Il n'est pas difficile de voir comment le nazisme et le communisme ont tous deux leurs origines dans la composante anti-chrétienne des temps modernes. Dans les deux cas, de manière différente, on a mélangé des présupposés philosophiques (ceux de Feuerbach dans un cas, ceux de Nietzsche dans un autre, et ceux de Hegel dans les deux cas) et de fausses affirmations scientifiques sur le matérialisme (dialectique) ou la biologie (racisme). Et tous deux ont essayé de construire une nouvelle ville avec une culture sans Dieu en faveur d'un homme nouveau. Mais pendant la construction de la tour de Babylone, qui est aussi la Babylone apocalyptique, plein de sang chrétien.
Le livre est composé de plusieurs articles que De Lubac a écrits pendant la Seconde Guerre mondiale et l'occupation de la France par les Tedeschi. À l'origine, il s'agissait d'articles distincts. C'est ainsi que l'auteur les décrit avec la modestie qui le caractérise dans l'avant-propos. Mais il y a l'unité de l'analyse : "Sous l'effet des innombrables corruptions qui se produisent sur la surface extérieure de notre pensée contemporaine, il semble qu'il y ait [...] quelque chose comme une immense dérive : par l'action d'une partie de la pensée mineure de notre nation, l'humanité occidentale perd ses origines chrétiennes et se sépare de Dieu" (p. 9). Et il poursuit : " Nous ne parlons pas d'un athéisme de la volonté, qui est typique, plus ou moins, de tous les temps et qui n'offre rien de significatif [...]. L'athéisme moderne est positif, organiquement constructif. Elle ne se limite pas à critiquer, mais a la volonté de rendre inutile les demandes de fournir directement la solution. "L'umanesimo positivista, l'umanesimo marxista, l'umanesimo nietzschiano sono, più che un ateismo propriamente detto, un antiteismo e più precisamente un anticristianesimo, per la negazione che ne è alla base" (El drama del humanismo ateo. Encuentro, Madrid 1990, pp. 9-10).
L'article est divisé en trois parties. La première partie traite de Feuerbach et Nietzsche sur la mort de Dieu et la dissolution de la nature humaine et relie Nietzsche à Kierkegaard. La deuxième partie est consacrée au positivisme de Comte et à son athéisme substitutif. La troisième, tirée du titre expressif du Prophète Dostoïevski, montre comment l'écrivain russe, sensible à cette question, avait eu l'intuition du problème : "Il n'est pas vrai que l'homme ne peut pas organiser la terre sans Dieu. Ce qui est certain, c'est que sans Dieu, il ne peut finalement l'organiser que contre l'homme. L'umanesimo esclusivo è un umanesimo disumano. (pag. 11). Comme tous les ouvrages de De Lubac, ce livre est truffé de citations et de références et l'on sent un effort de lecture sérieux et intense. Et une vaste culture. Il convient également de noter qu'il traite toujours les pensées des autres de manière équilibrée, avec un grand discernement et une honnêteté intellectuelle irréprochable.
Feuerbach et Nietzsche
De Lubac décrit l'idée chrétienne de l'être humain et de sa relation avec Dieu comme une grande forme de libération qui arrive dans le monde antique : "Il Fatum è finito !" (p. 20), la tyrannie de la fatalité : derrière elle, il y a un Dieu qui nous aime. "Ora questa idea cristiana che era stata accolta come una liberazione comincia a essere percepita come un giogo". Vous n'avez pas à vous soucier de quoi que ce soit, pas même de Dieu. Les socialistes utopiques, de Proudhon à Marx, voient en Dieu l'excuse qui sanctionne l'ordre injuste de la société : "par la grâce de Dieu", comme on dit dans le monde réel.
Feuerbach et Nietzsche sapent cet ordre. Feuerbach le fera en postulant que l'idée de Dieu est générée par la sublimation des aspirations des êtres humains, qui sont privés de la pensée à laquelle ils aspirent, et qui ne peut donc plus être la leur. Pour Feuerbach, la religion chrétienne est la plus parfaite et, par conséquent, la plus aliénante. Cette idée a été comme une révélation pour Engels et Bakounine. Et Marx ajoutera, dans son analyse économique, que l'aliénation originelle est ce qui génère les deux classes fondamentales, ceux qui possèdent les moyens de production (les propriétaires) et ceux qui ne les possèdent pas (les travailleurs) et cela crée dans l'histoire la structure sociale qui finit par être acceptée par la religion. Elle leur donnera également un tour pratique et politique : il ne s'agit plus de penser, mais de transformer. C'est une révolution plus radicale que celle de la France.
