Plus de 600 communicateurs de l'Église ont récemment participé à une conférence en ligne organisée par l'Université pontificale de la Sainte-Croix (Rome), sur le thème "Inspirer la confiance". Juan Narbona, l'un des organisateurs, explique dans Omnes pourquoi la confiance est une question pertinente pour les organisations, dans cette interview dont nous publions aujourd'hui la première partie. La deuxième partie sera publiée sur ce site dans quelques jours.
Qu'entendez-vous par "confiance" et est-il possible de parler de "confiance" dans l'Église ?
-Comme d'autres concepts apparemment évidents, la confiance n'est pas facile à définir, bien que nous sachions tous ce qu'elle est et que nous en fassions l'expérience au quotidien. Je le comprends comme un "saut dans l'inconnu", un engagement fondé sur l'espoir que le comportement futur de l'autre partie sera conforme aux attentes générées.
La confiance est présente dans les opérations les plus ordinaires de notre vie : nous buvons notre café au bar sans douter du serveur qui le sert, nous prenons un bus avec la certitude qu'il nous mènera à la destination souhaitée, nous travaillons en espérant que notre entreprise nous paiera à la fin du mois... À cet égard, nous avons tous un rôle actif et passif : nous attendons qu'on nous fasse confiance et nous apprenons à faire confiance aux autres. L'Église elle-même fonde son existence sur la confiance - sur la foi - dans les promesses de Dieu ; à son tour, elle exige la confiance de ses fidèles, même si elle est souvent consciente de ne pas la mériter.
Quels sont les effets de la confiance sur les individus ou les groupes ?
-Réfléchissons à notre propre expérience. Lorsque l'on nous fait confiance, nous nous sentons valorisés et notre volonté de collaborer augmente, nous sommes plus créatifs et capables d'accepter les risques, car nous sommes pleinement impliqués dans ce qui nous est confié. De plus, cela nous fait gagner du temps, car nous ne nous sentons pas obligés de rendre compte de tout ou de justifier nos décisions...
D'autre part, sans le huile En l'absence de confiance, notre engagement et nos relations grincent et ralentissent jusqu'à l'arrêt. Un environnement de travail tendu, une famille où l'on exige des explications excessives ou une amitié où chaque erreur est tenue pour responsable sont des situations dans lesquelles nous nous noyons. Dans une communauté chrétienne ou dans l'Église aussi, la méfiance des pasteurs ou des pasteurs envers les fidèles peut rendre la mission très difficile.
Pourquoi dit-on que la confiance est en crise aujourd'hui ?
-Un sondage Ipsos publié fin 2020 montre clairement à quel point la méfiance envers certains experts et institutions s'est accrue. Par exemple, en Angleterre - bien que les chiffres soient similaires dans d'autres pays européens - seuls 56 % de la population font confiance aux prêtres, contre 85 % en 1983. La méfiance est encore plus grande à l'égard d'autres profils professionnels - comme les hommes politiques (15 %) ou les journalistes (23 %) - mais il est surprenant que le citoyen moyen fasse plus confiance à un inconnu dans la rue (58 %) qu'à un prêtre. Bonne époque, en revanche, pour les médecins, les infirmières et les ingénieurs, des catégories professionnelles qui bénéficient d'une grande confiance.
Nous avons donc voulu nous demander : qu'est-il arrivé à certaines de ces autorités sociales, pourquoi ne faisons-nous plus confiance à ceux que nous considérions jusqu'ici comme des experts, et quelles sont les conséquences pour la société ? Nous avons également observé que la confiance apprend à circuler d'une autre manière : il y a quelques années, nous aurions été incapables de donner notre lettre de crédit en ligne ou de loger chez un inconnu que nous avions contacté sur l'internet, mais aujourd'hui, c'est une pratique courante. Nous faisons confiance aux étrangers parce qu'il existe des mécanismes de sécurité qui nous facilitent la tâche. Les organisations traditionnelles doivent s'intéresser à ces nouveaux canaux par lesquels passe la confiance.
Quelle est la raison de la baisse générale de la confiance ?
-Ces dernières années, un climat général de suspicion s'est développé dans la société. Il nous est difficile de nous remettre entre les mains de spécialistes qui fondent leur autorité sur des critères historiques, subjectifs ou surnaturels.
