Nous pensions tous qu'il s'agissait d'un conte, ou au mieux d'un fléau qui s'auto-définissait aux frontières du pays de la Grande Muraille, des guerriers de terre cuite et du Kung Fu. Mais ce n'était pas le cas. Doté d'une claire vocation impérialiste (il devait être chinois !), le petit dragon à virus couronne a conquis le monde en quelques mois. Après quelques escarmouches - presque à titre d'essai - en Iran, en Corée et à Singapour, elle a progressé régulièrement vers les États membres de l'OTAN (et les pays voisins), les occupant presque sans rencontrer de résistance. Il ne pouvait en être autrement ; les occidentaux, aveuglés par notre "le délire de l'omnipotence". (Raniero Cantalamessa dixit), nous avons sous-estimé le microscopique oriental jusqu'à la nausée, et cette arrogance a fait des ravages. Le virus est arrivé soudainement, a exposé notre vulnérabilité et, nous isolant dans nos maisons (oui, tout comme les virus sont isolés dans les laboratoires), nous a envoyés dans le coin de la réflexion.
Il nous a envoyé dans le coin de la réflexion et a enlevé la futurparce qu'il a balayé tous nos projets, plans, agendas et calculs d'Occidentaux autosuffisants et souffrant d'hyperactivité. L'avenir, en effet, est une tension vers l'avant, un mouvement de ce qui est vers ce qui sera. Le futur s'exprime par des phrases comme "dimanche prochain, j'irai à la manifestation" ou "je n'échapperai jamais à l'enfermement", et il est lié à ce qui est prévisible, à ce qui est programmé, à l'orientation de nos actions. En fin de compte, l'avenir dépend de ce que nous pouvons contrôler. La civilisation occidentale, dans ses efforts pour contrôler la réalité, ne pensait qu'en termes d'avenir. Les politiques antinatales et de genre, ainsi que l'euthanasie, sont des exemples de cette obsession du contrôle. Une obsession qui atteint des niveaux extrêmes avec le projet transhumaniste qui aspire à nous transformer en posthumains (des êtres plus proches d'une divinité que de l'homme).
La civilisation occidentale a enfermé la réalité dans ses propres schémas mentaux, en partant du dogme que tout est une construction humaine, un produit culturel... et s'est enivrée de l'avenir. Elle a inventé des utopies/idéologies telles que le scientisme, le libéralisme, le communisme, le nationalisme, l'idée de "progrès", etc., qui sont autant de substituts à la religion et visent à construire une sorte de paradis sur Terre. Il a tué Dieu, il a nié la nature, et il a insisté pour se sauver par lui-même et de lui-même. En d'autres termes, il s'est accroché à la futur sans plus attendre.
Et au milieu de ce brouhaha infernal d'agendas et de programmes qui se sont succédé, tantôt s'alliant, tantôt s'affrontant, le petit dragon coronaviral a soudain fait irruption pour nous arracher l'avenir et nous laisser nus devant le... futur. Nus et abasourdis comme Adam après avoir mangé sa tarte aux pommes. Et pourquoi cela nous a-t-il laissé avec ce sentiment de nudité ? Parce que dans la tentative désespérée de contrôler notre destin, nous avons condamné l'avenir à l'ostracisme. Nous avions rejeté ce qui nous place devant l'horizon de l'imprévu et de l'incontrôlé. Car c'est le devenir, ce qui vient vers nous, ce qui nous rencontre. Le futur est ce qui fait irruption dans nos vies. "...comme l'éclair dans un orage, fracturant la nuit".selon le philosophe Fabrice Hadjadj.
C'est ainsi que la pandémie nous a rencontrés. Elle est entrée brusquement dans ce temple d'adoration de l'humanité qu'est devenu l'Occident (comme la police le fait dans les temples catholiques européens pour suspendre les messes), et nous a rappelé, de manière très douloureuse, que l'avenir existe aussi. Que notre histoire est le résultat d'un jeu dialectique sophistiqué entre le futur et le futur. Entre nos calculs et nos prévisions, et ce qui nous arrive d'un surplus de réalité que nous ne contrôlons pas. C'est précisément pour cette raison que les personnes de foi sont invitées à dire "demain, j'irai à tel endroit" ou "le semestre prochain, je ferai telle ou telle chose", mais en ajoutant "si Dieu le veut" ou "si Dieu le veut" ou "si Dieu le veut". Car il ne s'agit certainement pas de choisir entre l'avenir ou le futur, mais de comprendre qu'ils s'impliquent mutuellement, avec toutefois une réserve, comme l'observe Hadjadj : c'est l'avenir qui est subordonné au futur, et non l'inverse. Peut-être que ce temps passé dans le coin de la pensée nous aidera à comprendre qu'une civilisation qui s'accroche à l'avenir, une civilisation qui nie ce qui vient d'au-delà de ses propres estimations, comme cette personne qui se bouche les oreilles et chante fort pour ne pas entendre ce qui pourrait contrarier ses projets ; il a dit, peut-être pouvons-nous comprendre qu'une telle civilisation est vouée à l'échec. Et dans le meilleur des cas, peut-être pourrons-nous surmonter l'amère sécularisation qui nous ronge de l'intérieur en ouvrant une fenêtre sur Dieu, qui n'est pas dans le futur, mais qui est le futur absolu.