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Carte. Filoni : "Il faut une Église ouverte à tous les peuples de la terre".

Le 22 janvier a été célébrée la Journée de l'enfance missionnaire, une campagne des Œuvres pontificales missionnaires visant à impliquer les enfants dans la mission de l'Église. Grâce à eux, 2 795 projets d'aide aux enfants des territoires de mission sont soutenus. Le Cardinal Filoni parle dans cette interview de la vitalité des jeunes Eglises dans les territoires de mission.

Giovanni Tridente-23 de janvier de 2017-Temps de lecture : 10 minutes

Originaire de Manduria dans les Pouilles, dans le sud de l'Italie, Fernando Filoni a été créé cardinal en février 2012. Il a été Substitut pour les affaires générales de la Secrétairerie d'État, Nonce apostolique aux Philippines, puis en Jordanie et en Irak. Le pape François l'a envoyé en Irak comme représentant en 2014, suite à la grave situation créée par la proclamation de l'État islamique. En 2015, il a publié la monographie L'Église en Irakpublié par le Libreria Editrice Vaticana.

Il décrit avec une grande lucidité la situation au Moyen-Orient dans une perspective historique, mais aussi avec une vision pleine d'espoir de l'avenir de ces territoires et des minorités qui les peuplent, aujourd'hui tristement tourmentées par la guerre. Il parle également de la nécessité pour nous d'être de plus en plus une "Église en mouvement", ce que le pape François a incarné dans son pontificat. Enfin, il analyse le rôle et les compétences de la Congrégation qu'il dirige, dans la perspective d'un plein service à la mission évangélisatrice de toute l'Eglise. Le portrait qui se dessine, comme il le dit lui-même, est celui d'une Église "ouvert dans toute sa richesse à tous les peuples de tous les continents"..

Votre Éminence, dans les premiers mois de votre pontificat, vous êtes souvent allé donner des "leçons" au Pape - c'est ce qui a été publié - sur "l'Église missionnaire". Comment avez-vous vécu ces moments ?

Je continue à y aller, et je continue à avoir ces rencontres que mon bureau m'amène à avoir avec le Saint-Père. C'est le pape lui-même, avec son sens de l'humour si attachant, qui a déclaré : "Voici le cardinal qui me donne des leçons" ; Mais je ne donne de leçons à personne. Le Pape a estimé à juste titre qu'il était nécessaire qu'il commence à se familiariser avec les environnements de l'Afrique et de l'Asie. Et ceci est important, car cela montre comment le Pape entre dans ce dialogue avec les réalités de sa Congrégation, pour ensuite donner une réponse adéquate aux besoins de l'Eglise. L'élément d'estime et de relation reste fondamental.

Jeunes églises

Quelle est la situation générale de l'Église dans les terres de mission ?

-D'une manière générale, on peut dire que, surtout en Afrique et en Asie, les Eglises sont majoritairement jeunes. À l'époque du Conseil, l'évangélisation battait son plein et les Églises locales étaient encore dirigées par nos missionnaires. Aujourd'hui, cinquante ans plus tard, on peut dire que presque toutes les Églises de ces pays sont dirigées par un clergé autochtone, pleinement responsable de ses Églises locales.

Les problèmes qui se sont posés sont les difficultés typiques de toute croissance : d'un côté, nous trouvons un grand enthousiasme, mais il y a aussi des problèmes de stabilité. De toute évidence, nous sommes encore dans la phase de la première proclamation de l'Évangile. En tant que Congrégation, nous prenons en considération ce changement rapide, qui ne couvre pas seulement l'aspect spirituel, mais aussi le développement intégral de ces territoires.

Quel message particulier portez-vous lorsque vous visitez des territoires de mission ?

-Il n'y a pas de message spécifique de la Congrégation. Cela dépend beaucoup de la réalité que nous allons visiter. L'annonce est d'ordre réel, dans le contexte de la grande réalité de l'Église, du Concile Vatican II et du développement ultérieur à travers les grands Papes que nous avons eus jusqu'à aujourd'hui.

Il s'agit de faire sentir à ces Églises particulières qu'elles font partie de toute l'Église, en les appelant à la coresponsabilité pour leur propre avenir et aussi comme participation à la grande mission de l'Église. Il est important qu'une Église soit toujours consciente d'elle-même et se demande quel genre d'avenir elle souhaite pour le pays dans lequel elle se trouve. Ce qui est important, à mon avis, c'est d'encourager ces Églises à jouer un rôle actif dans l'évangélisation et leur propre développement. Ce sont eux qui doivent évangéliser, il n'y a plus de missionnaires venant de l'extérieur... Cela conduit évidemment à une prise de responsabilité, et nous devrions tous le faire. Nous devrions nous poser la même question en Europe : quelle Église voulons-nous et pourquoi ?

