Au Christ boueux

Je t'ai vu, Seigneur, boueux, et je me suis souvenu que tu nous as faits avec de l'argile. Tu nous as modelés, mais nous étions des êtres inertes jusqu'à ce que tu insuffles dans nos narines ton esprit de vie. Aujourd'hui, nous sommes aussi comme des morts, écrasés par le malheur, et c'est pourquoi nous avons à nouveau besoin de ton souffle.

15 novembre 2024-Temps de lecture : 4 minutes
Valence

Valence après les inondations causées par la DANA (OSV News photo / Eva Manez, Reuters)

Aujourd'hui, je t'ai vu, Seigneur, boueux et mort, noyé dans la fange de la vie. PaiportaEt je voulais vous demander pourquoi. Pourquoi, Seigneur ? Pourquoi ? 

Le Christ de Paiporta

Cherchant une réponse dans les Psaumes, je t'ai demandé : Où étais-tu quand les nuages déversaient leurs eaux, quand les nuages d'orage grondaient et que tes flèches zigzaguaient ? Où étais-tu quand les vagues mortelles nous entouraient, quand les torrents destructeurs nous terrifiaient, quand les filets de l'abîme nous enveloppaient et que les pièges de la mort nous atteignaient ?

Es-tu seulement de cette même argile qui te recouvre et que tu ne sens ni ne souffres ? Es-tu un de ces êtres de poussière qui ne peuvent sauver, qui expirent l'esprit et retournent à la poussière ? Es-tu une de ces idoles des païens qui sont d'or et d'argent, œuvre de la main de l'homme, qui ont une bouche et ne parlent pas, qui ont des yeux et ne voient pas, qui ont des oreilles et n'entendent pas, et qui n'ont pas de souffle dans la bouche ?

Certains se sont moqués de toi et de moi parce que j'avais confiance en toi. Pourquoi m'oublies-tu ? Pourquoi vais-je de l'avant, morose, harcelé par mon ennemi ? Mes os sont brisés par les railleries de l'adversaire ; tout le jour, ils me demandent : "Où est ton Dieu ? Tu as fait de nous le mépris de nos voisins, la risée et la dérision de ceux qui nous entourent ; tu as fait de nous le proverbe des nations, les nations nous regardent avec mépris.

Vendredi saint

Alors que j'essayais encore de trouver une réponse à ces questions, j'ai bien regardé votre photo, et ces rayons dorés, mais aussi boueux, qui sortent de votre tête. Les experts en art sacré disent qu'ils s'appellent des puissances et qu'ils veulent exprimer, non pas tant votre divinité, mais votre plus haut degré d'humanité. Ils disent que toi, l'homme véritable, l'être humain par excellence, tu as maîtrisé au plus haut point les trois pouvoirs humains (l'entendement, la mémoire et la volonté) pour obéir à l'ordre du Père et accepter, pour nous, la flagellation ; pour nous, la couronne d'épines ; pour nous, la moquerie et la dérision ; pour nous, la croix ; et maintenant, pour nous, le déluge.

Te voir plein de boue, c'est contempler à nouveau ton corps dans le tombeau, à moitié lavé parce que le sabbat s'est abattu sur les femmes ce vendredi saint. Pendant que nous pleurons de peur, tu descends dans les enfers de chaque être humain, sauvant les morts pour la vie éternelle, en solidarité avec toutes les victimes du déluge, mais aussi avec tous ceux qui sont emportés par les torrents de la vie, par les vagues de la maladie ou du handicap, par les eaux agitées du mépris et du rejet, par le flot violent de la précarité, de la peur et de l'incertitude. 

