La théologie du 20ème siècle

La sagesse théologique et humaine de Gérard Philips

Juan Luis Lorda-12 de mai de 2017-Temps de lecture : 7 minutes

Gérard Philips (1899-1972) était un excellent théologien de Louvain mais, surtout, un protagoniste du Concile Vatican II. C'est à sa foi, à sa sagesse, à son travail, à sa connaissance des langues et des personnes que nous devons une grande partie des travaux qui ont permis d'approuver la Constitution dogmatique du Concile Vatican II. Lumen Gentium comme la rédaction de ce document, le plus important du Conseil.

Juan Luis Lorda

"Il peut sembler un peu étrange d'écrire, au cours d'une retraite spirituelle, un mémoire sur le Conseil. Mais il ne me semble pas qu'il s'agisse d'une déviation (je me fais peut-être des illusions). Car dans cette histoire, c'est Dieu qui montre le chemin, un chemin extraordinaire et parfois inexplicable".. C'est ainsi que Gerard Philips consigne ses impressions, ses expériences et ses souvenirs le 10 avril 1963, dans des notes personnelles qui seront publiées à titre posthume en 2005 (Carnets conciliairesPeeters, Louvain 2006, 94-95).

Une tâche difficile

"Quand je prie, il me semble clair que nous devons tous lever les yeux vers Lui, c'est-à-dire prendre le risque de le regarder sans poser de conditions, tout simplement ; [...] avec la bonne volonté d'utiliser notre intelligence et de ne pas ménager nos efforts et, peut-être avant tout, d'être réceptifs et patients, sans nous énerver".. Le lendemain, il écrit qu'il essaie de bien comprendre chaque position, de n'offenser personne, et que chacun peut se sentir reflété dans le texte. Ce n'est pas une œuvre de compromis, mais il y parvient, d'une part, en approfondissant la doctrine et en s'efforçant d'étayer et d'exprimer très bien les idées ; et, d'autre part, en consacrant beaucoup de temps et d'affection à écouter et à s'expliquer avec ceux qui pourraient se sentir mal à l'aise. Cet engagement d'accueil sera aussi la volonté de Paul VI, qui veillera à ce que les documents soient approuvés par de très larges majorités, quatre-vingt-dix pour cent des évêques.

C'est ainsi que Philips a gagné, par exemple, la confiance du Père Tromp, une grande figure de l'Université Grégorienne (auteur de Mystici Corporis) et principal inspirateur du document préparatoire sur l'Église, qui avait été rejeté comme étant trop scolastique, ce qui l'avait laissé dans une position snob (aux larmes, rappelle Philips). Il a également surmonté la forte réticence initiale du cardinal Ottaviani, préfet du Saint-Office et donc responsable des documents préparatoires retirés. Philips, qui est un homme de foi, apprécie l'amour de ces hommes pour l'Église, même si leur théologie a été dépassée par le grand renouvellement des inspirations au cours de la première moitié du XXe siècle.

Ceci, et le fait qu'il soit un grand latiniste, font de lui un expert indispensable. Dans le Journal du Conseil de Congar, les références se multiplient : "Le tempérament de Philips est admirable, aidé par une parfaite maîtrise du latin. Il a une grâce remarquable, une aménité profonde, qui vient d'un respect intérieur pour les autres et pour la vérité. Si tout était à son image, comme tout irait bien !" (7-III-1962).

Lumen Gentium

Lorsqu'il écrit ses notes, beaucoup de choses se sont déjà passées au Conseil. Philips travaille depuis la Commission préparatoire. Et des circonstances imprévues et providentielles l'ont placé dans une position qu'il n'avait pas recherchée. Le cardinal Suenens, aujourd'hui primat de Belgique, insatisfait de l'approche initiale du Conseil, lui demande de rédiger un document alternatif à l'avis de la Commission. De Ecclesiaqu'elle diffuse ensuite.

Cela place Philips dans une situation plutôt compromettante car, d'une part, il fait partie de l'équipe qui, avec Tromp, a rédigé le document préparatoire à présenter à l'assemblée (il a rédigé, par exemple, le chapitre sur le laïcat) ; et, d'autre part, il apparaît comme l'auteur d'une alternative que la Commission préparatoire apprend de l'extérieur. Ce ne serait pas la seule alternative, car les évêques allemands, pour ne pas être en reste, en ont proposé une autre (rédigée par Grillmeier) inspirée par Rahner et Ratzinger, basée sur l'idée de l'Église comme sacrement originel, mais elle n'a pas abouti car elle a été jugée trop complexe (et en mauvais latin). Toutefois, l'inspiration principale sera reprise (sous la forme souple donnée par Philips) dans le premier numéro de la Constitution : "L'Église est dans le Christ comme un sacrement, c'est-à-dire un signe et un instrument de l'union intime avec Dieu et de l'unité de tout le genre humain"..

