteur de trois millions d'euros.

Une vingtaine d'experts de diverses disciplines (psychiatrie, sociologie, histoire, médecine, droit) ont collaboré avec Jean-Marc Sauvé à cette étude, qui a été rendue publique mardi 5 octobre.

Dans le monde, seules les Églises catholiques des États-Unis, d'Irlande, d'Allemagne, d'Australie et des Pays-Bas ont déjà mené de telles enquêtes. 

Dans un premier temps, la commission a lancé un appel général à témoignages dans les différentes villes françaises, ce qui a permis d'identifier 2700 victimes. 243 ont été attentivement interrogés ; 2819 lettres reçues relatant les griefs qu'ils ont subis ont été étudiées. Une enquête victimologique a été élaborée sur la base de 1628 cas concrets. D'autre part, l'évaluation des archives ecclésiastiques a conclu à l'existence de 4500 victimes. Selon M. Sauvé (cfr La vie5 octobre 2021), la surprise effrayante est venue des conclusions de l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm), basées sur une enquête réalisée par l'Ifop (institut de sondage et d'études de marché) sur un échantillon représentatif de 28 000 personnes. 

Selon cette étude, 216 000 mineurs ont été abusés sexuellement par des prêtres, des religieux et des religieuses entre 1950 et 2020. Si l'étude est étendue au personnel laïc travaillant dans des structures liées à l'Église, le nombre estimé de mineurs abusés est fixé à 330 000. Selon les résultats de cette étude, plus d'un tiers des abus du chiffre global auraient été commis par des laïcs.

Un point crucial est la méthode de comptage. Seulement 1,25% des victimes ont fait un rapport au Ciase. Il est important de savoir que de nombreuses victimes ne parlent pas. Parce qu'elles ne veulent pas, parce qu'elles veulent tourner la page, parce qu'elles craignent que leur témoignage déclenche une enquête judiciaire ou simplement parce qu'elles n'ont pas identifié la nature de ce qu'elles ont vécu (notamment dans le cas d'agressions sexuelles sans pénétration).

L'étude nationale de l'Inserm estime également que 5,5 millions de personnes en France ont été abusées sexuellement avant d'atteindre l'âge de la majorité. Les violences sexuelles commises dans l'Église représenteraient ainsi 4% de l'ensemble de ces violences dans la société française, en moyenne entre 1950 et 2020.

La majorité des agressions dans l'Église, 56%, ont eu lieu entre 1950 et 1970 ; 22% entre 1970 et 1990 ; et 22% entre 1990 et 2020. Ces données réfutent l'opinion largement répandue selon laquelle l'origine des abus proviendrait de la libération sexuelle promue en mai 68. Il apparaît également que le rapport entre les abus commis dans l'Église et les abus sexuels commis sur des enfants dans la société a considérablement diminué. Il était de 8% entre 1950 et 1970, est tombé à 2,5% entre 1970 et 1990, et est de 2% entre 1990 et 2020.

Le recoupement de différentes sources disponibles a permis au Ciase d'estimer le nombre de prêtres prédateurs d'environ 3 000.. Le chiffre se situe entre 2 900 et 3 900 prêtres et religieux, sur 70 ans d'études. C'est-à-dire un pourcentage compris entre 2,5% et 2,8% des prêtres alors en fonction, soit 115.500 clercs. Mais là encore, l'étude couvre trois quarts de siècle et ce chiffre est une moyenne pour cette période. Ces données conduiraient à une moyenne de plus de 60 victimes par prêtre abuseur, bien que la différence entre les "compulsifs" et les "occasionnels" soit reconnue. De manière significative, le rapport indique que dans l'Église, 80% des victimes sont des garçons âgés de 10 à 13 ans et 20% des filles. Alors que dans la société, 75% des victimes sont des filles et 25% des garçons. 

Une autre caractéristique est que la durée moyenne des abus était plus longue dans les milieux ecclésiastiques que dans d'autres contextes sociaux (plusieurs mois, voire plusieurs années). 

La Commission retrace la séquence historique de l'évolution de l'Église catholique face aux agressions commises en son sein. De 1950 à 1970, l'Église a été dominée par le désir de se protéger du scandale tout en essayant de "sauver" les agresseurs, et de dissimuler le sort des victimes qui ont été invitées à se taire. Entre 1970 et 1990, la question des violences sexuelles a été reléguée au second plan par la crise des prêtres, qui a pris le dessus sur les structures internes de prise en charge des prêtres "en difficulté". À partir des années 1990, l'attitude de l'Église catholique a progressivement changé, prenant en compte l'existence des victimes, même si elles n'étaient pas pleinement reconnues. Cette reconnaissance est intervenue dans les années 2010, avec une augmentation du nombre de plaintes judiciaires, de sanctions canoniques et le renoncement à un traitement purement interne des délinquants.

La Commission dénonce la dissimulation, la relativisation ou la négation des abus par l'autorité ecclésiastique et une grave carence dans la prévention et le traitement juridique des crimes.

L'étude réalisée par l'Inserm identifie la réalité des abus sexuels dans la société française comme un phénomène massif, comme dans de nombreux autres pays, et regrette l'occultation sociale et politique de cette réalité. Un Français sur dix est victime de violences sexuelles dans son enfance. Une nouvelle commission indépendante sur l'inceste et les violences sexuelles contre les enfants (Ciivise) a pris le relais de la Ciase pour étendre l'étude à tous les domaines de la société française. " La violence sexuelle, dit M. Sauvé, est une bombe de fragmentation de notre société : si l'Église catholique est aujourd'hui en première ligne, les institutions publiques et privées ne pourront se soustraire à l'examen de conscience nécessaire pour répondre de leurs actes ou de leur abstention ". La transparence de l'Église pourra montrer le chemin de la vérité et de la purification à toutes les autres institutions.

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