La théologie du 20ème siècle

L'œuvre du cardinal Mercier

Les conversations œcuméniques avec les représentants du monde anglican constituent un chapitre particulièrement intéressant de la vie du cardinal Mercier. Les "conversations de Malines" ont occupé la dernière partie de sa vie (1921-1926).

Juan Luis Lorda-30 mai 2023-Temps de lecture : 8 minutes

Cardinal Mercier en 1916 ©CC

Désiré-Joseph Mercier (1851-1926) est un éminent professeur de philosophie, fondateur de l'Institut de philosophie de l'Université de Louvain et représentant de la néo-scolastique. Archevêque de Malines (Bruxelles), il promeut l'université et la formation du clergé, favorise les échanges avec l'anglicanisme et intervient dans les grandes affaires de l'Église au début du XXe siècle.

Léon XIII (1810-1903) accède au pontificat (en 1878) à un âge assez avancé (67 ans) et avec trente-deux ans d'expérience en tant qu'évêque de Pérouse (1846-1878) à une époque de désaccords avec la modernité. Le Saint-Siège venait de perdre les États pontificaux (1870), des régimes libéraux dans la moitié du monde avaient combattu l'Église pendant un siècle (et l'avaient expropriée de tout ce qu'ils pouvaient), de nombreuses institutions catholiques s'étaient effondrées ou avaient été interdites, mais d'autres étaient en train de naître. Le monde catholique est en proie à la contestation et à l'agitation doctrinale sous l'influence de nouveaux courants de pensée. Les nations sont secouées par les tensions de la révolution industrielle. Il fallait beaucoup d'encouragement et de discernement. Et Léon XIII, malgré son apparence fragile, les avait.

Le testament de Léon XIII

Dès les premières semaines, il a abordé toutes ces questions importantes, pensant que son pontificat serait court (mais il durera vingt-cinq ans, à sa grande surprise et à celle des autres). Et dans l'année qui suivit, il publia Aeterni Patris (1879), recommandant la philosophie thomiste dans les études ecclésiastiques. Il le soutient en nommant des professeurs à Rome (Gregoriana, Antonianum) et à l'étranger. Il demande officiellement au cardinal de Malines (Bruxelles) de créer une chaire de philosophie thomiste à l'université de Louvain. Cette université catholique avait été refondée en 1834 et avait bien survécu à la débâcle du siècle.

L'épiscopat belge résiste pour des raisons d'opportunité politique. Mais Léon XIII envoya un dominicain italien (Rossi) à leurs frais. Ils cherchent alors immédiatement un candidat belge (et renvoient le dominicain). Ecartant les grandes figures difficiles, le choix se porte sur un jeune professeur et directeur spirituel du petit séminaire de Malines, Désiré-Joseph Mercier. Il vient d'avoir trente ans et doit se faire respecter (et rendre le thomisme respectable) tant dans son université que dans les milieux libéraux belges, très critiques à l'égard du catholicisme.

Léon XIII l'invite à Rome pour commenter le programme. Les cours débutent le 27 octobre 1883. Par la volonté du pape, ils sont obligatoires pour tous les étudiants ecclésiastiques de l'université. Les doctorants en philosophie et en lettres y assistent également, ainsi que tous les étudiants laïcs qui le souhaitent. Mercier s'efforce d'acquérir une bonne formation scientifique, notamment en psychologie (et en physiologie). Et ses cours deviennent célèbres. Ses disciples se souviennent de lui comme d'un professeur averti, brillant et accueillant. Il prépare des notes pour ses étudiants et en fait des manuels. Certains de ses disciples se joignirent à lui et il divisa les cours.

L'Institut supérieur de philosophie

Il tient Léon XIII informé. En 1887, il se rend à Rome et lui propose la création à Louvain d'un Institut supérieur de philosophie, distinct de la Faculté de Philosophie et Lettres, à orientation historique et philologique. L'idée plaît au pape qui le nomme prélat domestique sur place. En revanche, le recteur de Louvain et l'orientaliste Mgr Abbeloos, qui s'était senti "bridé" dès le départ, s'y opposent et créent une opinion : ce "médiévalisme" ne peut mener nulle part. L'affaire se tend. Mercier est même tenté d'accepter la proposition qui lui est faite de transférer le projet à la toute nouvelle Université catholique de Washington. Mais Léon XIII lui fait savoir qu'il le soutient, et lorsque Mercier propose de créer deux chaires, l'une de philosophie et l'autre de sciences propédeutiques, il envoie les fonds et érige l'institut (1889).

Mercier développe les cours et recherche de nouveaux professeurs, en veillant à ce qu'ils soient bien formés aux sciences positives et à l'histoire médiévale (De Wulf). Il obtient des fonds, construit des salles de classe et des laboratoires de psychologie expérimentale (à la manière de Wundt). Il voulait un institut de philosophie "supérieur", et non un enseignement élémentaire. Après une nouvelle rencontre avec Léon XIII, il rédige des statuts définissant l'orientation intellectuelle de l'Institut et ses relations avec l'Université. Le recteur s'y oppose à nouveau, cette fois au motif qu'on y enseigne la science moderne avec un vernis thomiste, et que l'enseignement doit se faire en latin plutôt qu'en français.

