La théologie du 20ème siècle

Yves-Marie Congar, le déploiement d'un théologien

Après quatre années passées dans des camps de prisonniers de guerre (1940-1945), Yves Congar développe sa théologie sur l'œcuménisme et l'Église, qu'il avait déjà esquissée, et apporte une contribution importante au Concile Vatican II.

Juan Luis Lorda-7 avril 2021-Temps de lecture : 7 minutes

"Dans les années 46 à 47, il nous a été donné de vivre des moments tout à fait exceptionnels dans un climat ecclésial de liberté retrouvée".rappelle Congar dans son long entretien avec Jean Puyo (Le Centurion, Paris 1975, chapitre 4). À la joie de la victoire et de la paix en France se mêle le désir de construire un monde nouveau et une Église renouvelée et missionnaire. 

Il était déjà fortement impliqué dans le mouvement œcuménique. Entre 1932 et 1965, chaque année, y compris quelques années de captivité, il a prêché, partout où il était appelé, l'Octave de l'Unité des Chrétiens, qui avait donné lieu à son livre pionnier Chrétiens désunis (1937).

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TitreJean Puyo interroge le Père Congar
AuteurJean Puyo
Editeur et annéeLe centurion, 1975
Pages: 239

Le livre avait suscité quelques réticences, qui ont été renouvelées avec la deuxième édition. 

"A la fin de l'été 1947, on peut faire remonter les premières manifestations de malaise de Rome. Nous avons commencé à recevoir une série d'avertissements, puis de menaces à l'égard des prêtres-ouvriers. On ne m'a pas accordé les autorisations que j'ai demandées (je n'ai jamais manqué de demander la permission à mes supérieurs lorsque cela était nécessaire)".. Il n'a pas pu assister aux réunions œcuméniques préparatoires à la création du Conseil œcuménique des Églises à Genève (1948). 

Comprendre l'époque 

Roncalli, puis Jean XXIII (1944-1953), était alors nonce en France. Et il y avait des difficultés de nature et d'importance différentes. Nous avons déjà mentionné certains d'entre eux. D'une part, il y avait la susceptibilité d'un secteur catholique traditionnel plutôt blessé et l'inconfort et l'incompréhension de la théologie que nous appelons manualiste face aux nouveaux courants théologiques. Tous deux ont suscité des soupçons et des dénonciations à Rome. D'autre part, le Saint-Siège a vu la naissance du mouvement œcuménique et ne voulait pas qu'il devienne incontrôlable. Et, surtout, elle a été émue et alertée par les événements historiques. 

On a dit que Pie XII était obsédé par le communisme. C'est une ignorance flagrante de l'histoire. Entre 1945 et 1948, avec un ensemble de violences et de fraudes électorales, l'URSS a imposé des régimes communistes dans tous les territoires occupés : Allemagne de l'Est, Pologne, Hongrie, Tchécoslovaquie, Roumanie et Bulgarie, ainsi que l'incorporation directe de l'Estonie, de la Lettonie et de la Lituanie et d'une partie de la Pologne. Les communistes locaux ont pris le contrôle de la Yougoslavie et de l'Albanie. En 1949, Mao a pris le pouvoir en Chine. En 1954, les communistes ont pris le contrôle de la moitié nord du Vietnam et ont commencé l'invasion du sud, prenant Saigon en 1975. 

Au cours de ces années, des millions de catholiques et des centaines de diocèses ont été soumis à la répression et à la ruse des communistes. Chaque jour, de tristes nouvelles, parfois terribles, parvenaient à Rome. Une Église du martyre avait été créée, une "Église du silence". Tant de silence que beaucoup ne s'en souviennent pas lorsqu'ils décrivent naïvement cette période. 

Et en France, en Italie et en Autriche, il y avait une énorme pression politique, propagandiste et culturelle communiste, qui touchait tout, y compris l'Église. Et ça couvrait ce qui se passait de l'autre côté. Stephen Koch vaut la peine d'être lu, La fin de l'innocenceComment Pie XII, dans les années 1950, pouvait-il ne pas être très préoccupé par le communisme ? Ce n'est que lorsque ces régimes étaient fermement établis que Paul VI a pu tenter un dialogue de bonne volonté, qui n'a pas rencontré la bonne volonté. Et aujourd'hui, on tente encore de le faire avec la Chine, le Vietnam... Cuba... le Venezuela. 

Les mauvaises années de Congar

Face à cela, d'autres questions ne pouvaient pas sembler très sérieuses à Pie XII. Pressé par les plaintes et les dénonciations à la "nouvelle Théologie", a composé l'encyclique Humani generis (1950), décrivant de manière générique certaines déviations possibles, mais ne voulait pas nommer ou condamner qui que ce soit. Il contenait une ligne décourageant le faux irénisme. Quelques mesures disciplinaires sont prises, certains livres sont mis à l'index (Chenu) et, surtout, l'expérience des prêtres ouvriers est suspendue (1953), qui, avec cette pression et cette manipulation communiste, ne pouvait pas réussir, même si elle avait vraiment une inspiration évangélique. 

