Ramzi Saadé est un prêtre franco-libanais qui a reçu un appel spécial : accompagner les musulmans qui veulent se convertir au christianisme.
Dans cet entretien, il nous parle de son appel à la prêtrise, après une vie d'homme d'affaires, et de sa mission d'évangélisation à Paris.
Comment est née votre vocation sacerdotale ?
-Je suis libanais, de rite maronite, et comme tous les catholiques orientaux, j'étais fier de mon identité chrétienne. J'aime les affaires et j'ai étudié l'ingénierie informatique. J'ai travaillé pendant de nombreuses années dans le monde des affaires dans les pays arabes. J'ai beaucoup voyagé et manipulé de grosses sommes d'argent. Je me débrouillais bien et je pensais être heureux, mais j'ai fini par perdre la foi. Je dois admettre qu'il n'est pas toujours facile de suivre les commandements de l'Église dans le monde professionnel dans lequel j'ai travaillé.
Une nouvelle opportunité professionnelle m'a amené à Marseille, en France, où j'ai rencontré la communauté de l'Emmanuel, et un prêtre en particulier, qui a répondu à mes questions et m'a fait comprendre que Dieu voulait que je sois heureux. Petit à petit, j'ai commencé à développer une vie spirituelle, à abandonner certaines mauvaises habitudes que j'avais, j'ai commencé à me battre pour me rapprocher de Dieu, avec des hauts et des bas, jusqu'au 15 août 2002.
Ce jour-là, en la fête de l'Assomption de la Vierge Marie, j'étais à Paray-le-Monial, où j'avais décidé de me rendre pour quelques jours car je ne me sentais pas bien spirituellement. J'avais besoin de changer d'atmosphère, je ne savais pas ce qui n'allait pas, et je suis allée prier. C'est là que j'ai vécu une expérience très particulière, au cours de laquelle j'ai vu Jésus, je ne sais pas comment, mais l'important est que j'ai compris que Dieu m'aimait et qu'il voulait me le montrer.
J'ai beaucoup pleuré : ce fut une expérience déterminante dans ma vie, mais la vocation à la prêtrise est venue quelque temps plus tard. À l'époque, j'avais 30 ans et je ne voulais pas être prêtre. Un prêtre m'a beaucoup accompagné dans mon discernement vocationnel jusqu'à ce que la volonté de Dieu devienne plus concrète et que je commence à être enthousiasmé par l'idée de devenir prêtre.
En effet, Dieu respecte notre cheminement, les étapes de chaque vie et ne nous demande pas des choses qui nous rendent tristes. Au contraire, Dieu nous aime et nous demande des choses qui nous rendent heureux. Me voici donc prêtre et heureux.
En quoi consiste "Ananie", votre mission à Paris ?
-Depuis une vingtaine d'années, nous assistons dans le diocèse de Paris à une augmentation objective du nombre de musulmans qui se présentent à l'Eglise pour demander le baptême. Il s'agit d'une situation inédite : de plus en plus de musulmans rencontrent le Christ (parfois de manière extraordinaire, comme des apparitions ou des rêves) et viennent dans les paroisses avec des demandes d'accompagnement. Face à cette réalité, le diocèse a confié en 2020 à notre association Ananie la mission de soutenir ce mouvement, d'aider les paroisses dans cette tâche délicate, de contribuer à la formation des services d'accueil et d'accompagnement (catéchumène-néophyte) pour " cheminer avec " ces nouveaux chrétiens.
En tant que responsable de cette initiative, j'ai mis en place des équipes avec une double mission : d'une part, accueillir et accompagner les chrétiens venant de l'Islam et, d'autre part, partager, aider et soutenir les paroisses qui ont besoin d'en savoir plus sur cette question.
Ananie est un lieu d'accueil et de rencontre pour partager, vivre une expérience de fraternité et être aidé à s'intégrer dans une paroisse quand on n'en a pas ou qu'une première expérience n'a pas été satisfaisante. En effet, Ananie souhaite que chacun trouve une communauté paroissiale et s'y sente accueilli car la paroisse doit rester le premier lieu d'enracinement de sa vie chrétienne. En résumé, la vocation d'Ananie est d'être un soutien pastoral concret pour les paroisses parisiennes et leurs équipes.
