Monde

 Un acteur français, converti à l'islam

Entretien avec Mehdi-Emmanuel Djaadi, un acteur français de 35 ans. En 2016 nommé au César de l'acteur le plus prometteur pour son rôle dans "Je suis a vous tout de suite", de Baya Kasmi, suite à sa conversion à l'Islam, il se veut être un pont entre les gens, entre ses publics et Dieu.

Bernard García Larraín-20 janvier 2022-Temps de lecture : 5 minutes
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Texte original de l'article en espagnol ici
Traduction : Martyn Drakard

C'est une froide nuit de décembre dans le café "Le café qui parle", dans le quartier artistique de Paris, Montmartre, près de la Basilique du Sacré-Coeur. Mehdi-Emmanuel Djaadi, un acteur français de 35 ans, vient de terminer sa représentation au théâtre Galabru, à quelques mètres de là. Le café est bondé de monde et l'ambiance est très animée. Presque toutes les personnes présentes ont assisté à la représentation. Ils font partie des 150 personnes qui, depuis plusieurs mois, remplissent le théâtre chaque jeudi et vendredi pour voir Mehdi. Ce n'est donc pas pour rien qu'à partir de janvier prochain, la représentation aura lieu dans un lieu plus grand, le théâtre du Petit Montparnasse.

 L'acteur se promène de table en table pour discuter, plaisanter et partager ses impressions. Il est comme un jeune marié qui sourit en accueillant ses invités au déjeuner de noces. Mais son intérêt va au-delà de la simple rencontre avec ces personnes ; il veut surtout voir si son travail aide les personnes présentes à comprendre sa foi. Au bout d'un moment, l'acteur parvient à s'asseoir et à discuter tranquillement avec moi pendant le dîner. Sa femme Anne se joint à notre conversation, mais notre repas est constamment interrompu par des personnes qui viennent lui demander quelque chose, lui dire au revoir et le remercier.

 Il y a un air de grand enthousiasme ; son charisme fait qu'il est facile de s'ouvrir avec lui et les gens se rendent compte de son authenticité. Un couple de protestants l'invite à témoigner dans leur communauté ; une jeune fille lui demande de l'accompagner lors d'une visite que son groupe organise à la célèbre prison de La Sante, la seule prison située dans les vieux murs de la ville ; un jeune homosexuel lui demande quelque chose sur sa condition et le chanteur Ekoue, qui vit dans cette partie de la ville, le salue. Mehdi-Emmanuel, nommé au César 2016 de l'acteur le plus prometteur pour son rôle dans "Je suis à vous tout de suite" de Baya Kasmi se veut un pont entre les gens, entre ses publics et Dieu. "Coming Out", son propre spectacle dans lequel, au moyen d'un monologue comique de plus d'une heure, il raconte sa conversion de l'islam au catholicisme, fait grand bruit. Le Figaro a fait son éloge dans un article publié en octobre sous le titre "Le rire d'un converti". New York Times son travail brise tous les stéréotypes.

 Dans le spectacle, vous racontez votre étonnant parcours vers la foi, votre conversion de l'islam au catholicisme. Pouvez-vous nous en dire plus sur vous ?

 Je suis né en 1986 à St Etienne, dans le sud-est de la France, dans un quartier immigré de la ville où vivaient des personnes d'origines diverses mais, à partir de l'an 2000 environ, exclusivement musulmanes, strictement musulmanes. Dès l'enfance, j'ai pris l'islam au sérieux ; en même temps, j'ai fait de mauvaises choses avec d'autres enfants du quartier. Le fait de pouvoir prétendre être quelqu'un d'autre pour voler m'a montré que je pouvais imiter d'autres personnes et j'ai ainsi réalisé ma vocation artistique d'acteur. J'ai fait mes études théâtrales à Valence en 2007, puis en 2010 j'ai intégré l'Ecole superieure de l'art dramatique à Lausanne.