Selon de Lubac, Nietzsche n'a pas sympathisé avec Feuerbach, mais a été influencé par Schopenhauer et Wagner. Le monde comme volontà et représentation de Schopenhauer est influencé par les thèses de Feuerbach et incanta Wagner. La Volontà di potenza de Nietzsche repose sur l'indignation face à l'aliénation chrétienne et sur le désir de reconquérir une liberté totale : "Dans le christianisme, ce processus d'extraction et de développement humain atteint son apogée", dit-il. E questa indignazione è presente fin quasi dall'inizio del suo lavoro. È necessario esperere l'errore di Dio. Non si si tratta di dimostrare che è falso, perché sarebbe un processo senza fine ma lo dobbiamo espellere dal pensiero come un male, una volta smascherato perché sappiamo come si è formato. Occorre proclamare come in una crociata, la "morte di Dio", compito colossale e tragico, perfino spaventoso, come appare in Così parlò Zarathustra. En conséquence, tout est bouleversé, et surtout l'être humain : nous sommes face à un être humain mangé. "Il ne voit pas, commente De Lubac, que Colui contro il quale bestemmia ed esorcizza è proprio Colui che gli dà tutta la sua forza e grandezza [...], non si rende conto del servilismo che lo minaccia"(pag.50). De Lubac ne manque pas de souligner que Nietzsche peut tourner en dérision la menace chrétienne parce que dans le christianisme moderne, si confortable, il n'y a presque aucune trace de la vibration des chrétiens qui ont transformé le monde antique.
Kierkegaard a de nombreux points communs avec Nietzsche : le combat solitaire contre les Borghèse, la passion pour Hegel et son astrologie, la conscience de se battre seul avec une grande sophistication. Mais Kierkegaard est un homme de foi radicale, un "archétype de la transcendance", de cette dimension sans laquelle l'être humain, fermé sur lui-même, ne peut qu'être réduit à ses limites et à sa bassesse.
Comte et le christianisme
Le long Corso di Filosofia Positiva de Comte a été publié la même année que L'essenza del cristianesimo de Feuerbach (1842). E come fece notare un commentatore dell'epoca : "L. Feuerbach à Berlino, comme Auguste Comte à Parigi, propose à l'Europe le culte d'un nouveau Dieu : la 'razza umana'" (p. 95).
De Lubac analyse avec lucidité la célèbre "legge dei tre stadi", que Comte a formulée à l'âge de 24 ans. "Costituisce la cornice in cui riversa tutta la sua dottrina" (p. 100). Il passe d'une explication surnaturelle de l'univers avec Dieu et Dieu ("état théologique"), à une explication philosophique par des causes astrologiques ("état métaphysique") et, enfin, à une explication entièrement scientifique et "naturelle" ("phase positive"). Elle ne devient pas indirecte. Tout ce qui précède est du "fanatisme", une façon de penser en vogue à l'époque. Comte ne se considérait pas comme un athée mais comme un agnostique : il pensait avoir montré que l'idée d'un Dieu était faussement atteinte et que cette exigence n'avait aucun sens dans une société scientifique. Mais il est nécessaire de combler le vide, car "ce qui n'est pas remplacé n'est pas distribué" (p.121). Et il veut organiser le culte de l'humanité. Cela donnera lieu à une série d'initiatives plutôt extravagantes. De Lubac commente : "Dans la pratique, il s'agit de la remise d'une partie, ou plutôt d'un groupe. Nega all'uomo ogni libertà, ogni diritto" (p. 187). Siamo nella linea dei "fanatismi dell'astrazione" che poi poi denuncerà V. Havel, ou des projets d'"ingénierie sociale" que les marxistes réaliseront, mais dans ce cas, heureusement, ils sont presque inoffensifs.
