Trois sages médiévaux et l'existence de Dieu

Dans cet article, l'auteur passe en revue trois figures : Anselme de Canterbury, Richard de Saint-Victor et Thomas d'Aquin, exemples d'une vaste culture et d'une foi solide.

7 décembre 2023-Temps de lecture : 6 minutes

Photo : Anselme de Canterbury, Thomas d'Aquin et Richard de Saint-Victor

Anselme de Canterbury, Richard de Saint-Victor et Thomas d'Aquin sont trois exemples d'intelligence, d'étude, de raisonnement et de foi qui ont donné naissance à d'éminentes écoles de pensée et dont l'influence traverse l'histoire jusqu'à nos jours.

Anselme de Canterbury

Anselme de Canterbury est né à Aoste (Italie du Nord) en 1033 ou 1034. Fils de parents nobles, descendants d'un peuple germanique, les Lombards, il commence, après la mort de sa pieuse mère, une vie dissipée et connaît un conflit avec son père qui le pousse à quitter la maison paternelle. Attiré par la renommée de Lancfranco, maître d'école en Normandie, il rejoint l'école et, en 1060, entre comme moine à l'abbaye normande du Bec. En 1078, il est élu abbé du Bec, succédant à Lanfranc. En 1093, il est ordonné archevêque de Canterbury, où il meurt en 1109.

Dans la lignée des augustiniens, il définit la théologie comme une foi qui cherche à comprendre. Il est surtout connu pour son célèbre argument, qui figure au début de son ouvrage Proslogion et qui a été qualifié par Kant d'ontologique parce qu'il cherche à démontrer l'existence de Dieu à partir de l'idée même de Dieu, sans recourir à la création, à l'Écriture sainte ou à la tradition patristique :

Alors, Seigneur, Toi qui donnes l'intelligence de la foi, accorde-moi, dans la mesure où cette connaissance peut m'être utile, de comprendre que Tu existes, comme nous le croyons, et que Tu es ce que nous croyons.  

Nous croyons qu'au-dessus de Toi, rien ne peut être conçu par la pensée. Il s'agit donc de savoir si un tel être existe, car l'insensé a dit dans son coeur : "Il n'y a pas de Dieu". Mais quand il entend dire qu'il y a un être au-dessus duquel on ne peut rien imaginer de plus grand, ce même insensé comprend ce qu'il a entendu dire ; la pensée est dans son intelligence, même s'il ne croit pas que l'objet de cette pensée existe. Car c'est une chose d'avoir une idée d'un objet quelconque et une autre de croire à son existence. En effet, lorsque le peintre pense à l'avance au tableau qu'il va peindre, il l'a certes en tête, mais il sait qu'il n'existe pas encore, puisqu'il ne l'a pas encore exécuté. Quand, au contraire, il l'a peint, non seulement il l'a dans l'esprit, mais il sait qu'il l'a fait. L'imbécile doit convenir qu'il a dans l'esprit l'idée d'un être au-dessus duquel on ne peut concevoir rien de plus grand, parce qu'en entendant énoncer cette pensée, il la comprend, et que tout ce qui est compris est dans l'intelligence : et sans doute cet objet au-dessus duquel on ne peut concevoir rien de plus grand n'existe pas seulement dans l'intelligence, parce que, s'il existait, on pourrait au moins supposer qu'il existe aussi dans la réalité, nouvelle condition qui ferait un être plus grand que celui qui n'a d'existence que dans la pensée pure et simple.

Ainsi, si cet objet au-dessus duquel il n'y a rien de plus grand n'était que dans l'intelligence, il serait néanmoins tel qu'il y aurait quelque chose au-dessus de lui, conclusion qui ne serait pas légitime. Il existe donc, d'une certaine manière, un être au-dessus duquel rien ne peut être imaginé, ni en pensée, ni en réalité.

Ricardo de San Victor

Richard de Saint-Victor était originaire d'Écosse et a vécu de 1110 à 1173. Il rejoignit l'abbaye de Saint-Victor à Paris et fut élu vice-prieur en 1157, succédant à son maître Hugo comme prieur, poste qu'il occupa jusqu'à sa mort. Dante Alighiere, dans sa Divine Comédie, place Richard au Paradis, dans la quatrième sphère, où il a placé les sages. Dans son dixième Canto, Dante dit :

Voyez d'ailleurs l'esprit ardent qui flamboie/ d'Isidore, de Bède et de Richard/ qui, pour lui, était plus qu'un homme.

Richard de Saint-Victor utilise trois moyens pour prouver l'existence de Dieu :

Premièrement. - La temporalité des êtres perçus soutient la nécessité d'un Être éternel.

Deuxièmement. - Dans les êtres que nous percevons par les sens, on observe une augmentation de la perfection entre eux, ce qui rend nécessaire l'existence d'un Être qui est toute perfection.

Troisièmement. - A partir des êtres saisis par les sens, il est possible de déduire les essences qui les composent et qui trouvent un modèle exemplaire dans l'essence de Dieu.