Votre photo est une étreinte pour chaque victime, pour chaque personne qui a perdu un être cher, pour ceux qui ont perdu leur maison, et pour ceux d'entre nous qui ont perdu jusqu'à l'espoir. C'est une étreinte qui nous dit : "Je suis là, je ne t'ai pas quitté une seconde, j'étais avec toi ce jour-là et je continuerai à être avec toi chaque jour de ta vie, parce que je ne peux rien faire d'autre que de t'aimer au point de donner ma vie. Compte sur moi si tu dois te salir, compte sur moi si tu souffres, prends ma main si tu es emporté par le courant et je ne te lâcherai pas, même si nous devons nous noyer ensemble".

Seigneur de la boue de Paiporta

Aujourd'hui, je t'ai vu, Seigneur, boueux, et je me suis souvenu que tu nous as créés avec de la boue. Tu nous as modelés, mais nous étions des êtres inertes jusqu'à ce que tu insuffles dans nos narines ton esprit de vie. Aujourd'hui, nous sommes aussi comme des morts, écrasés par le malheur, assommés par le tourbillon, et c'est pourquoi nous avons à nouveau besoin de ton souffle. Enflamme-nous, Seigneur de la boue de Paiporta, avec ton esprit de vie.

Aujourd'hui, je t'ai vu, Seigneur, boueux, à côté des pieds boueux de deux personnes qui passaient devant toi sur un sol plein d'empreintes. Et j'y ai vu les pieds fatigués de nos pères, les Israélites en Égypte, foulant la boue pour fabriquer des briques pour Pharaon. Et je me suis rappelé combien de pharaons veulent profiter du malheur de beaucoup pour leur propre intérêt. Donne à nos dirigeants, Seigneur de la boue de Paiporta, le pouvoir de rassembler le peuple et de se mettre à son service, comme Moïse, d'ouvrir les eaux pour nous et de nous conduire, pieds nus, à vivre en paix sur une terre où coulent le lait et le miel pour tous.

Le Christ boueux

Aujourd'hui, je t'ai vu, Seigneur boueux, soutenu par un bras anonyme, l'un des nombreux bras qui, ces jours-ci, à l'intérieur et à l'extérieur de ton Église, s'efforcent de faire avancer le peuple. Et j'ai vu, dans ce bras, le bras du potier dans l'atelier duquel Jérémie est descendu et qui lui a appris que, du mal, on peut faire sortir le bien. D'un pot d'argile tordu par le tour du potier, si on le remodèle, on peut faire sortir un beau pot. Aide-nous, Seigneur de l'argile de Paiporta, à reconstruire nos cœurs blessés, nos familles brisées, nos villages détruits et nos maisons inondées.

Aujourd'hui, je t'ai vu, Seigneur de boue, et j'ai surtout regardé tes yeux. Et j'y ai vu ceux de l'aveugle-né, que tu as enduits de boue pour lui rendre la vue. Aide-nous, Seigneur de la boue de Paiporta, à ouvrir les yeux de la foi pour pouvoir voir le mystère de ton amour au milieu de cette tragédie qui semble, seulement semble, n'avoir aucun sens. 

Aujourd'hui, je t'ai vu, Seigneur boueux, et j'ai enfin remarqué le clin d'œil que tu nous fais avec ton œil droit. Je ne sais pas si c'est l'intention de l'artiste qui t'a peint ou si c'est un simple effet de l'argile, mais ta pupille semble vouloir s'ouvrir entre tes paupières. Te moques-tu de la mort ? Es-tu sur le point de dire que la mort n'est qu'un pas vers la vie ? Aide-nous, Seigneur de la boue de Paiporta, à te voir comme une annonce de la résurrection, à ne pas perdre l'espoir que nous nous relèverons, à ne pas douter que tu es avec nous dans cette histoire, que, de la mort et de la boue, tu fais surgir la vie. Tu nous aides, parce que tu sais que nous portons ce trésor dans de fragiles récipients en terre cuite, de la terre cuite de Paiporta.

L'auteurAntonio Moreno

Journaliste. Diplômé en sciences de la communication et licencié en sciences religieuses. Il travaille dans la délégation diocésaine des médias à Malaga. Ses nombreux "fils" sur Twitter sur la foi et la vie quotidienne sont très populaires.

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