Culture

Hannah Arendt et la nostalgie de Dieu

L'attrait de la figure et de la pensée de Hannah Arendt se renforce de jour en jour. Elle ne parle pas de Dieu, mais ses lecteurs peuvent peut-être reconnaître la nostalgie de Dieu dans sa défense courageuse de l'être humain et de sa raison.

Carmen Camey et Jaime Nubiola-27 décembre 2016-Temps de lecture : 5 minutes
Hannah Arendt

Hannah Arendt est une femme difficile à cataloguer. Bien que d'origine juive, elle n'était pas religieuse et ne croyait pas en Dieu de manière traditionnelle. Elle s'est dite agnostique à plusieurs reprises, mais Hannah Arendt était une femme de foi. Elle a passé la majeure partie de sa vie à essayer de faire en sorte que ses contemporains la retrouvent : foi en la raison, foi en l'humanité, foi dans le monde. Deux éléments persistent tout au long de sa vie et de son œuvre : la confiance et la réflexion. Ils se nourrissent mutuellement : Arendt avait confiance dans la pensée, et plus elle pensait, plus sa confiance en elle augmentait.

La personne

Hannah Arendt est née en octobre 1906 dans un village près de Hanovre. Elle a étudié à Marbourg, où elle a rencontré Martin Heidegger, puis s'est rendue à Fribourg pour étudier avec Husserl, et a finalement obtenu son doctorat à Heidelberg en 1929 avec une thèse portant sur Le concept d'amour chez Saint Augustin, réalisé par Karl Jaspers. Durant ces années, elle est très active politiquement et, compte tenu de la persécution des Juifs, elle décide d'émigrer aux États-Unis, où elle s'installe avec son second mari Heinrich Blücher à partir de 1941. Aux États-Unis, elle a travaillé comme journaliste et conférencière en sciences politiques dans différentes universités. Elle a longuement réfléchi à ses expériences de vie en Allemagne et aux États-Unis. En 1951, elle a obtenu la citoyenneté américaine après des années d'apatridie suite au retrait de sa citoyenneté en Allemagne.

En 1961, elle a été envoyée comme reporter par Le New Yorker à Jérusalem pour rendre compte du procès d'Adolf Eichmann, le haut commandant nazi arrêté en Argentine et emmené en Israël. Le résultat de cette expérience a été son livre Eichmann à Jérusalem qui était et est toujours si controversée. Arendt propose une thèse pour tenter de comprendre comment des hommes et des femmes apparemment normaux ont pu se prêter aux atrocités commises pendant l'Allemagne nazie. Elle a soutenu que le mal d'un homme comme Adolf Eichmann, un exemple d'homme ordinaire, n'était pas un mal calculé, sadique ou idéologique, mais, au contraire, un mal banal, superficiel, le résultat non pas d'un excès de pensée, mais précisément de son absence.

Selon Arendt, c'est l'incapacité personnelle à donner une réponse réfléchie à une situation morale conflictuelle qui a conduit ces personnes à devenir des meurtriers et des collaborateurs du mal. Cette tentative de faire la lumière sur ce qui s'est passé entre 1940 et 1945 lui a valu de sévères critiques pour avoir "défendu un nazi et trahi son propre peuple". Ce que beaucoup n'ont pas compris, c'est que, lors du procès d'Eichmann, le philosophe allemand n'a pas essayé de défendre un démon, mais de défendre l'humanité.

Les raisons du mal

La situation intellectuelle et générale dans laquelle Hannah Arendt développe sa thèse de la banalité du mal était une situation de méfiance à l'égard du monde et de l'homme lui-même. Les gens se méfiaient de la raison parce qu'ils pensaient qu'elle avait conduit à des désastres aussi immenses : c'est la raison qui avait construit les chambres à gaz et les armes nucléaires. Ce qu'Arendt réussit à faire est précisément de réfuter cette idée en affirmant que le mal n'a pas de profondeur, que le mal - en règle générale - ne vient pas du calcul, mais précisément d'un manque de réflexion, de la superficialité.

