Dossier

Internet et la profonde nostalgie de l'autre

Le 53e message du Saint-Père pour la Journée des communications sociales examine la capacité des réseaux sociaux à générer une communauté. Différents problèmes - la haine en ligne, le manque de respect de la vie privée ou les intérêts des grandes entreprises du numérique - ont remis en question les avantages d'Internet ces dernières années. Le web peut-il, malgré tous les obstacles, apporter une réponse à notre besoin profond d'entrer en relation avec les autres ?

Juan Narbona-12 de juillet de 2019-Temps de lecture : 6 minutes

En 1967, saint Paul VI a instauré la coutume de consacrer chaque année un message à la réflexion sur la communication. Ses successeurs ont poursuivi cette initiative, confirmant l'intuition du pontife italien quant à l'importance des médias pour la vie de l'Église et la transmission de la foi.

Au cours de ces plus de 50 ans, les différents papes ont abordé une grande variété de sujets, mais si nous passons en revue les plus récents, il est facile de détecter une attention logique à la communication numérique. Les réseaux sociaux, la vérité à l'ère numérique, la pastorale et la virtualité, le dialogue et les nouvelles technologies sont quelques-unes des questions abordées par les papes.

Le message de cette année (le 53e) s'inspire d'une expression de la lettre de saint Paul aux Éphésiens, à qui l'Apôtre rappelle que "nous sommes membres les uns des autres". (Eph 4:25). Le Pape François utilise cette considération paulinienne pour méditer sur la capacité des réseaux sociaux à renforcer ou à affaiblir - selon la manière dont ils sont utilisés - les communautés humaines. Ce texte est une contribution précieuse à un mouvement plus large de réflexion sociale - qui dépasse logiquement les frontières de l'Église - sur les avantages et les inconvénients que la numérisation des relations introduit dans nos vies. Nous passons aujourd'hui 300 % minutes de plus devant un écran chaque jour qu'en 1995, un chiffre qui implique de nombreux changements non seulement dans la gestion du temps, mais aussi dans d'autres sphères fondamentales, comme l'acquisition de connaissances, les relations sociales et la formation de la personnalité. Comme l'a souligné le secrétaire du Dicastère pour la communication, Mgr Lucio Ruiz, "Le regard de l'autre a été remplacé par la contemplation d'un écran tactile, et le silence de l'autre n'est plus nécessaire pour s'exprimer sans être interrompu..

Le rêve de l'internet

À l'occasion du 30e anniversaire du lancement de la première page web, son créateur, Tim Berners-Lee, a déploré la dérive de l'internet. Le rêve d'une société connectée, où la collaboration remplacerait la concurrence, se heurte aujourd'hui à de nombreux obstacles causés par ceux qui défendent des intérêts particuliers. Les problèmes de confidentialité, l'absence de neutralité, les fake news, l'impérialisme des grandes entreprises technologiques et la fragmentation de la réglementation de l'internet dans différentes zones géographiques de pouvoir (principalement les États-Unis, l'Europe, la Chine et la Russie) sont quelques-unes des principales menaces. "Le rêve de l'internet qui enthousiasmait tant les gens ne semble pas être un grand bien pour l'humanité aujourd'hui".a déclaré Berners-Lee au CERN à Genève en mars dernier.

À cet horizon complexe du commerce numérique - dramatique, car il échappe au contrôle des utilisateurs, et en même temps, il dessine un avenir incertain pour un outil devenu indispensable pour les relations et les tâches les plus ordinaires - s'ajoute l'expérience personnelle de la façon dont Internet a progressivement envahi le moindre espace de nos vies. Nicholas Carr, un essayiste américain critique du net, a déclaré que "la technologie est l'expression de la volonté de l'homme".Avons-nous besoin de contrôler le temps ? Faisons des montres. Faisons des horloges. On veut voler ? Construisons des avions. Voulons-nous parler à ceux qui sont loin ? Inventons le téléphone. Voulons-nous nous débarrasser des limites de la réalité physique (distance, temps, espace) ? Voilà l'internet.

L'internet existe parce que nous l'avons profondément voulu. Jusqu'à présent, nos désirs inépuisables se heurtaient aux limites de l'espace, du temps ou de notre nature, mais soudain la virtualité nous offre une solution instantanée. C'est pourquoi nous passons tant d'heures sur les réseaux sociaux, nous succombons à la commodité des applications ou nous devenons accros à la conversation constante que permet la messagerie instantanée. Les technologies numériques nous enveloppent si fortement parce qu'elles promettent de satisfaire les besoins les plus profonds qui animent la volonté : l'affection des amis, l'acceptation sociale, la curiosité intellectuelle, le divertissement, etc. Les informations inépuisables contenues dans le réseau semblent être à la hauteur de nos désirs et de nos rêves infinis (car malheur à l'homme qui cesse de désirer).

La nostalgie des autres

Le message du pape François aborde l'un des principaux besoins humains auquel le réseau offre une réponse incommensurable : entrer en relation avec les autres. L'expression paulinienne "nous sommes membres les uns des autres". (Eph 4, 25) nous rappelle que l'homme a besoin de l'autre pour connaître la vérité sur lui-même. Dans les premières lignes du message, il signale la menace la plus terrible que tout individu fuit : la solitude. Dans une perspective positive, le Saint-Père nous invite à "pour réfléchir aux fondements et à l'importance de notre être-en-relation ; et pour redécouvrir, dans l'immensité des défis du contexte communicationnel actuel, le désir d'un homme qui ne veut pas rester dans sa propre solitude".. En d'autres termes, nous sommes en réseau parce que notre nature, notre façon d'être humain, nous y conduit, parce que nous aimons interagir avec les autres et parce que nous trouvons dans la technologie un outil précieux pour déployer notre instinct de vie en société.

