Culture

Hugo Ball (1886-1927). Conversion au cabaret

Près d'un siècle après son retour au catholicisme, la quête artistique et intellectuelle d'Hugo Ball, fondateur de Dada, conserve tout son attrait et sa pertinence. Comme l'a écrit Paul Auster, "Les questions de Dada sont toujours les nôtres..

Felipe Muller et Jaime Nubiola-14 mai 2024-Temps de lecture : 4 minutes
balle

Dans son portrait le plus connu, Hugo Ball (1886-1927) apparaît déguisé en évêque, tout en récitant le poème dadaïste Karawane dans le sous-sol d'un café de Zurich en juin 1916. Cette scène est l'un des moments les plus singuliers de l'art contemporain et du parcours personnel de son protagoniste. L'effet de la lecture du poème semble l'émouvoir plus que tout autre : "...le poème était un poème qu'il n'avait jamais lu auparavant".Mon costume d'évêque et ma malheureuse apparition à la dernière soirée me donnent à réfléchir. Le cadre du Voltaire dans lequel elle s'est déroulée n'était pas approprié et mon moi intérieur n'y était pas préparé." (La fuite du temps, p. 145). Le but de l'expérimentation artistique et intellectuelle de Ball pourrait bien se résumer au désir sincère de trouver "...une nouvelle façon de penser...".le" le bon endroit pour ce costume "de la colonne" y "le" état intérieur pour son triste "lamentation sacerdotale"(pp. 138, 139). Peu à peu, Ball est convaincu que ce lieu et cet état convergent vers l'Église de son enfance, le catholicisme.

Cabaret Voltaire

Ball mérite de figurer dans toute histoire de l'art pour trois raisons. Tout d'abord, parce qu'il a fondé avec sa future épouse, Emmy Hennings, la Cabaret Voltaire le 5 février 1916 à Zurich. Cette salle expérimentale restera ouverte jusqu'en mars 1917. Paul Auster souligne l'audace du geste : "[...]Les questions du dadaïsme sont toujours les nôtres" (La fuite du temps, p. 7). De plus, Cabaret Voltaire a été pionnier à bien des égards. Ball et Hennings y explorent les enjeux artistiques surréalistes avant Salvador Dalí (1904-1989), ou "performatifs" et éphémères avant Joseph Beuys (1921-1986). Ensuite, parce que Ball propose l'explication la plus convaincante de l'origine du mot "...".Dada".Depuis, le terme "cabaret" est utilisé pour désigner les manifestations artistiques présentées lors des séances de cabaret. Enfin, parce qu'il a lié sa pratique artistique à un profond besoin de rédemption. Son désir de régénération s'est concentré sur la recherche d'un nouveau langage, pur et non corrompu, débarrassé du verbiage journalistique, innocent comme le babil d'un nouveau-né, même s'il est absurde, dépourvu de sens et incompréhensible.

Le dadaïsme

Ball élargit ainsi la conception de ce qui était considéré comme de l'art à son époque et baptise un mouvement artistique "...".derrière une apparence agressive et déconcertante". -a écrit Hermann Hesse (La fuite du temps, p. 18)- "non seulement la jeunesse et le désir de renouveau, mais aussi un grand désespoir face à l'indigence de son époque.". D'où vient ce dénuement ? Aux yeux de Ball, elle est directement liée à "rationalisme" y "sa quintessence, la machine" (p. 56). Selon lui, le rationalisme a inauguré une forme nécrophile de matérialisme grâce au développement de la technologie : "..." (p. 56).La machine donne à la matière morte une sorte de vie apparente. Elle déplace la matière. C'est un fantôme"(pp. 28-29). La pauvreté qui entoure la vie de Ball va des difficultés économiques au rejet intime et solide de "..." (p. 29).la machineL'"exil", avec l'exil intérieur qui en découle, d'un monde de plus en plus mécanisé. "La guerre". -Notes de Ball du 26 juin 1915 : "repose sur une grave erreur. On a confondu les hommes avec les machines. Il faut décimer les machines plutôt que les hommes. Si un jour les machines fonctionnent seules, cela aura un peu plus de sens. Le monde entier se réjouira alors, à juste titre, de les voir s'entre-déchirer." (p. 59).

A l'approche du retour à la foi de son enfance, définitif en 1921, une certaine espérance en un avenir meilleur se fait jour. deus ex machina l'encourage et la soutient : "La tête du Christ débordant de sang émergera soudain de la machine brisée." (p. 280). Le croyant Ball opposait la foi en un Dieu personnel qui parle et souffre à la violence de la machine moderne. Sa critique des systèmes philosophiques rationalistes prend également tout son sens ici et complète son expérimentation artistique : "..." (p. 280).Il n'y a pas de moteur abstrait, comme le suppose Spinoza. Le mouvement qui nous pousse ne peut être conféré que par une personne. Personare" signifie résonner" (p. 310). L'artiste qui en 1916, sous les traits d'un évêque, bégayait à travers l'Europe dans un cabaret au nom illustre, se découvre en 1921 ermite dans un désert de machines, "..." (p. 310).touché dans ce qu'il y a de plus noble en lui" : "La parole divine est un choc pour notre être le plus profond"(ibid.). Comment a-t-il pu introduire dans les mystères de la liturgie ce qui, à première vue, semble être une moquerie de la religion ? Sa réponse est sans équivoque : "Il faut se perdre pour se retrouver." (p. 46).

L'édition du journal de conversion d'Hugo Ball, publiée par Falaise avec le titre La fuite du tempsest accompagné d'un essai de Hermann Hesse, prix Nobel de littérature en 1946, et d'un texte de l'écrivain américain Paul Auster. Voici quelques lignes de chacun d'entre eux. Hesse écrit à propos de Ball : "Il ne s'agissait pas de n'importe quelle piété ou foi, ou de n'importe quel type de christianisme ou de catholicisme, mais de la quintessence de la religiosité : le besoin toujours éveillé, toujours renouvelé d'une vie en Dieu, d'un sens à nos actions et à nos idées, d'une norme de pensée et de conscience qui est au-dessus du temps, qui est au-dessus de la contestation et de la mode." (p. 20). La force de cette affirmation est frappante. Et à son tour, Auster écrit : "Par son courage intellectuel, par la conviction avec laquelle il a affronté le monde, Hugo Ball s'impose comme l'un des esprits exemplaires de notre temps.". Il s'agit sans aucun doute d'un artiste frontalier qui continue à nous inviter à la réflexion près de cent ans après sa mort.

L'auteurFelipe Muller et Jaime Nubiola

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