Au fait, que peut apprendre l'Europe de ces autres expériences ?

-J'ai toujours été frappé par l'expression utilisée par le pape Benoît XVI lors de ses voyages, par exemple en Afrique, et reprise ensuite par le pape François : la joie de la foi des gens de ces terres.

Malgré leur niveau et leur mode de vie peu facile - certainement pas au niveau des Européens - ils parviennent à exprimer leur foi de manière joyeuse. Benoît XVI a dit que notre foi semble souvent un peu triste, de gens qui sont résignés...... Par contre, dans ces autres continents, surtout dans ces jeunes Églises, il y a un grand enthousiasme, une grande vivacité. Ce sont des aspects que nous avons peut-être perdus. Nous devons donc redécouvrir le sens d'une foi joyeuse, d'une foi partagée.

On parle beaucoup des réfugiés et des réfugiés. Que doit encore faire la communauté internationale dans ce domaine ?

-Je crois que le Pape a déjà indiqué en de nombreuses circonstances et de nombreuses manières quelles sont les lacunes fondamentales. Je ne pense pas pouvoir ajouter quoi que ce soit. Ce qui fait défaut, c'est la capacité à comprendre, lorsqu'il s'agit de réfugiés et de réfugiés, quels sont leurs besoins réels. Ce ne sont pas des chiffres, ce sont des personnes, et elles ont vraiment des situations très difficiles derrière elles. Lorsque je regarde dans les yeux d'un réfugié, qui est une personne et non un numéro, je ne peux rester indifférent. Nous devons donc apprendre à avoir une attitude qui ne soit pas celle de la peur, du conditionnement ou des lieux communs qui génèrent à leur tour d'autres difficultés, et à regarder davantage dans les yeux de ces personnes.

Vous avez été l'envoyé personnel du Saint-Père en Irak, où vous avez également été nonce. Que se passe-t-il là-bas ?

Pour simplifier, je pourrais dire ceci : l'Irak est une terre ancienne, riche en culture, en histoire, en langues ; mais en tant que pays, il est relativement jeune, un peu plus de quatre-vingt-dix ans, avec des frontières tracées par des Occidentaux qui ont divisé les zones d'influence d'un Empire ottoman effondré. Il n'est donc pas l'expression d'un peuple, mais de nombreux peuples aux cultures très diverses, qui se sont trouvés dans la situation de manifester, dans certaines limites, une vision nationale qu'il fallait néanmoins construire. Cette construction a été très difficile, et n'a pas été réalisée. Il existe différents groupes, des chiites, des sunnites, des chrétiens et des Kurdes à d'autres minorités anciennes mais numériquement plus limitées, qui n'ont pas fusionné ; aucun sentiment unique n'a émergé, et ceux qui sont au pouvoir ont prédominé.

Voyez-vous une solution ?

-Il est clair que la démocratie ne peut être imposée. D'ailleurs, quel genre de démocratie ? C'est difficile, car les cultures et les façons de concevoir une communauté sont différentes. La soi-disant démocratie numérique est également risquée, car elle indique qu'une majorité peut dominer une minorité, même si cette dernière est pertinente, et lui imposer des choses qui génèrent du mécontentement, si elle ne se bat pas. Dans un territoire compliqué comme l'Irak, il n'est pas possible de penser à tout unifier de manière simpliste ; il faut laisser la place à cette nécessaire entité nationale qu'il faut certes aider à se développer, mais il faut aussi respecter les entités individuelles. Il s'agit de dépasser les approches de domination de l'autre, et cela nécessite beaucoup d'aide et beaucoup de bonne volonté.
Dans votre dernier livre "L'Église en Irak", vous parlez d'une "Église héroïque"...

-C'est l'histoire de l'Église chaldéenne, de l'Église assyrienne qui le montre... Dès sa naissance, à la suite de l'évangélisation apostolique, elle a toujours été une terre de conflits : au gré des luttes de pouvoir, les chrétiens ont été l'objet d'opposition et ont le plus souffert.