Dans la la nostalgie des autres apparaît donc comme l'une des forces les plus puissantes. François souligne que l'origine du besoin de vivre en relation est basée sur le fait que nous avons été créés "à l'image et à la ressemblance de Dieu".d'un Dieu qui n'est pas solitude, mais communion trinitaire. Ainsi, dit le Pape, la vérité de chaque personne ne se révèle que dans la communion. Ce n'est que par la relation avec les autres que l'individu se fait un autredevient pleinement quelqu'un. C'est ainsi que le dit saint Paul : "Cessez donc de mentir, et que chacun de vous parle franchement à son prochain, car nous sommes membres les uns des autres". (Eph 4, 25). Si nous ne nous donnons pas aux autres en nous ouvrant à la relation, résume le message, nous perdons le seul moyen de nous trouver, de comprendre qui nous sommes et à quoi nous sommes appelés. 

Les réseaux promettent une communauté, mais les gens ont besoin de communion. Si le message fait une lecture positive de la capacité des réseaux sociaux, il met également en garde contre leur pouvoir destructeur, et mentionne explicitement certains méfaits frauduleux, comme la "l'utilisation manipulatrice de données personnelles pour des avantages politiques et économiques".le site "la désinformation et la déformation consciente et planifiée des faits et des relations interpersonnelles".le site "narcissisme e "l'individualisme débridéou l'identité virtuelle construite comme "contraste avec l'autre, avec celui qui n'appartient pas au groupe".. La toile peut devenir une communauté dans laquelle on peut se connecter aux autres, oui, mais aussi une toile d'araignée dans laquelle on peut se faire prendre.

L'un des derniers paragraphes du message contient les clés pour concilier la nostalgie d'entrer en relation avec les autres avec une utilisation prudente des réseaux : "Si le réseau est utilisé comme une extension ou une attente de cette rencontre [avec les autres], alors il ne se trahit pas et reste une ressource pour la communion. Si une famille utilise le réseau pour être plus connectée, puis se retrouve à table et se regarde dans les yeux, alors il s'agit d'une ressource. Si une communauté ecclésiale coordonne ses activités par le biais du réseau et célèbre ensuite l'eucharistie ensemble, il s'agit d'une ressource. Si le réseau me donne l'occasion de me rapprocher d'histoires et d'expériences de beauté ou de souffrance physiquement éloignées de moi, de prier ensemble et de rechercher le bien ensemble dans la redécouverte de ce qui nous unit, alors c'est une ressource"..

Les outils numériques, que nous apprenons progressivement à maîtriser, mettent notre humanité à l'épreuve. Nous commençons à nous rendre compte que la technologie est infinie, mais que nous ne le sommes pas ; et que son offre est virtuelle, mais que nous sommes des êtres matériels. Comme pour les forces de la nature - telles que le feu ou l'eau - nous devons canal le pouvoir de la technologie - fixer des limites et réguler son pouvoir.

"Maître de la physicalité"

Récemment, une étude sur l'amitié des adolescents a révélé un fait curieux : en 2012, la majorité des jeunes préféraient communiquer avec leurs amis en personne (49 %), devant ceux qui choisissaient de le faire par SMS (33 %) ; six ans plus tard, en 2018, les préférences ont changé : le canal privilégié pour parler à ses amis est le SMS (35 %), tandis que les conversations en face à face ne sont choisies que par 32 % des adolescents. 

Pouvons-nous vraiment être-avec-les-autres en réduisant de plus en plus la rencontre physique ? La logique dit non, car nous sommes âme et corps, et le bonheur n'admet pas le demi bonheur - le bonheur "virtuel" ou purement "spirituel" ne nous suffit pas - mais nous aspirons à la plénitude. 

L'avenir technologique est sans aucun doute entre les mains des grandes entreprises, et le développement d'innombrables promesses d'avenir passionnantes (par exemple, l'intelligence artificielle ou la réalité virtuelle) dépend d'elles. La technologie est-elle un train que l'Église a raté ? Non : en plus de continuer à inspirer le travail des innovateurs avec le message de l'Évangile, l'Église, experte en humanité, est sans doute appelée à devenir "expert physique". Elle devra rappeler une fois de plus au monde l'importance du corps et des sens physiques profondément liés à l'âme ; elle devra inviter à vivre la charité dans la rencontre physique, en créant des espaces et des occasions de contact personnel, en invitant à exercer la charité d'"être là" - quel bien peut faire un appel téléphonique au lieu d'un confortable... WhatsappElle devra souligner davantage le rôle central des sacrements et des célébrations communautaires, etc. 

L'Église n'est pas seule à devoir relever le défi de l'humanisation des technologies numériques, mais elle est accompagnée par d'autres forces sociales. Je me réfère, fondamentalement, à la famille et aux centres éducatifs. Ce sont les espaces appropriés pour apprendre l'art d'être humain dans un monde numérique : où utiliser la technologie pour communiquer avec les autres et apprendre à se déconnecter pour écouter ; où faire taire un commentaire en ligne et être capable de discuter sans se blesser hors ligne ; où naviguer pour connaître le monde et, en même temps, dialoguer pour comprendre son voisin.

Prolongation y attendre : Ces deux mots du message fournissent la clé de l'utilisation bénéfique des réseaux sociaux, car ils prolongent la relation avec les autres ou nous y préparent, mais ils ne remplacent pas l'autre. Le défi est peut-être d'offrir à ceux qui nous entourent et à nous-mêmes des raisons suffisantes de faire des rencontres personnelles, de recevoir des autres ce bonheur que seul un autre peut nous donner. n

L'auteurJuan Narbona

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