Après la paralysie initiale du Concile, avec le rejet de tous les documents préparés par un trop grand nombre de scolastiques, la version de Philips reste comme une base pour relancer le document sur l'Église. Mais ce n'est que par le délicat travail de se faire comprendre et de pardonner la "trahison" qu'il est parvenu à unir les volontés. Et puis il a fait un énorme travail de bureau pour accepter sincèrement toutes les corrections, améliorations et ajouts suggérés par les évêques. Il parvient à trouver des formules appropriées pour des questions difficiles telles que le rapport entre la primauté et la collégialité des évêques, ou les critères d'appartenance à l'Église (dans quelle mesure les non-catholiques ou même les non-chrétiens en font partie). Et lorsqu'il est décidé d'intégrer dans Lumen gentium le texte sur la Vierge au lieu de le publier séparément, il l'écrit lui-même (chapitre VIII).

Autres ouvrages conciliaires

En plus de faire partie de la sous-commission qui compose la Lumen Gentiuma été élu secrétaire adjoint de la Commission conciliaire de la foi (2 décembre 1963), qui était le guide théologique du Concile. Il est le personnage le plus exécutif et celui qui parle le plus avec tous les théologiens, mais il parle aussi avec Paul VI, qui l'apprécie sincèrement. Il est sollicité pour la rédaction de Dei VerbumL'auteur de la Constitution sur les sources de la révélation, à laquelle il apporte quelques précisions importantes. Et il est vu comme la personne qui doit homogénéiser et réviser la Constitution pastorale sur l'Église dans le monde moderne (Gaudium et spes).

Trop de travail, ce qu'il accepte volontiers. Il répète souvent Non recuso laborem (pas de refus de travail). Puis, au début de la dernière session du Conseil, alors que tout était prêt, une crise cardiaque (25 octobre 1965) l'oblige à rentrer à Louvain. Il ne pourrait pas participer directement à la joie d'atteindre la fin. Il a réaffirmé sa conviction : "Nous savons déjà que Dieu n'a besoin de personne".. Il ne se sentait pas indispensable. C'était un homme au passé spirituel qui, au milieu d'un travail et d'urgences écrasants, ne manquait jamais de trouver le temps de prier et de réciter le chapelet, comme en témoignent ceux qui ont vécu avec lui.

De Sint Truiden à Leuven

Gerard Philips est né en 1889, à Sint Truiden (Saint-Trond), une ville belge flamande située à environ 70 kilomètres de Bruxelles (avec une équipe de football), dans une famille catholique très pratiquante, comme la plupart des Belges (et encore plus dans la région flamande) à cette époque. Il avait un autre frère qui était prêtre, une sœur qui était religieuse, une autre sœur qui était mariée, et la troisième, Roza, a consacré sa vie à l'aider, à la fois comme secrétaire personnelle et comme aide domestique.

Il entre au séminaire de Saint-Trond en 1917, et après deux ans de philosophie, il est envoyé à la Grégorienne pour la théologie (1919-1925). Parmi ses compagnons figure le futur cardinal Suenens, avec lequel il entretient une relation longue et complexe. Ordonné en 1922, il a présenté un mémoire pour le nouveau diplôme de "Maître en théologie", sur La raison d'être du mal selon Saint Augustin (1925). De retour dans son diocèse, il est chargé d'enseigner la philosophie (1925-1927), mais très vite il est envoyé à Liège pour enseigner la dogmatique (1927-1944) : il couvre pratiquement tout le diocèse et se distingue par une grande attention à la théologie positive : c'est-à-dire à l'étude préalable des thèmes de l'Écriture Sainte, de la patristique et de l'histoire de la théologie. Il acquiert ainsi une admirable culture théologique, qui lui sera d'une grande utilité par la suite.

En pleine maturité, il est appelé à Louvain pour apporter ses connaissances historiques et patristiques à la dogmatique (1942-1969). En tant que nouveau venu (et avec une mission non officielle), il a dû surmonter les réticences initiales et, en quelques années, il a réussi à rassembler de nombreux professeurs dans des réunions théologiques animées, qui ont duré de nombreuses années. Louvain était vraiment à un moment spectaculaire : Charles Moeller, Thills, Onclin, Ceuppens. 

Autres pions

Philips n'a jamais été un simple théologien de bureau. Il considérait la théologie comme un exercice du ministère sacerdotal, et il l'a rendu compatible, du début à la fin de sa vie, avec un intense dévouement pastoral.