 Mes parents sont algériens, mon père est ouvrier et ma mère est nourrice. Ils m'ont inscrit dans une école chrétienne que je fréquentais pendant la semaine. Alors que le week-end, j'allais à la madrasa pour étudier l'islam. Quand j'avais 18 ans, avec quelques amis, nous sommes entrés dans une église protestante, par curiosité. Le pasteur nous a accueillis chaleureusement et nous a dit ce qui est important : Jésus nous aime, et a donné à chacun d'entre nous une Bible. J'ai commencé à le lire sérieusement ; il a suscité mon intérêt et m'a fait réfléchir. Les catholiques ont l'habitude qu'on leur parle de fraternité et d'amour entre eux et pour nous. Pour moi, c'était quelque chose de tout à fait nouveau, un message révolutionnaire qui ne voulait pas disparaître.

 Trois ans plus tard, j'ai été baptisé en tant que protestant et j'ai choisi le nom d'Emmanuel. Je n'ai plus entendu parler de ce pasteur qui a eu une telle influence dans ma vie. En 2011, lors d'une retraite que j'ai faite dans une abbaye, j'ai eu une expérience personnelle très profonde avec Jésus-Christ, et j'ai pris conscience que je devais entrer dans l'Église catholique. Je suis toujours très ému lorsque je me souviens de ce moment.

 Il faut du courage pour franchir le pas de la conversion au catholicisme d'un fils d'immigrés algériens. Comment votre famille et vos amis ont-ils réagi ?

 J'ai perdu beaucoup d'amis, et mes frères et sœurs ne me parlent toujours pas. L'incompréhension et l'opposition ont été fortes. Grâce à Dieu, je me suis réconcilié avec mes parents, bien qu'ils se sentent profondément offensés par mon choix. Malgré tout, je pense qu'il n'y a pas lieu d'avoir peur ; souvent, les gens n'agissent pas simplement par peur. Nous devons faire davantage confiance à la Providence de Dieu.

 En France, le thème de l'identité française, de l'islam et de l'immigration est au cœur du débat public depuis de nombreuses années. Dans cette optique, quel est l'objectif de votre travail en tant qu'acteur ?

 En tant que fils d'immigrés algériens, je me sens complètement français, sans oublier mes racines de l'autre côté de la Méditerranée. Mon grand-père algérien a combattu pour la France pendant la Seconde Guerre mondiale. Aujourd'hui, le thème de l'immigration est en effet un sujet majeur de la politique, et de l'Islam en particulier. A ce carrefour politique et social, nous, catholiques, devons être meilleurs, plus fervents, mieux connaître notre foi ainsi que les racines chrétiennes de notre pays. J'ai appris à aimer la France en voyageant dans le pays, en voyant ses grands monuments, ses églises et ses monastères que l'on trouve dans tous les coins de notre pays.

 Je considère donc mon travail comme une occasion pour de nombreuses personnes très différentes de rencontrer notre foi. Mon objectif est de susciter de telles rencontres, des occasions de pouvoir partager ce que je porte en moi. En bref, j'essaie d'être un pont entre deux mondes très différents, l'islam et le christianisme ; pour moi, la rencontre passe avant le dialogue.

 Outre "Coming Out", quels sont vos autres projets ?

D'une part, je suis impliqué dans la mission "Ismerie", une initiative de laïcs, hommes et femmes, qui accueillent et accompagnent les convertis de l'Islam dans l'Église. L'islam ne tolère pas le changement de religion et les convertis sont souvent considérés comme des traîtres, où qu'ils se trouvent. En France, environ 300 musulmans sont baptisés chaque année (10% de catachumènes). Le gouvernement français a publié une "charte de principes" déclarant que le renoncement à l'islam ne peut être considéré comme un crime ou une apostasie. Il a été rejeté par trois fédérations islamiques. En même temps, nous devons améliorer la manière dont les convertis de l'Islam sont accueillis dans l'Église. Ils sont souvent regardés avec méfiance par la communauté catholique. C'est pourquoi dans mon spectacle, je me moque gentiment de certains groupes catholiques.

 D'autre part, je veux avoir un impact plus important dans le monde du théâtre où le catholicisme n'est pas populaire. J'aimerais que "Coming Out" soit apprécié pour ses qualités techniques et artistiques et je serais très heureux que des producteurs et des réalisateurs de films soient présents. Nous, catholiques, sommes mis au défi d'être de bons professionnels dans le monde des artistes et de toucher un public plus large, au-delà des seuls cercles catholiques. Je veux continuer à encourager les rencontres avec toutes sortes de personnes.

L'auteurBernard García Larraín

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