Mercier cède sur l'enseignement du latin pour les ecclésiastiques, mais pas sur l'orientation. Il publie Psychologie (1892), Logique et métaphysique (1894), et plus tard un Critériologie. Avec cela, je composerais un Cours de philosophie en 4 volumes (Logique, Métaphysique générale, Psychologie, y Critériologie ou théorie générale de la certitude). Il a également publié un essai sur Les origines de la psychologie contemporaine (1894) En 1894, il fonde la Revue Néoescolastiquequi est devenu par la suite le Révue Philosophique de Louvain.

Des années de croissance suivirent, stabilisant l'Institut, qui existe toujours à l'Université de Louvain. Et il crée un séminaire (sous le nom de Léon XIII) pour accueillir les étudiants qui lui viennent du monde entier.

Une expérience importante

Il ne fait aucun doute que Mercier avait d'énormes capacités, ni que son défi se pose toujours à peu près dans les mêmes termes. On peut observer que le mélange direct de philosophie et de sciences expérimentales (surtout dans sa psychologie) produit une expiration rapide, au fur et à mesure que l'état des sciences change. Il faut en tenir compte.

L'œuvre de saint Thomas est importante pour la pensée philosophique chrétienne pour au moins trois raisons : elle fournit une réinterprétation chrétienne de la philosophie classique, qui façonne en partie notre vision du monde (logique et métaphysique) ; elle transmet des analyses importantes de l'anthropologie ou de la psychologie rationnelle, qui intéressent l'éthique et notre connaissance de soi (intelligence, acte libre, affectivité, passions) ; enfin, elle fournit un vocabulaire qui appartient à la tradition de la théologie et qu'il est intéressant de bien comprendre.

D'une part, il est important de transmettre la philosophie thomiste (métaphysique, logique, cosmologie, anthropologie) dans son contexte historique, afin de ne pas en altérer le sens. C'est ce qu'a fait Gilson, par exemple. Deuxièmement, il est nécessaire d'entrer en dialogue avec notre connaissance du monde. La logique et l'anthropologie (et l'éthique) transmises par saint Thomas, dans ce qu'elles ont de connaissance introspective, gardent une grande force, même si elles doivent être complétées ou développées.

Alors que la cosmologie, notre connaissance de l'univers, a beaucoup évolué avec notre capacité à l'observer et à le comprendre. Cela a un impact sur la métaphysique, qui universalise notre connaissance de l'être : elle est plus stable au niveau de l'intelligence et moins au niveau de la matière. Il est évident qu'il n'est pas possible aujourd'hui de faire une cosmologie ou une philosophie de la nature sans tenir compte de ce que nous savons sur la composition de la matière, l'origine de l'univers ou l'évolution de la vie. Et cela affecte notre conception de l'être (métaphysique).

Bien sûr, il est important que ceux qui se consacrent à ces branches de la philosophie dans des contextes chrétiens aient, d'une part, une bonne formation historique, qui leur permette d'accéder au sens originel et de le préserver, et, d'autre part, une bonne formation scientifique. Et ce, sans se précipiter sur la concordance.

Archevêque de Bruxelles

Après la mort de Léon XIII (1903), son successeur, saint Pie X, l'a élu directement archevêque de Malines et primat de Belgique (1906) et, l'année suivante, cardinal (1907). Dès le début, il s'est engagé dans la formation du clergé. Il prêcha de nombreuses retraites pour ses prêtres (qui sont publiées) et fonda une association pour cultiver leur spiritualité (Fraternité sacerdotale des amis de Jésus). Il crée également une revue diocésaine. Il soutient l'université et prépare des professeurs à la recherche d'un haut niveau scientifique. Il encourage par exemple Georges Lemaître (qui était membre de la confrérie sacerdotale) à étudier la physique et à s'associer à Eistein, ce qui lui permet de postuler sa théorie de l'univers. Big Bang.

Sous le pontificat de saint Pie X, la question du modernisme se pose. Le cardinal a soutenu le pape et a décrit la situation dans une importante conférence à l'université (Modernisme). Mais il a aussi contribué à surmonter des malentendus (Lagrange, Blondel) ; il a tenté d'assouplir la situation canonique de Laberthonniére et de dialoguer avec Tyrrell, par exemple.

De plus, à partir de 1909, il soutient Dom Lambert Beaudoin dans son esprit de renouveau liturgique, qui vise une plus grande participation des fidèles, ainsi que dans ses efforts d'ouverture œcuménique. Il soutient également le développement de l'Action catholique et s'intéresse de près à la question sociale.

La Grande Guerre (1914-1918)

En 1914, avec une sorte de naïveté suicidaire et sans les moyens de l'empêcher, les nations européennes sont entrées dans une guerre brutale qui a anéanti d'un seul coup quatre empires, peut-être un cinquième de la population jeune de l'Europe et, accessoirement, le mythe du progrès des Lumières.