Dès les premiers siècles, la religion a donc été un élément substantiel de discrimination, et il en a été de même dans les siècles suivants avec les différentes invasions. Cette Église d'Orient, qui s'est répandue principalement en Asie centrale et en Extrême-Orient - au point de compter 20 sièges métropolitains et des dizaines de sièges épiscopaux et de s'étendre jusqu'en Chine et à Pékin - a ensuite été complètement supprimée. Ce sont des histoires de souffrance, sans parler des plus récentes. C'est ce parcours de souffrance qui m'a conduit à écrire ce livre.

Moyen-Orient

Quelle autre contribution les chrétiens peuvent-ils apporter en matière de conflits et de guerres ?

-Le pape François l'a très bien souligné. Le chrétien, par exemple, ne pense pas que la première chose à faire lorsqu'un État dispose de richesses, qui font partie de la vie d'un peuple, est d'acheter des armes. Une autre attitude consiste à ne pas voir les relations entre les États uniquement en termes de conflit ; le conflit est, en fait, ce qui conduit à l'armement, et lorsque vous avez une arme, vous vous sentez prêt à l'utiliser.

Un troisième aspect concerne le droit. Que l'on soit majoritaire ou minoritaire, il ne s'agit pas de rivaliser pour être le plus fort. En tant que membre d'une réalité humaine, sociale et politique, chacun a le droit de vivre et de professer ce en quoi il croit, qui peut être un idéal, une foi, une profession libre, mais aussi une manière de se coordonner ou de s'organiser. Tant que nous n'entrerons pas dans cette perspective, nous aurons toujours des conflits. Après tout, la vision du chrétien, en termes de pensée sociale saine, n'est pas différente de celle que l'on trouve également dans le monde. Mais avec une charge supplémentaire, selon laquelle le respect des autres, de leur valeur et de leur importance est un aspect profondément chrétien, et c'est l'enseignement qui nous vient aussi de la foi.

Comment voyez-vous l'avenir du Moyen-Orient ?

Je n'ai pas de boule de cristal, mais je voudrais parler avec espoir du Moyen-Orient, qui est une terre faite de peuples, de cultures et de civilisations. Pourquoi ne serait-il pas possible de trouver une façon de vivre ensemble basée sur le respect des autres, sur le droit et sur le développement des peuples ? Pourquoi les éléments religieux, l'intolérance envers les autres peuples, envers les autres groupes, devraient-ils toujours prévaloir ? Cette mentalité doit absolument être dépassée, sinon le conflit restera latent. Mon souhait est d'avancer vers cette nouvelle vision, qui implique non seulement les différents pays présents sur ces terres, mais aussi les réalités dans lesquelles la foi est vécue, à commencer par l'Islam et le Christianisme.

Les terres de mission sont-elles aussi le théâtre de martyres chrétiens ? Que devons-nous apprendre de ces témoignages ?

-En ce qui concerne le martyre, la Congrégation pour l'évangélisation des peuples publie chaque année des statistiques sur ce phénomène par le biais de l'Agence pour l'évangélisation des peuples. Fides. Par exemple, au moins 22 agents pastoraux ont été tués en 2015 : prêtres, religieux, laïcs et évêques ; de 2000 à 2015, il y a eu près de 400 martyrs dans le monde, dont 5 évêques.

Il est presque impossible que l'annonce de la foi n'exige pas parfois le sacrifice de sa propre vie. Jésus nous le dit dans l'Évangile : "S'ils m'ont persécuté, ils vous persécuteront".. La proclamation de l'Évangile est toujours inconfortable, même au-delà de la vie humaine. La foi elle-même est parfois l'objet du martyre, à cause de ce qu'elle proclame, à cause de la justice qu'elle exige, à cause de la défense des pauvres.....

La charité, c'est la proximité

L'une des devises du pontificat du pape François est celle d'une "Église en marche". Comment pouvons-nous vivre ce dynamisme ?

Le Saint-Père ne parle pas seulement de l'Église en marche, mais il montre lui-même ce que cela signifie. Nous arrivons d'une année aussi importante que le Jubilé de la Miséricorde et, presque comme un grand curé de toute l'Église, le Pape nous a montré comment il comprend ce dynamisme. Ensuite, chacun d'entre nous est appelé à le traduire, selon la tâche qu'il accomplit dans l'Église. En tant que Préfet de cette Congrégation, je considère que nous sommes sur la voie de la sortie lorsque nous devenons proches de toutes ces situations que nous rencontrons dans les différents diocèses, et pas seulement dans le service de communion que nous leur offrons et qu'ils offrent aussi à l'Église universelle de manière réciproque.

Comment sont perçus "Rome" et le pontificat du pape François depuis des pays lointains ?