Arendt retrouve la confiance en l'homme en tant qu'être capable de faire le mal sans être le mal absolu ; dans sa conception de l'homme, il y a place pour la rédemption, pour l'espoir que lorsque l'homme se comporte comme tel, il ne devient pas un démon. Nous sommes capables de faire le mal, mais ce n'est pas la pensée qui nous y conduit, ce ne sont pas nos qualités les plus humaines, mais plutôt l'incapacité à les utiliser pleinement, qui peuvent nous amener à commettre des crimes horribles.

La réflexion nous amène à poser les questions ultimes. Ce sont ces mêmes principes que nous invoquons lorsque nous avons des doutes sur nos actions, lorsque nous sommes à un carrefour moral et que nous avons besoin de conseils. Le problème se pose lorsque ces principes n'existent pas, lorsque le refus de penser les a transformés en clichés vides qui s'effondrent à la moindre pression et ne nous permettent pas d'être en mesure de donner une réponse raisonnée et personnelle aux problèmes.

La foi en l'homme, la foi en Dieu

Ce désir de sacralisation, d'une plus grande foi en l'homme et ses capacités, est transparent dans toutes les œuvres d'Hannah Arendt, dans lesquelles tous les grands idéaux humains sont vénérés. Alfred Kazin explique que la lecture d'Arendt évoque en lui un monde auquel nous devons toutes nos conceptions de la grandeur humaine. Sans Dieu, nous ne savons pas qui nous sommes, nous ne savons pas qui est l'homme. C'est ce à quoi la philosophie d'Arendt semble faire allusion : sa confiance et sa gratitude pour le don de l'être. Sa foi en la justice, en la vérité, en tout ce qui fait la grandeur et la bonté de l'homme a fait d'elle une incomprise qui s'est détournée des conventions d'un monde qui réduisait la grandeur et le mystère de l'homme. Arendt est loin du nihilisme et de la frustration auxquels beaucoup sont arrivés après avoir été témoins des événements du siècle dernier, car elle ne perd pas espoir et sa recherche de la vérité évoque quelques fissures à travers lesquelles elle s'ouvre à une réalité transcendante, à un mystère insondable, à Dieu.

Arendt montre une ouverture à une réalité transcendante parce qu'elle n'a pas une foi aveugle en l'être humain ; elle est parfaitement consciente de ce dont l'homme est capable, elle ne ferme pas les yeux sur le mal humain. Mais ce n'est pas un motif de désespoir, car sa foi ne porte pas seulement sur l'homme lui-même, mais sur ce qui fait la grandeur de l'homme. Il est conscient que lorsque l'homme ne croit qu'en lui-même, il est frustré, il n'est pas capable d'être pleinement homme. Cela se reflète, par exemple, dans la conversation que Hannah Arendt a eue un soir avec Golda Meir. Elle lui a dit : "Étant moi-même socialiste, je ne crois naturellement pas en Dieu. Je crois au peuple juif".. Et Arendt expliquera : "Mais j'aurais pu lui dire : la grandeur de ce peuple a brillé à une époque où il croyait en Dieu et croyait en Lui de telle manière que son amour et sa confiance en Lui étaient plus grands que sa peur. Et maintenant ce peuple ne croit qu'en lui-même... Quel bien peut-il en résulter ?".. Précisément, la vision d'Arendt est porteuse d'espoir parce qu'elle ne fait pas seulement confiance à ses propres capacités, mais à quelque chose qui dépasse l'être humain, elle laisse place au mystère, à l'imprévisibilité. (imprévisibilité) dont il aime tant parler. Le vrai mal, pour l'homme, c'est de renoncer à être un homme, c'est de devenir superflu. en tant qu'être humain et cela arrive quand l'homme n'a confiance qu'en lui-même.

Ce que fait Arendt dans ses écrits, c'est de préparer le terrain pour Dieu. Dans un monde où l'homme est mauvais et où sa raison est mauvaise, Dieu ne peut exister. Dieu existe quand l'être humain se comprend tel qu'il est, quand il sait qu'il possède de grandes capacités et qu'il est en même temps capable des plus grandes horreurs, quand il a confiance en lui et qu'il laisse en même temps la place au mystère qui le dépasse. Dans la philosophie d'Arendt, on peut donc percevoir cette ouverture et cette confiance qui sont très éloignées du néant et très proches de Dieu.

L'auteurCarmen Camey et Jaime Nubiola

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