Traduction de l'article en anglais
L'occupation syrienne de Liban n'a pris fin qu'en 2005, lorsque l'ADF (Force de démantèlement) a dû quitter le pays à la suite des manifestations, connues sous le nom de "Révolution du Cèdre", qui ont suivi la tentative d'assassinat brutale de l'ancien Premier ministre Rafiq Hariri, dont Damas, dont le régime était ouvertement hostile à Hariri, a été accusé. Deux coalitions politiques ont émergé de ces protestations.
Le premier, l'Alliance du 14 marsLes Phalanges libanaises, un parti maronite historique aujourd'hui présidé par un représentant de la famille historique Gemayel, Sami (petit-fils du célèbre Bachir, fils d'Amine et frère de Pierre Amine, les deux premiers présidents de la république, le dernier représentant de l'Alliance du 14 mars, tous assassinés dans divers attentats) ; Les Forces libanaises, un autre parti maronite (présidé par son fondateur et ancien milicien Samir Geagea) ; Le Futur, un parti sunnite, dissous par son fondateur Saad Hariri, le fils de Rafiq, lorsqu'il a démissionné en 2021 de la présidence du gouvernement et s'est retiré de la scène politique. Cette alliance se caractérise par ses positions anti-syriennes et anti-iraniennes et sa proximité avec l'Arabie Saoudite et l'Occident.
La seconde, l'Alliance du 8 marsLe Courant patriotique libre, le parti de l'actuel et contesté président maronite de la République, Michel Aoun ; Amal (le mouvement politique chiite lié au Hezbollah) et d'autres, connus pour leur hostilité à Israël et leurs positions ouvertement pro-syriennes, ou plutôt pro-iraniennes.
Depuis lors, malgré une instabilité endémique dans la région et dans le pays lui-même (un exemple étant la deuxième guerre du Liban en 2006, avec l'invasion d'Israël suite à des tirs de missiles du Hezbollah sur son territoire depuis le sud du pays), le Liban, avec sa reconstruction d'après-guerre, semblait se remettre lentement.
La crise économique et les explosions de 2020
Cependant, une nouvelle crise économique dévastatrice (décrite par la Banque mondiale comme "l'une des trois pires crises que le monde ait connues depuis le milieu du XIXe siècle"), qui a entraîné de nombreuses manifestations en 2019 et l'alternance de gouvernements et de présidents favorables ou défavorables au Hezbollah, l'urgence sanitaire liée au COVID19 et, enfin, la fameuse et formidable explosion qui, le 4 août 2020, a détruit le port de Beyrouth et dévasté les quartiers environnants (majoritairement chrétiens), tuant plus de 200 personnes et laissant 300 000 sans-abri, ont laissé le pays dans un état de crise.300 000 sans-abri, ont amené le pays au bord du gouffre.
On estime à plus de 160 000 le nombre de personnes ayant émigré de l'UE. Liban (s'ajoutant à la diaspora libanaise à l'étranger, déjà importante, qui compte entre 4 et 8 millions de personnes, principalement des chrétiens, bien que certaines estimations avancent le chiffre de près de 14 millions, soit le double du nombre de Libanais vivant dans le pays), sans oublier le fait que le pays accueille des centaines de milliers de réfugiés syriens et palestiniens qui, avec le nombre déjà considérable de citoyens libanais vivant sous le seuil de pauvreté, transforment le Pays du Cèdre en une véritable poudrière.
Crises politiques et élections
Les enjeux ci-dessus ont conduit à la chute et à l'alternance, entre 2018 et 2021, de plusieurs gouvernements : Saad Hariri, Hassan Diab, Hariri à nouveau, et enfin Najib Mikati, et à la montée en puissance d'un mouvement engagé à modifier l'équilibre parlementaire, à lutter contre la corruption endémique (également liée au confessionnalisme et au tribalisme) et à apporter des solutions concrètes à la crise économique.
Cependant, ce même mouvement n'a pas réussi à se fédérer sous une seule aile politique et à s'imposer au niveau national, même si, pour la première fois dans l'histoire du pays, les récentes élections législatives du 15 mai 2022 ont laissé entrevoir l'ombre d'un possible changement.
La campagne électorale et le débat politique ont en effet mis en évidence quatre questions clés autour desquelles s'est articulé le vote : L'ingérence du Hezbollah et de l'Iran ; la "neutralité positive" du pays, telle que proposée et comprise par le patriarche maronite Bechara Boutros Raï ; la crise bancaire et financière ; la réforme judiciaire et la lutte contre la corruption, pour faire la lumière sur les causes de la déflagration du port de Beyrouth du 4 août 2020 (le Hezbollah s'est d'ailleurs toujours opposé à une enquête formelle et objective sur ces événements tragiques).
L'image qui se dessine à la lumière des résultats finaux est cependant celle d'un pays qui lutte pour le changement et qui a perdu confiance. L'abstentionnisme a dominé partout, même dans les fiefs du Hezbollah : un message clair de défiance envers la classe dirigeante.