En 1954, le Saint-Siège fait remplacer les trois provinciaux dominicains de France et exige que quatre professeurs, dont Chenu et Congar, soient démis de leurs fonctions et de leur enseignement. En fait, Congar n'a pas eu grand-chose à voir avec le mouvement, si ce n'est des écrits occasionnels. Et, peut-être pour cette raison, on ne voyait pas bien ce qu'on pouvait lui reprocher. 

À la fin de 1954, il est convoqué d'urgence à Rome pour un entretien avec le Saint-Office. Mais six mois se sont écoulés sans entretien. De divers côtés, on lui a conseillé de corriger Chrétiens désunismais je n'ai jamais su quoi corriger. "Changez quelque chose"Le général des Dominicains lui a suggéré à un moment donné. Et ce fut le cas avec Réforme vraie et fausse dans le Church, qu'il avait publié en 1950. Par osmose, un autre de ses essais pionniers a également rencontré des réticences : Jalons pour une théologie du laïcat (1953), qui a été très important dans l'histoire du sujet. 

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TitreA l'écoute du Cardinal Congar
AuteurJuan Bosch
Editeur et année: Edibesa, 1994
Pages: 291

Après son retour de Rome en 1954, il est envoyé à Jérusalem pour quelques mois, puis à Cambridge, où il se sent très isolé. En 1956, il est recueilli par l'évêque de Strasbourg, qui le connaît bien. Il y a effectué un travail pastoral normal, avec des restrictions sur l'enseignement et la censure des publications. Ces dix années (1946-1956) ont été très mauvaises pour lui, en raison de ce sentiment de rejet sans information, comme on peut le voir dans ses Journal d'un théologienécrit en direct. Il s'en souvient avec plus de distance et de retenue dans son dialogue avec Puyo. Mais il a également beaucoup écrit : en 1960, un puissant essai en deux volumes est paru, sur Tradition et traditionsdans son aspect théologique et historique. La Tradition, en réalité, n'est rien d'autre que la vie même de l'Église dans l'histoire, animée par l'Esprit Saint. 

Et puis il y a eu le Conseil

À la mort de Pie XII (1958), l'ancien nonce Roncalli est élu pape et convoque le Concile. En 1961, il nomme Congar comme consultant auprès de la Commission préparatoire. C'était une réhabilitation. Au début, il s'agissait d'assister à des sessions avec beaucoup d'autres personnes. Mais à partir de mars 1963, en tant que membre de la Commission centrale, il joue un rôle très actif dans l'inspiration, la rédaction et la correction de nombreux textes.

Dans leur présentation conjointe A l'écoute du Cardinal Congar (Edibesa, Madrid 1994), le théologien dominicain Juan Bosch reprend des points écrits directement par Congar, comme les numéros 9, 13, 16 et 17 du chapitre II de Lumen Gentiumet une partie du chapitre 1 de Presbyterorum ordinis ou le chapitre 1 du décret Ad Gentessur l'évangélisation. Il a aussi beaucoup travaillé sur Gaudium et spessur Unitatis redintegratio (sur l'œcuménisme) et Dignitatis humanae (sur la liberté religieuse). 

Les grands thèmes du Conseil étaient ses thèmes. Il s'est employé à les faire progresser : décrire l'Église comme Mystère et comme Peuple de Dieu ; mieux comprendre sa communion, reflet de la communion des Personnes de la Trinité, fondement de la communion du Collège des Évêques et des Églises particulières et horizon de l'œcuménisme ; approfondir la mission "sacerdotale" des laïcs dans le monde, en élevant vers Dieu les tâches temporelles. En outre, l'engagement œcuménique, dès qu'il a été présenté aux Pères, a gagné leur cœur et a changé l'attitude de l'Église catholique face aux divisions historiques. C'était une grande joie. 

Au cours de ces années, il a régulièrement rédigé des chroniques du Conseil pour des magazines, qu'il a ensuite rassemblées dans des livres annuels (Le Conseil, jour après jour) : il a également tenu un journal personnel détaillé, qui constitue une source majeure pour l'histoire du Conseil (Mon journal du Concile2 volumes). Il a eu de nombreux contacts avec les jésuites français De Lubac et Daniélou, ainsi qu'avec les théologiens de Louvain Philips, Thils et Moeller. Il connaissait aussi l'évêque Wojtyla. Il se souvient que, lorsqu'il parlait, au cours des travaux de rédaction de la Gaudiun et spesIl était impressionnant par son sang-froid et sa conviction. 

Années de travail

Le Conseil était un travail épuisant, car les commissions travaillaient souvent toute la nuit afin de pouvoir présenter les textes corrigés le lendemain. Mais c'était un travailleur acharné. Il passait généralement 10 heures à écrire pendant de nombreuses années. Cela explique l'ampleur de sa production. 

En 1964, il a rassemblé un certain nombre d'articles sur l'œcuménisme dans Les chrétiens en dialogueIl le fait précéder d'un mémoire très intéressant et assez long sur son travail et sa vocation œcuménique.