Augustin d'Hippone, dans son ouvrage De TrinitateIl dit : "Si vous voyez l'Amour, vous voyez la Trinité". Richard de Saint-Victor, dans son ouvrage De Trinitate, a développé cette vision de la Trinité divine proposée par saint Augustin. Il tente de répondre à trois grandes questions sur le Dieu trinitaire chrétien :

1er - Pourquoi l'unité divine implique la pluralité.

2ème - Pourquoi cette pluralité est de trois.

3ème : Comment comprendre ces trois personnes.

Pour y répondre, elle part de l'amour comme catégorie fondamentale :

1) Il n'y a pas de véritable amour sans altérité. L'amour de soi n'est pas le véritable amour. Si le Dieu unique est l'amour parfait, il doit y avoir plusieurs personnes.

2º - Trois Personnes et non deux, parce que l'amour parfait ne s'enferme pas dans la dualité, mais s'adresse à une troisième : le Condilectus, l'Ami commun des deux autres Personnes.

Ricardo de San Víctor passe en revue le concept de Personne, une catégorie utilisée pour comprendre le Père, le Fils et le Saint-Esprit.

a) La personne est avant tout le sujet de soi-même. Ce n'est que dans la possession de soi que l'essence, c'est-à-dire la nature, peut se personnaliser et se personnalise (la nature est le quid, ce que je suis, et la personne est le quis, ce que je suis) : en tant que personne, je me possède moi-même et je peux agir en tant que maître de ma propre réalité.

b) Une personne est ce qu'elle est selon son origine. Pour être maître de soi, il faut préciser la manière dont on l'est. Le Père est maître de sa propre nature divine innée. Le Fils est maître de sa propre nature divine reçue du Père. L'Esprit Saint possède cette même nature qu'il reçoit du Père et du Fils.

c) La personne est communion : le Père, le Fils et le Saint-Esprit possèdent leur nature divine dans la mesure où ils la donnent, la reçoivent et la partagent ; ils se possèdent eux-mêmes dans la mesure où ils se donnent dans l'amour.

La Trinité est donc une seule et même nature divine réalisée en trois personnes. Le Dieu qui nous est révélé dans l'Évangile est un Dieu trinitaire. Un Dieu solitaire et prétrinitaire, sans amour intérieur, est inconcevable aux yeux chrétiens de Richard de Saint-Victor. Selon l'Évangile, Dieu est Amour et le processus de réalisation de cet Amour est le mystère trinitaire, la Vie comme abandon, accueil et rencontre, existence partagée.

Thomas d'Aquin

Thomas d'Aquin est né à Roccasecca, près d'Aquino, dans le nord du royaume de Naples, vers 1225. En 1244, il prend l'habit de saint Dominique à Naples. Il étudie avec Albert le Grand à Paris et à Cologne. En 1252, il retourne à Paris où il devient maître en théologie. Il meurt à Fossanova en 1274 avant l'âge de 50 ans. Il est canonisé en 1323. Son œuvre la plus importante est la Somme théologique.

Thomas affirme que, tout comme la théologie est fondée sur la révélation divine, la philosophie est fondée sur la raison humaine. La philosophie et la théologie doivent être vraies : Dieu est la vérité même, et la révélation ne peut être mise en doute ; la raison, utilisée à bon escient, nous conduit également à la vérité. Il ne peut donc y avoir de conflit entre la philosophie et la théologie. Il démontre l'existence de Dieu de cinq manières, qui sont les fameuses cinq manières :

1er - Par le mouvement : il y a mouvement ; tout ce qui bouge est mû par un moteur ; si ce moteur bouge, il aura à son tour besoin d'un autre moteur pour le mouvoir, et ainsi de suite, jusqu'à atteindre le premier moteur, qui est Dieu.

2ème - Par la cause efficiente (cause qui a le pouvoir de réaliser un effet donné) : il y a une série de causes efficientes ; il faut une cause première, car sinon il n'y aurait pas d'effet, et cette cause première, c'est Dieu.

3ème - Pour le possible et le nécessaire : la génération et la corruption montrent que les entités que nous observons peuvent être ou ne pas être, elles ne sont pas nécessaires. Il doit y avoir une entité nécessaire en soi, et elle s'appelle Dieu.                                                                      

Par les degrés de perfection : il y a différents degrés de toutes les perfections, qui sont plus ou moins proches des perfections absolues, et sont donc des degrés de celles-ci ; il y a donc une entité qui est suprêmement parfaite, et qui est l'entité suprême ; cette entité est la cause de toute perfection et de tout être, et s'appelle Dieu.

Pour le gouvernement du monde : les entités intelligentes tendent vers une fin et un ordre, non par hasard, mais par l'intelligence qui les dirige ; il y a une entité intelligente qui ordonne la nature et la conduit vers sa fin, et cette entité est Dieu.

L'idée qui anime les cinq voies est que Dieu, invisible et infini, est démontrable par ses effets visibles et finis.

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