-Lorsque je voyage, je remarque une grande affection. En Amérique latine, par exemple, on a conscience que ce que le Pape communique et exprime est le fruit d'une profonde expérience de vie qui vient de ce même continent.

C'est la même chose en Afrique : les gens sont profondément admiratifs de cette façon dont le Pape interprète sa vision pastorale en tant que prêtre, en tant qu'évêque, en tant que Pape, envers tous et sans frontières. Même dans les continents qui sont culturellement différents, il y a une profonde admiration. Je ne dis pas cela par flatterie, et peut-être que ceux qui n'apprécient pas beaucoup ces aspects y voient des problèmes. N'oublions pas que même face à ce que le Christ a fait, par exemple une bonne action, il y avait ceux qui l'admiraient et ceux qui, au contraire, la méprisaient.

Service à l'évangélisation

Quel est "l'état de santé" de votre Congrégation en tant que corps de la Curie romaine ?

-Il est nécessaire d'être toujours pleinement en phase l'un avec l'autre. Notre Congrégation n'existe pas comme un organisme, mais comme un instrument de la sollicitude du Pape pour l'évangélisation. C'est le but par lequel nous sommes guidés et pour lequel nous existons : être vraiment diakonia, service, dans les mains du Pape et des Eglises territoriales pour leur croissance.

Propaganda Fide est souvent perçue comme une grande puissance gourmande en ressources : comment réagit-elle ?

-Je ne sais pas s'il existe un mythe autour de cette réalité. Nous ne pouvons nier que les fidèles, au cours des siècles, ont toujours considéré l'œuvre missionnaire comme quelque chose qui leur appartient, et ont voulu y participer d'une manière ou d'une autre. Ceux qui n'ont pas pu le faire personnellement ont soutenu cette œuvre matériellement, en laissant leurs biens. Nous avons une tâche, à savoir la bonne administration, saine et transparente, de ces biens.

La question ne porte pas sur la quantité mais sur le but que nous poursuivons, et cela est lié au développement de l'Église missionnaire sous toutes ses formes, de l'humain au culturel, au social, à l'évangélique, ou même là où il faut fournir un bon bâtiment, une bonne école, un bon dispensaire et tant d'autres choses.

Quel est l'état des relations avec le continent asiatique en général ?

-Je crois que le Pape Saint Jean-Paul II, lorsqu'il a voulu un Synode extraordinaire pour l'Asie, a bien indiqué la voie à suivre à l'égard de ce continent immense et diversifié, où les chrétiens sont minoritaires. Il a souligné que le troisième millénaire doit se tourner vers l'Asie et l'annonce de l'Évangile sur ce continent. Je pense que cela reste profondément valable et doit inspirer notre service.

L'évangélisation, comme le dit le pape François, doit se faire à deux mains : par la véritable annonce de l'Évangile, qui est primordiale, et en même temps par le témoignage, par le contact. Dans le contact, en effet, nous témoignons de ce que nous sommes.

L'Année sainte de la miséricorde vient de se terminer. Quels sont les aspects de cette année jubilaire dont vous gardez un souvenir particulier ?

-Deux aspects. D'une part, le fait que le pape François ait une fois de plus placé la miséricorde au centre et au cœur de toute l'Église, comme un élément central de la foi. L'autre élément concerne la façon dont cette miséricorde devient proche de nous, et la manière dont le Saint-Père l'a interprétée en tant que personne et en tant que prêtre et évêque. Cela a fait une grande impression sur les fidèles.

Partout où je vais, je constate un énorme développement de cette dimension : non pas d'un travail social à faire, mais d'un amour qui est miséricordieux et qui prend soin des autres.

Comment voyez-vous l'Église aujourd'hui ?

En ce qui me concerne, je dois dire que, tout comme dans le grand plan de la Providence il y a eu une période où l'Église dite occidentale a joué un rôle prééminent dans tous les domaines - culturel, théologique, philosophique, humain, social... qui subsistent encore, même de manière numériquement réduite - aujourd'hui nous nous trouvons intégrés dans une réalité très vivante exprimée par les Églises africaines, asiatiques, océaniennes et latino-américaines. Dieu merci, nous avons maintenant une vision plus globale de l'Église. J'aime penser à cette belle image qui montre le pape Jean XXIII avec la carte du monde, et penser qu'en la déplaçant, il regarde en perspective une Église transformée en une réalité globale, qui ne se trouve plus sur un continent ou dans un endroit particulier de la terre. C'est l'Église que je vois aujourd'hui, ouverte dans toute sa richesse à tous les peuples de tous les continents.

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