Les causes de ce changement sont variées, mais la principale est que certaines institutions traditionnelles ont laissé tomber la société. Les plus grands dommages ont été causés par ceux qui ont menti à leur public. Le mensonge fait des dégâts considérables : les scandales de Lehman Brothers, les émissions de Volkswagen, les statistiques trompeuses d'Astrazeneca sur les vaccins ou la couverture des abus sexuels dans l'Église et d'autres institutions travaillant avec des jeunes en sont quelques exemples. Le problème est que nous ne sommes pas seulement méfiants à l'égard d'une organisation menteuse particulière, mais que notre méfiance s'étend à toutes les organisations ou professionnels travaillant dans le même secteur.
Mais il y a toujours eu des mensonges...
-Indeed. Déjà au 6ème siècle, Saint Grégoire le Grand conseillait que "si la vérité doit provoquer un scandale, il vaut mieux permettre le scandale que de renoncer à la vérité". Quinze siècles plus tard, nous faisons toujours l'expérience que dire la vérité a été, est et sera toujours un défi fragile et difficile. Nietzsche a écrit une phrase qui reflète bien les conséquences du mensonge : "Ce qui me dérange, ce n'est pas que tu m'aies menti, mais que désormais je ne pourrai plus te croire...". En d'autres termes, le mensonge est non seulement mauvais en soi, mais il annule notre autorité à communiquer la vérité. Mentir pour sauver un bien apparemment plus grand (le prestige des diocèses ou la réputation de leurs pasteurs, par exemple) sera toujours une tentation, mais nous avons appris que dire la vérité est un bien qui porte ses fruits à long terme. D'autre part, ceux qui s'allient au mensonge doivent partir du principe que les autres les considéreront toujours avec doute et suspicion.
Y a-t-il d'autres raisons à ce climat de suspicion ?
-Oui, avec les mensonges nous pourrions mentionner la peur. L'internet a mis en circulation beaucoup plus d'informations qui nous font nous sentir vulnérables. Pensez, par exemple, aux nouvelles concernant les vaccins Covid. Tant de contradictions, tant de rumeurs, tant de voix différentes... ont épuisé notre volonté de confiance. Nous ne savons plus qui a raison et cela crée un fort sentiment de fragilité et d'impuissance. Il en va de même pour les tensions politiques : le discours est rapide, agressif, émotionnel, diviseur... Les politiciens nous épuisent et nous perdons l'enthousiasme de construire quelque chose ensemble.
À l'ère de l'information globale, les scandales et les crises dans divers domaines (immigration, violence domestique, sécurité de l'emploi...) ont affaibli notre capacité à nous remettre entre les mains des autres. Nous avons peur, et ce n'est pas bon, car cela affaiblit les liens sociaux, et une société plus faible est une société plus fragile et manipulable. C'est pourquoi il est important de redonner confiance dans les institutions qui constituent l'épine dorsale de la société et lui donnent cohésion et force.
Comment rétablir la confiance ?
-Penser que la confiance peut être "construite" est une idée fausse et courante. La confiance ne peut être cuisine avec une série d'ingrédients : une campagne de marketing, quelques données crédibles, des excuses honnêtes... Non : la confiance ne se construit pas, elle s'inspire, et l'autre partie nous la donne librement ou non. Il est possible, en revanche, de travailler pour être digne de cette confiance, c'est-à-dire de s'efforcer de se changer, d'être meilleur.
Comment, alors, pouvons-nous "mériter" la confiance ?
-En démontrant que l'on possède trois éléments : l'intégrité, la bienveillance et la capacité, comme le proposait Aristote. En d'autres termes, nous faisons confiance à la personne qui est cohérente avec ce qu'elle dit ; à celle qui montre par ses actes qu'elle veut mon bien ; et à celle qui est également compétente dans le domaine pour lequel elle revendique la confiance.
Imaginez, par exemple, que vous allez acheter une voiture. Le vendeur décrit avec précision les caractéristiques de la voiture qui vous intéresse et répond correctement à vos questions. Il est capable : il montre qu'il connaît son métier. En outre, il vous suggère d'attendre quelques jours pour profiter d'une réduction et vous conseille de ne pas acheter un modèle plus cher qui ne répond pas à vos besoins. De cette façon, il montre qu'il veut sincèrement vous aider. Si, en plus, il vous assure qu'il est lui-même propriétaire du modèle que vous avez choisi, il gagne votre entière confiance car son comportement est cohérent avec son discours.
Chaque personne et chaque organisation peut réfléchir à la manière dont elle peut améliorer chacun de ces trois éléments afin de mériter la confiance des autres : cohérence, altérité et responsabilisation.