Compose pour le cours de théologie Mysterium salutis (1969), un écrit très complet sur les quatre notes de l'Église, avec son fondement historique : une, sainte, catholique et apostolique. Et il a préparé deux vastes volumes sur l'Église pour l'histoire des dogmes de Schmaus. C'est une œuvre majeure et pionnière, même s'il n'a pas pu tout collecter et synthétiser. 

Multi-tâches 

Depuis la fin du Conseil, il a été invité partout à donner des conférences et des cours. Et il estime que c'est son devoir. Si vous pouvez transmettre, vous devez transmettre. C'était son service à l'Église. Mais il a commencé à développer une sclérose qui s'était déjà un peu manifestée dans sa jeunesse. 

En 1967, lors d'un voyage très intense à travers plusieurs pays d'Amérique, où il doit parfois utiliser un chariot, il s'effondre au Chili. Il avait besoin de mois pour se remettre. Dès lors, ses limitations ont augmenté et sa mobilité est devenue plus compliquée, mais il n'a pas cessé de travailler et a voyagé autant qu'il le pouvait. Comme il avait besoin de plus de soins physiques, il a quitté Strasbourg en 1968 pour s'installer au Saulchoir, près de Paris. 

De 1969 à 1986, il a été membre de la Commission théologique internationale et a participé à ses travaux. Il est membre de l'équipe de rédaction de la revue CommunioIl y reste malgré les problèmes qu'il perçoit (il considère que Küng est un bon théologien, mais plutôt un protestant). Comme d'autres théologiens et amis responsables, il remarque rapidement ce qui ne va pas dans la période post-conciliaire. Et il appelle à la responsabilité, tant en théologie : Situation et tâches de la théologie aujourd'hui (1967), ainsi que sur la vie de l'Église : Entre deux tempêtes. L'Église d'aujourd'hui face à son avenir (1969). Il analyse également le schisme de Mgr Léfebvre : La crise de l'Eglise et Mgr Léfebvre

Il s'inquiète de la mauvaise interprétation du Concile, des dérives théologiques et de la banalisation de la liturgie. Bien qu'il garde un ton confiant dans les fruits du Conseil. Il s'inscrit dans la tradition : "Je n'aime pas vraiment le titre de conservateur, mais j'espère être un homme de tradition".. Dans cette tradition vivante à laquelle il a consacré tant d'attention.  

Ces dernières années

Avec une limitation croissante, qui lui a même paralysé les doigts, il a continué à travailler. C'est une belle chose que, au crépuscule de sa vie, tout son travail sur l'Église l'ait amené à écrire sur l'Esprit Saint. Une fois tous les grands thèmes esquissés, il a rédigé trois volumes (1979-1980), qui ont ensuite été réunis en un seul, Le Saint-Esprit. Sans être un traité systématique complet, il s'agit d'un large aperçu des points essentiels : son rôle dans la Trinité, dans l'Église et au sein de chaque croyant. Dans son style libre caractéristique, qui combine les points forts thématiques et les développements historiques.  

La maladie progresse. Quelques années plus tôt, il avait obtenu une pension d'invalidité, affirmant que sa maladie était due aux épreuves de son long emprisonnement pendant la guerre. Elle a été accordée. Sous le même titre, en 1985, alors qu'il avait besoin de soins spécialisés, il a été admis dans le grand hôpital fondé par Napoléon pour les blessés de guerre : Les Invalidesde Paris. Il y passera ses dernières années, dictant car il ne peut plus écrire, répondant au courrier, recevant des visiteurs. 

En 1987, il a accordé un autre long entretien autobiographique, très intéressant, bien que plus court que celui de Puyo, à Bernard Lauret, intitulé Entretiens d'automne (Conversations d'automne). La même année, il rédige une introduction à l'Encyclique Redemptoris Materpar Jean-Paul II. Et, comme s'il s'agissait d'un symbole de sa vie, son dernier article de magazine, sur Romanité et catholicité. Histoire de la conjonction changeante de deux dimensions de l'Église.

En 1994, Jean-Paul II le nomme cardinal ; il meurt l'année suivante, en 1995. 

Autres considérations

L'œuvre de Congar est si vaste qu'il n'est même pas possible d'en énumérer les titres significatifs. Quelques-unes des plus importantes ont été mentionnées. La note bibliographique fournie par Juan Bosch dans son aperçu recense 1 706 ouvrages. Parmi elles, on peut citer, par exemple, sa participation au grand dictionnaire Catholicismeà laquelle il a contribué par des centaines de voix. Et une curieuse collaboration avec le magazine espagnol La Tribune Médicale (1969-1975). 

Les interviews de Puyo et Lauret sont très intéressantes pour le voir raisonner en direct. Ses trois journaux intimes sur la première guerre (1914-1918), ses moments difficiles (Journal d'un théologien) et sa participation au Conseil sont également des biographies bien construites de Fouilloux. La biographie de Fouilloux est bien construite, et il existe déjà un grand nombre de thèses et d'essais sur son œuvre. Il ne fait aucun doute qu'il a laissé un héritage théologique très important.

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