On dit que de nombreux musulmans se convertissent chaque année et qu'ils seraient encore plus nombreux s'ils vivaient dans des pays où leur liberté de religion était respectée : combien de musulmans se convertissent chaque année en France et dans le monde ? Quelle est la relation entre la liberté religieuse et la conversion ?
-En effet, de plus en plus de musulmans se convertissent et demandent le baptême. En Iran, par exemple, s'il y avait la liberté religieuse, des millions de personnes demanderaient à être baptisées. Mais pas seulement en Iran. En Algérie aussi : dans ce pays, la loi, la constitution, qui protégeait la liberté religieuse a été récemment modifiée pour pouvoir condamner les conversions.
Le problème n'est pas d'abord juridique ou étatique : la principale menace pour ces personnes réside dans leurs propres communautés et familles, qui n'acceptent pas un changement de religion. Dans de nombreux pays, il y a des gens qui veulent franchir le pas, mais ils n'ont personne, aucune institution catholique pour les accueillir, et il y a aussi le cas de personnes en Occident qui se convertissent, mais qui ne disent rien à personne parce qu'elles ont peur.
L'un de nos principaux défis est de préserver la liberté religieuse en Europe où, comme je l'ai dit, de nombreuses familles ne permettent pas à leurs membres de quitter leur religion ou d'en changer. La liberté de religion est une grande question qui s'explique le mieux du point de vue de l'accès à la Bonne Nouvelle. En Occident, il y a souvent cette idée que la religion musulmane est équivalente à la nôtre, et il est courant d'entendre des histoires dans lesquelles les musulmans qui veulent en savoir plus sur la foi chrétienne, même de la part des paroisses, leur conseillent de retourner à la mosquée et les empêchent en fin de compte d'accéder à l'Évangile. Il faut éviter à tout prix de créer des cercles fermés et il est prioritaire d'avoir et de maintenir le contact avec ces personnes.
La liberté religieuse est fondamentale pour la propagation de la foi : les gens sont libres et doivent se sentir libres, et dans le cas du christianisme, une conversion a l'effet d'une "boule de neige" : une conversion en entraîne une autre et ainsi de suite avec de nombreuses personnes. Mais cet effet n'est possible que si les gens se sentent libres. La situation en droit musulman est extrêmement grave pour les convertis, car la personne qui renonce à l'islam perd tout.
En ce qui concerne les chiffres : il est très difficile de connaître avec précision le nombre de convertis de l'islam. D'une part, il y a des personnes qui adhèrent au Christ dans leur cœur (" baptême de désir ") mais qui n'ont pas pu faire le pas vers le baptême. D'autre part, il y a des personnes qui, ayant été baptisées, ne le disent pas ou ne partagent pas leur histoire. Ou, si elle est connue dans la paroisse, elle n'est souvent pas racontée publiquement afin de les protéger. A Paris, 20% des adultes baptisés seraient d'origine musulmane. Dans les pays arabes, 100% de ces personnes sont musulmanes, ce qui s'explique par les conditions de vie dans ces pays de culture musulmane où les minorités chrétiennes ont l'habitude de baptiser leurs membres dès leur plus jeune âge.
Comment et par quels facteurs les musulmans entrent-ils en relation avec le Christ ?
-Il y a une phrase qui m'a toujours guidée et inspirée : "Celui qui cherche Dieu sincèrement le trouve". Toute personne a besoin de rencontrer les autres, et la Vérité, Dieu, en particulier. Cette rencontre change la vie d'une personne, comme elle l'a fait pour moi. Je pense à saint Paul qui cherchait sincèrement Dieu, mais de façon erronée car il était un extrémiste violent de la foi qui tuait les chrétiens. Et Dieu lui apparaît et le convertit.