Il s'intéresse de près à l'Action catholique promue par Pie XI (1928) et en est l'aumônier et le responsable tout au long de sa vie sacerdotale (1928-1972). C'est la base de son intérêt théologique pour les laïcs (il est devenu un expert reconnu), mais cela l'a également obligé à développer ses dons de communicateur afin de traduire la théologie spéculative dans un langage compréhensible pour les gens ordinaires. Cela l'aidera dans sa mission conciliaire.

Il a également succédé à un autre ecclésiastique en tant que sénateur du parti chrétien-social (1953-1968) et a joué un rôle actif dans la promotion des initiatives chrétiennes, en veillant toutefois à ne pas mélanger les choses de Dieu avec celles de César. De nombreuses questions importantes étaient en jeu : la sécularisation de l'enseignement, l'évangélisation et l'éducation au Congo (future indépendance). En outre, il a accompli un travail sacerdotal d'attention personnelle auprès de nombreux sénateurs et a organisé des retraites. Il a beaucoup appris sur la façon de gagner des soutiens et de concilier les volontés, et sur la façon de faire la distinction entre un adversaire et un ennemi.

Si l'on ajoute à cela sa remarquable facilité à manier les langues, on doit reconnaître qu'il était très bien préparé lorsqu'il a été appelé à participer aux travaux du Conseil.

Retournez chez vous et commentez à Lumen gentium

Son retour au pays lui permet de reprendre son enseignement habituel à Louvain jusqu'à sa retraite en 1969. Il a tenté de répondre à certaines des nombreuses invitations à expliquer certains aspects de la théologie conciliaire, et a écrit son grand commentaire sur Lumen Gentiumen deux volumes : L'Église et son mystère au Concile Vatican II.

Il s'agit certainement d'une œuvre majeure de l'ecclésiologie du vingtième siècle, car c'est le commentaire le plus informé de l'ecclésiologie du Concile. Personne ne sait mieux que Philips ce qui se cache derrière chaque expression, car il a dû les mesurer les unes après les autres. L'ouvrage ne regorge pas de références historiques ou anecdotiques qui auraient ajouté à son intérêt, mais on peut les trouver dans les carnets publiés.

Ces dernières années

Outre les problèmes de santé (infarctus à répétition), il y avait la douleur causée par la division linguistique de l'Université de Louvain, qui s'est terminée par une division totale, comme celle de l'enfant de Salomon (mais ici elle a été réalisée). Et il est beaucoup plus peiné par la situation de l'Église, qu'il voit se détériorer très vite aux Pays-Bas, mais aussi en Belgique. Il se plaint de ceux qui veulent promouvoir un Concile Vatican III sans avoir lu Vatican II. Et il essaie de mener un apostolat théologique et de dialoguer avec les dissidents (Schoonenberg), pas toujours avec succès. En outre, il effectue un important travail de sensibilisation.

Habitation trinitaire et grâce

Mû par un élan de spiritualité, il écrit ensuite une importante série d'articles sur la grâce dans le magazine Ephémérides Theologicae Lovaniensesqui sont ensuite rassemblées dans une magnifique monographie : Habitation trinitaire et grâce. C'est l'un des meilleurs livres que l'on puisse lire sur l'histoire de la doctrine de la grâce. Il a trois grandes réussites. Tout d'abord, au lieu de parler de la grâce de manière abstraite et souvent réifiée, il la relie toujours à l'action vivante de l'Esprit Saint et à la spiritualité trinitaire. Deuxièmement, elle est d'une profonde inspiration scripturaire et patristique qui se combine parfaitement avec l'apport de la scolastique. Troisièmement, cet accès ciblé lui permet de comprendre beaucoup mieux la tradition orthodoxe, qui est très dépendante de Grégoire Palamas (14e siècle). Et ainsi surmonter de douloureux malentendus.

Dans le Introduction à ce livre remarquable ouvre son esprit : "En ces temps où les fondements de la foi semblent désarticulés et où les théologiens écrivent sur la mort et l'enterrement de Dieu, il peut sembler présomptueux de préparer un livre sur l'union personnelle avec le Dieu vivant. Cependant, pour sortir du malaise qui règne autour de nous, rien de plus efficace que d'explorer l'enseignement de l'Église et de la vraie théologie sur notre union de personne à personne avec le Père, le Fils et le Saint-Esprit"..

Conclusion

Il consacre encore ses derniers efforts à la préparation d'un bel article sur les Marie dans le plan du salut. Ainsi son œuvre, peu étendue mais très précieuse, reflète bien les grands intérêts de sa carrière théologique : l'Église, la grâce, Marie. Son cœur n'en peut plus et il meurt le 14 juillet 1972 à Louvain, où il vit avec sa fidèle sœur Roza. Il sera enterré dans son lieu d'origine, Sint Truiden.

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