Culture

"Écouter les œuvres de Carlos Patiño, c'est écouter ce que Velázquez ou Calderón ont entendu".

Albert Recasens, chef d'orchestre et musicologue, a coordonné le premier enregistrement international des œuvres de Carlos Patiño, maître de la chapelle royale sous le règne de Philippe IV.

Maria José Atienza-1er juin 2021-Temps de lecture : 4 minutes
CD Albert Recasens

Albert Recasens, directeur et musicologue, a coordonné cette reprise qui vise à "rapprocher le public de la figure et de la production musicale de Carlos Patiño à travers ses œuvres les plus remarquables", comme il l'a souligné dans une interview pour Omnes. Le disque, Carlos Patiño : musique sacrée pour la courest le résultat des travaux de Recasens sur la Institut Culture et Société (ICS) de l'Université de Navarre, a été enregistré à la tête de son ensemble. La Grande Chapelle dans l'église de St. Quintin à Sobral de Monte Agraço, Portugal. Il s'agit du premier enregistrement au monde des compositions religieuses en latin les plus emblématiques de ce génie baroque qui a servi à la cour de Philippe IV.

Une sélection rigoureuse

Albert Recasens a souligné que les travaux réalisés constituent une "reconstruction de la sonorité de la chapelle royale sous le règne de Philippe IV, l'un des règnes les plus riches en termes artistiques et culturels en Espagne". Carlos Patiño est le compositeur le plus important de la première moitié du XVIIe siècle en Espagne. Écouter sa musique, c'est entrer dans la musique qu'écoutaient Calderón de la Barca ou Velázquez".   

Contrairement à des projets tels que l'Oficio de Difuntos de Tomas Luis de Victoria, Carlos Patiño (1600-1675) Musique sacrée pour la CourL'œuvre est une sélection de pièces composées par Patiño dans le cadre de sa production de musique sacrée. Comme le souligne Albert Recasens, dans ce cas, "nous nous sommes concentrés sur le répertoire latin et, à l'intérieur de ce groupe, une sélection a été faite des pièces de la plus haute qualité artistique, qui ont une valeur pour un élément quelconque : soit la relation entre le texte et la musique, soit parce qu'il s'agit de pièces artistiquement "audacieuses" dans lesquelles l'harmonie, les mélodies ou la structure sont très avancées, soit simplement en raison de leur beauté".

L'enregistrement comprend une première partie du disque "centrée sur des œuvres mariales au sens large : motets, antiennes, litanies dédiées à la Vierge ou psaumes tels que le Lauda Ierusalem, qui étaient chantés la veille des fêtes de la Vierge. À côté de cela, il y a une deuxième partie consacrée au défunt, et quelques pièces " libres " comme la séquence Veni, Sancte Spiritus et un motet au Saint Sacrement".

Patiño, le "peintre musical" de la Vierge Marie

Albert Recasens décrit Carlos Patiño comme un "grand peintre de la Vierge", à l'instar de Murillo dans les arts picturaux : "Patiño avait une prédilection particulière pour les textes dédiés à la Vierge Marie. Il a composé une série de Magnificats, de Salve Regina et, plus surprenant, une série de litanies, ce qui est inhabituel au XVIIe siècle. Parmi ces œuvres mariales, je retiendrai les suivantes Mary Mater Dei.

Dans cette œuvre, le "discours musical" suit le discours liturgique, le texte religieux au millimètre près", explique cet expert, "il s'agit d'une prière à Marie avec différents passages, sur tous les attributs de la Vierge, des invocations, des textes qui proviennent de différents livres de l'Écriture Sainte et des prières habituelles. Ce qui rend cette pièce très baroque unique est le grand contraste entre le soliste soprano et le reste du chœur. Ce que nous appelons en musique le stile concertato. Le jeu des textures musicales est très beau, par exemple, quand elle chante "o Clemens, o pía..." tout est mélismatique, sinueux, une cascade de mélodies très douces".

Portrait de Carlos Patiño

Recasens souligne qu'en plus d'être considérée comme l'une des meilleures œuvres de Carlos Patiño, "elle était l'une des préférées du compositeur lui-même. Nous le savons car, lorsqu'il a fait don d'une sélection de ses œuvres au Monastère de l'Escorial, choisi par lui-même comme mémorial de son œuvre, le Maria Mater Dei était l'un d'entre eux. Nous disposons également d'un portrait exceptionnel de Patiño, peint par son fils Pedro Félix et conservé à la Bibliothèque nationale, qui montre un Carlos Patiño âgé, tenant curieusement dans sa main une feuille de musique sur laquelle on peut lire Mary Mater Dei".

Albert Recasens combine recherche et mise en scène dans son travail. Chaque œuvre nécessite " une enquête très ardue, mais ensuite une partie très pratique : recherche de fonds, logistique pour que le plateau puisse être produit, transcriptions, autorisations, montage, etc. ".

Pour mener à bien ce travail, il a consulté les archives de nombreux fonds dans lesquels est conservé l'héritage du maître de Cuenca, comme ceux des monastères de Montserrat et de l'Escorial, qui conservent la principale collection de ses œuvres en latin ; ceux des cathédrales d'Avila, Burgos, Cuenca, Valence, Las Palmas, Valladolid, Ségovie, Salamanque et Saint-Jacques-de-Compostelle ; et la Bibliothèque nationale de Catalogne, entre autres.

Il a également eu accès à des documents conservés sur le Nouveau Continent : Guatemala City et Puebla, l'influence de Patiño dépassant les limites de la péninsule, poussé par la puissance de la Couronne espagnole. En fait, comme le souligne Albert Recasens, "l'importance de Patiño est centrale pour la musique sacrée de l'époque. Depuis qu'il a été nommé maestro de la Chapelle royale en 1634, il a occupé ce poste pendant trois décennies. Ce poste est un phare : toutes les églises d'Espagne regardent vers la chapelle royale, c'est le modèle à imiter, non seulement en Espagne mais dans tous les lieux influents de la monarchie hispanique de l'époque".

Le travail de proximité est essentiel

Les travaux réalisés par cet Institut ont suivi des critères historiques rigoureux. Comme le souligne Recasens : "le style dominant de la musique sacrée de l'époque a été recréé, polycoralavec deux ou plusieurs chœurs placés à différents endroits des églises : presbytère, chœur, chaire... qui jouent avec le "clair-obscur", créant un effet stéréophonique. L'enregistrement a été réalisé avec des instruments d'époque, en suivant le traité de l'époque, la façon dont il était interprété, le tempo... tout est une interprétation historiquement informée, c'est-à-dire tenant compte des informations fournies par les documents".

"Nous connaissons les principaux peintres et écrivains du XVIIe siècle, mais nous ne savons pas qui étaient les musiciens espagnols de cette époque".

Albert Recasens

Un travail que l'ICS fait connaître au grand public, une tâche essentielle dans notre pays, défend Albert Recasens : "il semble incroyable que nous sachions parfaitement qui ont été les écrivains ou les peintres remarquables du XVIe ou du XVIIe siècle dans notre pays, mais quant à notre connaissance des musiciens, nous sommes quelque peu embarrassés. Nous ne savons pas comment sonnait la musique dans les églises ; théoriquement, nous le savons, avec les manuscrits, les études... mais il manque un élément très important : la diffusion. C'est là qu'intervient le travail que nous faisons à l'ICS sur la diffusion du patrimoine musical espagnol.

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