Dans un premier temps, l'Allemagne envahit par surprise la Belgique neutre pour attaquer la France. Elle punit sévèrement la réaction isolée de la résistance belge, en bombardant systématiquement les villes et Louvain elle-même, où se trouvent la cathédrale, l'université, la bibliothèque... Le cardinal Mercier est pris à Rome, où il a assisté aux funérailles de saint Pie X et au conclave. A son retour (décembre 1914), il parcourt les énormes destructions et rédige une lettre pastorale sévère qui sera lue dans toutes les églises et qui s'intitule Patriotisme et fermeté (Patriotisme et endurance), que l'on peut trouver en ligne.

Il fait l'éloge du patriotisme en tant que vertu chrétienne, apprécie le dévouement des soldats qui ont donné leur vie pour leur pays, encourage la population à soutenir le gouvernement belge, le roi et l'armée en exil. Il déclare que le gouvernement envahisseur est illégitime, que seules les lois nécessaires au bien commun et à l'ordre public doivent être respectées, mais appelle à ne pas commettre de violences inutiles au-delà de celles qui concernent l'armée belge.

Le commandement militaire allemand a tenté d'empêcher la diffusion, a saisi des copies et a menacé les curés, mais, craignant des répercussions parmi les catholiques allemands, n'a retenu le cardinal que quelques heures. Les documents et la correspondance sont conservés. À l'époque, le cardinal représentait l'honneur de la nation. Le Saint-Siège lui demande cependant de modérer ses expressions politiques. À la fin de la guerre, il devient un héros national en Belgique, mais aussi en Angleterre et aux États-Unis. Il effectue une tournée triomphale aux États-Unis (1919), où il obtient notamment une aide généreuse pour la reconstruction de l'université de Louvain.

Le grand cardinal

Depuis lors, Mercier est une figure dont l'influence est immense dans le monde catholique. Et il en a fait le rôle. Il faut le comprendre. Ce n'était pas un cardinal de la Renaissance qui construisait des palais baroques. C'était un cardinal de l'Eglise à une époque d'énorme faiblesse face aux Etats. Il fallait du prestige pour se faire entendre. Il l'a acquis et l'a utilisé pour le bien de l'Église. Même le Saint-Siège souhaitait qu'il intervienne, après la guerre, dans le traité de Versailles pour résoudre la douloureuse question des États pontificaux, mais il n'a rien pu faire. À sa mort, le gouvernement belge lui fit des funérailles nationales avec tous les honneurs (il existe de vieux enregistrements de sa mort). en ligne).

La densité de la période et du personnage lui-même a fait que la biographie qu'il mérite n'existe pas encore. Il existe une première esquisse du canonique A. Simon, Le cardinal Mercier. Et Roger Aubert, grand historien de l'Université de Louvain, lui a consacré un important ensemble d'études, rassemblées à l'occasion du quatre-vingtième anniversaire d'Aubert : Le cardinal Mercier (1851-1926). Un prélat d'avant-garde. Ils m'ont aidé à composer ce portrait. En dehors d'autres études spécialisées.

Quelques caractéristiques

Il est accusé d'être hautain et de ne pas comprendre le secteur flamand en Belgique. La question a été étudiée et nécessite beaucoup de nuances. D'autre part, malgré sa posture de cardinal, c'était une personne aux goûts sobres. Surtout pendant la guerre et l'après-guerre, il ne voulait pas être en décalage avec les difficultés de son peuple et, par exemple, il se passait de chauffage et simplifiait autant que possible son alimentation.

Il était dévoué à la Sacré-CœurIl était chrétien, de l'Esprit Saint, de la Vierge et de l'Eucharistie. Sa correspondance montre clairement qu'il avait une réaction chrétienne face aux nombreux malentendus et difficultés de sa vie. Dans les dernières années de sa vie, il s'est beaucoup intéressé à la proclamation du dogme de la médiation universelle de Marie et s'est entretenu avec les papes et de nombreux théologiens.

Les entretiens de Malines

Les conversations œcuméniques avec les représentants du monde anglican constituent un chapitre particulièrement intéressant. Elles ont occupé la dernière partie de sa vie (1921-1926). L'amitié de Pombal avec Lord Halifax, un noble anglican bien connu qui aspirait à l'unité de l'Église, s'est concrétisée par une rencontre avec le cardinal pour voir ce qu'il était possible de faire. Ils sont allés voir le cardinal pour voir ce qu'il était possible de faire. Après en avoir informé le Saint-Siège, et sans publicité, des entretiens eurent lieu entre théologiens catholiques et anglicans pour étudier ensemble les difficultés : la question de la valeur des ordinations anglicanes, de l'épiscopat et des sacrements. Et surtout l'exercice de la primauté romaine. Il a été noté que l'on pouvait tenter d'approcher l'exercice du premier millénaire.

La mort du cardinal a mis l'affaire en suspens, mais ces discussions ont constitué un précédent important dans l'élan œcuménique du concile Vatican II et ont formulé des questions et des approches qui continuent à faire la lumière.

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