Parmi les musulmans, il y a beaucoup d'apparitions et de rêves du Seigneur et de la Vierge. Cela peut paraître surprenant et même injuste : certains catholiques me demandent : pourquoi reçoivent-ils ces apparitions et pas nous ? La réponse est très simple : nous avons les moyens (les sacrements, la Parole, etc.) de recevoir la grâce, beaucoup de musulmans cherchent Dieu de tout leur cœur et, sans avoir personne pour leur parler de la vraie foi, Dieu intervient directement dans leur cœur et dans leur vie. A
À son tour, lorsque Dieu touche l'âme d'une personne, c'est parce qu'elle a pour mission de devenir "la lumière du monde et le sel de la terre" afin que d'autres personnes connaissent la Vérité.
La grâce n'est jamais un cadeau "égoïste" pour celui qui la reçoit ; au contraire, c'est une responsabilité et une mission que d'être apôtre.
Nous, chrétiens, avons cette lumière, reçue au baptême, et bien souvent, malheureusement, nous ne sommes pas à la hauteur de la mission que nous avons reçue et nous ne laissons pas passer la lumière pour que d'autres puissent la recevoir.
Comment les chrétiens peuvent-ils être de meilleurs témoins de leur foi auprès des musulmans ?
-Cette réflexion est au cœur de ma mission : beaucoup de chrétiens d'origine musulmane sont exclus de leurs cercles familiaux et amicaux et, étonnamment, de la communauté chrétienne. Sur ce dernier point, il faut souligner que l'intégration est généralement assez réussie, mais il y a pas mal de cas où les responsables de paroisse rejettent les musulmans parce qu'ils leur disent qu'il n'est pas nécessaire de se convertir. Ou, s'ils se convertissent, ils continuent à les traiter ou à se référer à eux en tant que musulmans. Il y a une grande blessure chez ces personnes qui sont des chrétiens d'origine musulmane, mais pas des musulmans.
Nous devons être très sensibles et respectueux à leur égard. Même moi, qui suis un prêtre catholique de rite oriental, on m'a souvent demandé en Occident si je pouvais manger du porc ou de l'alcool.
Concrètement, pour être de bons instruments de la grâce de Dieu, nous ne devons pas avoir peur de manifester notre foi dans notre environnement. Par exemple, il est très intéressant de constater que de nombreux musulmans s'approchent des religieuses ou des prêtres habillés en tant que tels dans la rue ou dans les lieux publics.
Une autre idée qui me semble importante est de savoir expliquer les différences entre les deux religions. Si nous disons à un musulman que "nous croyons à la même chose", comme on l'entend souvent dans certains milieux, cela le découragera et le désorientera, car ce qu'il recherche, c'est précisément cette nouveauté et ce génie du christianisme, cette "bonne nouvelle", le Dieu vivant dans le Christ. Par exemple, il est vrai que les musulmans reconnaissent la figure de Jésus et de la Vierge Marie, mais ils n'occupent pas la même place que dans notre foi. Et il faut savoir l'expliquer sans blesser, mais sans cacher la Vérité, car c'est précisément ce qu'ils recherchent chez les chrétiens. Ces différences ne sont pas un obstacle pour aimer nos frères et sœurs musulmans, elles sont un chemin de dialogue et de rencontre.
Enfin, il faut noter que de nombreux chrétiens d'origine musulmane souffrent de dépression quelques années après leur conversion. Cela est dû en partie au sentiment d'avoir rejeté leurs origines : leur famille, leur culture, leur identité nationale, etc. Cette réaction est tout à fait compréhensible et nous devons être attentifs à les accompagner dans ce processus.
Notre travail en Ananie est justement de leur faire comprendre que l'essentiel de leur identité est compatible avec le christianisme : la langue, les danses, la cuisine, les liens familiaux. C'est ce que nous voyons par exemple au Liban où le rite maronite, en arabe et en araméen, est parfaitement adapté à la culture locale.
Comment annoncer l'Évangile à un musulman ?
-Cette question s'applique à toutes les personnes, qu'elles soient musulmanes ou non. Je pense que la première chose est d'aimer l'autre. Annoncer l'Évangile, c'est donner Dieu à l'autre. Si j'aime l'autre, je veux son bien, je donne Dieu d'une certaine manière, car Dieu est Amour.
Il me semble aussi que la joie, le sourire, est un élément primordial. La joie est très attirante, les gens ont besoin d'espoir, et la joie basée sur l'espoir de se savoir aimé et sauvé par Jésus est la clé.