Le prophète Dostoïevski
Il est intéressant de noter que la troisième partie du livre s'intitule Le Prophète de Dostoïevski. De Lubac reprend une observation de Gide : dans de nombreux romans, les relations entre les protagonistes sont décrites, mais celui de Dostoïevski traite aussi de la relation " avec lui-même et avec Dieu " (p. 195). Dans ce travail intérieur, Dostoïevskij a réussi à représenter les changements que le choix du nichilisme et de la vie sans Dieu entraîne chez une personne. Dostoïevski est un prophète en ce sens : il nous fait voir ce qui se passe dans les âmes dans lesquelles se forment les nouvelles idées. Il vous est permis d'imaginer ce qu'est le succès dans l'âme du même Nietzsche, l'âme d'un homme qui a fui Dieu.
È interessante notare che De Lubac racconta che, nei suoi ultimi anni di lucidità, Nietzsche conobbe l'opera di Dostoevskij (Memorie dal sottosuolo), con cui si sentiì identificato : "È l'unico che mi ha insegnato qualcosa sulla psicologia" (200 ), Incontrò anche L'idiota, dove intravide i lineamenti di Cristo, ma percepì presto Dostoevskij come un amico : "completamente cristiano nel sentimento", conquistato dalla "morale degli schiavi". Et il commentera : " Gli ho concesso uno strano riconoscimento, contro i miei istinti più profondi [...] la stessa cosa accade con Pascal " (p. 200).
Lorsque Dostoïevskij envisageait, à la fin de sa vie, un grand opéra sur fond autobiographique, il a fait remarquer : "Le principal problème qui se présentera dans toutes les parties de l'opéra sera celui qui m'a torturé consciemment ou inconsciemment pendant toute ma vie : l'existence de Dieu. L'eroe sarà, per tutta la sua esistenza, ora ateo, ora credente, ora fanatico o eretico, ora ancora ateo" (p. 205). Il ne l'a pas écrit à la première personne, mais à travers les différents personnages qu'il a créés et nous a révélé les différentes étapes de son esprit croyant, athée, nichiliste ou révolutionnaire.
Le temps a passé pour ce livre ?
La confrontation entre Nietzsche et Kierkegaard reste d'actualité, plus encore l'analyse de Dostoïevski, qui demeure controversée. Mais d'autres choses ont changé. Le nazisme est incomparable avec la guerre. Le communisme, comme un miracle, a expiré avec le 20ème siècle (depuis 1989). Feuerbach ou Comte ont été enseignés dans les facultés de philosophie avant Foucault et Derrida (sans aucune mention de leurs critiques). Les idéologies politiques sont incomparables, ce qui provoque des ruptures culturelles.
Cependant, le fond positiviste comme seule foi en la science survit et se répand, sans les excentricités de Comte. Il n'y a pas de culte ni de sacerdoce positiviste, même s'il existe le Magistère quasi pontifical de certains "oracles de la science", comme les appelait Mariano Artigas. Mais oui, il existe un prétendu matérialisme, qui, en réalité, n'a que peu de fondement, compte tenu de ce que nous savons de l'origine et de la constitution du monde. Chaque jour ressemble de plus en plus à une énorme explosion d'intelligence, à tel point qu'il est encore plus improbable de s'écarter de la théorie selon laquelle il n'existe que de la matière et que tout a été créé par moi.
Le marxisme est dépassé, dit-on, mais l'immense vide idéologique a été rempli avec les mêmes dimensions planétaires et les mêmes techniques de propagande et de pression sociale que l'idéologie laïque, développée après 1968. Et cela est dû, en grande partie, au fait qu'un syndicat, privé d'un programme politique (marxiste) et d'un orizzonte pour l'avenir (la société sans classe), a fait une pretesa morale qui rejette ou du moins s'accommode du dur passé. De Lubac, comme la plupart de ses contemporains, comprimés l'ensemble de la sinistra classique, serait perplexe. De la gauche révolutionnaire, nous sommes passés à la gauche libertaire (inspirée par Nietzsche) et de là à une nouvelle machine idéologique qui, en démantelant les fondements de notre démocratie, fait de son intégrité une vertu. Depuis la fin du XVIIIe siècle, l'intolérance n'est pas chrétienne, mais anti-chrétienne. Et ce nouvel umanisme vaut le diagnostic que De Lubac trouve chez Dostoïevski : il est possible d'ipotiser un monde sans Dieu, mais il n'est pas possible de le faire sans aller contre l'être humain. Dostoïevski, le prophète, n'a pas imaginé cette dérive, mais a annoncé "Seule la beauté sauvera le monde". "