Quoi qu'il en soit, le président sortant, Michel Aoun, a vu ses propres députés élus réduits de moitié (son parti est majoritairement maronite, mais allié à Amal et au Hezbollah), dépassés par les Forces libanaises de Geagea, son ennemi juré, qui est devenu le premier parti chrétien du Liban. Une défaite partielle, d'ailleurs, également pour Amal et le Hezbollah lui-même, puisque dans le sud du Liban, bastion chiite historique, un druze et un chrétien d'une faction différente ont été élus.
Le rôle des chrétiens
Le cœur spirituel et culturel du Liban, avons-nous dit, est certainement chrétien, surtout si l'on pense aux principaux centres spirituels du pays, à savoir la vallée de la Qadisha (la sainte) dans le nord du pays, véritable pivot du christianisme syriaque, et l'Église maronite (de rite syro-antiochène).
L'Église maronite, en communion avec Rome, tire son nom de son fondateur, saint Maron, et a son siège historique dans la verte vallée de la Qadisha, pleine d'anciens monastères, enchâssés comme des perles dans la roche et convertis, au fil du temps, des centres (un peu comme les monastères bénédictins en Europe) de savoir (la première presse à imprimer au Liban a été construite dans l'un d'eux), d'art, de culture, de métiers divers (y compris l'agriculture, en particulier la culture en terrasses), de sagesse spirituelle et de proximité avec la population.
La preuve en est la grande dévotion de tous les Libanais, tant chrétiens que musulmans, envers les saints locaux (par exemple le célèbre Saint Charbel Makhlouf, Saint Naamtallah Hardini, Saint Rafqah), dont les sanctuaires sont la destination d'incessants pèlerinages interconfessionnels et interreligieux.
Les récentes élections ont également confirmé que le rôle des communautés chrétiennes reste crucial pour le sort du pays. En effet, également grâce à l'apport des chrétiens et du président Michel Aoun, la majorité issue des précédentes élections de 2018 avait poussé le pays dans l'orbite chiite, sous l'égide de l'Iran, dans ce cas, avec l'affirmation des partis chrétiens se référant à l'Alliance du 14 mars, le Liban pourrait se rapprocher de l'Arabie saoudite, d'Israël et, par extension, du bloc occidental. Tout cela, toutefois, si un gouvernement peut être formé, étant donné l'incapacité à créer une majorité parlementaire adéquate, avec la perspective d'une nouvelle paralysie politique et la stagnation, voire l'aggravation, de la crise actuelle.
Entre autres, la particularité libanaise dans le monde arabo-islamique est non seulement d'avoir institutionnalisé la présence chrétienne au niveau politique, mais aussi de voir, parmi les chrétiens eux-mêmes, la prédominance des catholiques, en particulier des maronites (les autres Églises catholiques sui iuris présentes dans le pays sont l'Église melkite ou grecque-catholique, qui représente au moins 12% de la population, l'Église arménienne-catholique et l'Église syrienne-catholique. Les Latins sont également présents, bien sûr, mais en plus petit nombre).
L'auteur a pu constater combien cet œcuménisme populaire est fascinant : il n'est pas rare d'assister à des déjeuners de familles nombreuses, où mères, pères, frères, sœurs, beaux-frères, beaux-frères, cousins, sont l'expression de toutes les églises présentes au Liban, qu'elles soient catholiques, orthodoxes ou protestantes.
Ainsi, au fil des ans, le patriarche maronite est devenu une figure de proue, non seulement en tant que représentant idéal de toutes les communautés chrétiennes, mais aussi de l'ensemble de la société civile. Son Église, en effet, en plus d'être l'expression d'une partie importante de la population libanaise, est aussi la plus active dans l'aide apportée non seulement aux chrétiens, mais à tout le peuple.
Récemment, à l'occasion de la fête de Saint Maron en 2022, le Patriarche a rappelé aux autorités civiles du pays que "les Libanais maronites ont fait de la liberté leur spiritualité" ainsi qu'un "projet social et politique", et que ce progrès se traduit non seulement par la foi et le progrès, mais aussi par la promotion de valeurs telles que l'amour, la dignité et la force, par opposition à "la rancœur, l'envie, la haine, la vengeance et l'esprit de capitulation".
Le cardinal Raï a vigoureusement défendu la pluralité culturelle et religieuse du Liban, la démocratie et la séparation de la religion et de l'État, en promouvant ce concept qui lui est particulièrement cher de "neutralité positive" du pays, qui préserve son âme et son identité en tant que terre de rencontre entre les civilisations, en fait dénaturée par ceux qui en ont fait "un théâtre de conflit dans la région et une plateforme de missiles" (la référence au Hezbollah est évidente). Selon le raï, qui est devenu le véritable pouls du pays, il est impératif, "pour sauver l'unité du Liban et démontrer sa neutralité", de respecter le triangle historique qui relie "le but du pacte de coexistence, le but du rôle des chrétiens et le but de la loyauté envers le Liban lui-même".
Écrivain, historien et expert en histoire, politique et culture du Moyen-Orient.