La réponse du pape à la démission du cardinal Marx du siège épiscopal de Munich et Freising, rédigée à l'origine en espagnol (argentin) et dont la traduction officielle en allemand est particulièrement lourde en raison de l'excès de littéralisme - par exemple, il déverse littéralement le dicton "tener esqueletos en el armario", alors que la métaphore en allemand serait "tener cadáveres en el sótano" ("avoir des cadavres dans la cave" ("Leichen im Keller haben") ; et il en va de même pour "mettre la viande à la broche" qui, traduit littéralement, est inintelligible (l'expression allemande équivalente serait "alles in die Waagschale werfen", "jeter tout sur la balance") - a surpris par sa rapidité... et, au moins pour le Cardinal lui-même, par son refus d'accepter la démission.
Mais ce n'est pas seulement la rapidité qui surprend, mais aussi la différence avec l'absence de réaction de l'archevêché de Cologne. Comme nous l'avons déjà signalé, lorsque le rapport d'expert sur les abus Le 18 mars, les évêques auxiliaires de Cologne, Dominik Schwaderlapp et Ansgar Puff, ainsi que l'actuel archevêque de Hambourg, Stefan Hesse (chef du département du personnel de 2006 à 2012 et vicaire général de 2012 à 2014 à Cologne), ont démissionné du diocèse. Le fait qu'il n'ait pas répondu jusqu'à présent pourrait être lié à la visite apostolique ordonnée par le pape François le 28 mai en la personne de l'évêque de Stockholm, le cardinal Anders Arborelius, et du président de la Conférence épiscopale des Pays-Bas, Mgr Johannes van den Hende, qui doit se terminer au milieu du mois. Le pape n'a probablement pas voulu répondre aux appels à la démission avant de connaître le résultat de la visite, qui, outre qu'elle concerne les trois évêques susmentionnés, répond surtout aux appels croissants à la démission de l'archevêque de Cologne lui-même, le cardinal Woelki.
Suivant la même logique, François aurait pu attendre que le rapport sur la même question concernant le cardinal Marx soit rendu public, surtout en ce qui concerne la période où il était évêque de Trèves (2002-2007) - en 2019, Marx a admis qu'en 2006 il avait omis de s'occuper du cas d'un prêtre accusé d'avoir commis plusieurs abus ; le parquet a ouvert une procédure contre le prêtre, mais l'a classée, malgré des indications claires, parce que le délai de prescription était expiré. Le résultat du rapport est attendu "à l'automne". On saura alors si Marx a personnellement des "squelettes dans l'armoire" (ou des "cadavres dans la cave").
Le pape souligne qu'il "est d'accord avec vous pour qualifier de catastrophe la triste histoire des abus sexuels et la façon dont l'Église l'a traitée jusqu'à récemment". François indique le chemin à suivre pour surmonter la crise : "C'est le chemin de l'Esprit que nous devons suivre, et le point de départ est l'humble confession : nous avons commis des erreurs, nous avons péché. Nous ne serons pas sauvés par les sondages ou le pouvoir des institutions. Nous ne serons pas sauvés par le prestige de notre Église, qui a tendance à dissimuler ses péchés ; nous ne serons pas sauvés par le pouvoir de l'argent ou l'opinion des médias (nous sommes si souvent trop dépendants d'eux). Nous serons sauvés en ouvrant la porte à Celui qui peut le faire et en confessant notre nudité : "J'ai péché", "nous avons péché"... et en pleurant, et en balbutiant du mieux que nous pouvons que "éloigne-toi de moi, pécheur", l'héritage que le premier pape a laissé aux papes et aux évêques de l'Église".
Le lien entre les lettres
La lettre du pape au cardinal Marx s'inscrit pleinement dans la lignée de ce que François a écrit, le 29 juin 2019 - la fête des saints Pierre et Paul, qui est également significative - au... "Le peuple de Dieu en pèlerinage en Allemagne", où il était dit : "Assumer et subir la situation actuelle n'implique pas la passivité ou la résignation et encore moins la négligence, au contraire c'est une invitation à entrer en contact avec ce qui en nous et dans nos communautés est nécrosé et a besoin d'être évangélisé et visité par le Seigneur. Et cela demande du courage car ce dont nous avons besoin est bien plus qu'un changement structurel, organisationnel ou fonctionnel.
La lettre actuelle adressée à l'archevêque de Munich commence précisément par parler de courage : "Tout d'abord, je vous remercie pour votre courage. C'est un courage chrétien qui n'a pas peur de la croix, qui n'a pas peur d'être humilié par la terrible réalité du péché". Bien que le pape ne mentionne pas expressément le "changement structurel, organisationnel ou fonctionnel", il le sous-entend lorsqu'il encourage à confesser "j'ai péché", à rechercher une conversion personnelle.
Le pape ne fait pas non plus aujourd'hui expressément référence à la " voie synodale " ; il l'a fait dans la lettre précitée de 2019 - que, selon le cardinal Kasper dans une interview récente, les représentants de la voie synodale auraient dû prendre plus au sérieux. Il y expliquait - en citant expressément la Constitution conciliaire Lumen Gentium et le décret Christus Dominus de saint Paul VI - ce que devrait être réellement la synodalité : "La synodalité de bas en haut, c'est-à-dire le devoir de veiller à l'existence et au bon fonctionnement du diocèse : les conseils, les paroisses, la participation des laïcs... (cf. CEC 469-494), en commençant par le diocèse, puisqu'il n'est pas possible d'avoir un grand synode sans aller à la base... ; et puis la synodalité du haut vers le bas, qui permet de vivre de manière spécifique et singulière la dimension collégiale du ministère épiscopal et de l'être ecclésial. Ce n'est que de cette manière que nous pouvons parvenir et prendre des décisions sur des questions essentielles pour la foi et la vie de l'Église".
La connexion entre le lettre au Cardinal Marx et le Lettre au peuple de Dieu en Allemagne nous invite à lire dans le même sens les passages de la lettre à l'archevêque de Munich dans lesquels il nous rappelle que la réforme requise dans ces circonstances "commence par soi-même". La réforme dans l'Église a été faite par des hommes et des femmes qui n'ont pas eu peur d'entrer en crise et de se laisser réformer par le Seigneur. C'est la seule façon, sinon nous ne serons rien d'autre que des 'idéologues de la réforme' qui ne mettent pas leur propre chair en jeu".
Les deux lettres rappellent que la réforme requise dans ces circonstances "commence par soi-même".
José M. García Pelegrín
Quoi qu'il en soit, le Pape ne fait pas sienne la thèse exprimée par Marx dans sa lettre de démission, selon laquelle l'Église "est dans une impasse". En fait, cette "impasse" est due - comme l'a fait jusqu'à présent le rédacteur en chef de Die TagespostOliver Maksan - que l'Eglise en Allemagne "est prise au piège dans une camisole de force" parce que le cardinal Marx a "joint l'agenda politico-ecclésiastique et le traitement des abus à la voie synodale" pour former un "enchevêtrement inextricable".
En effet, le cardinal Marx est l'un des principaux responsables de la fixation qui - comme le démontre le Chemin synodal - existe dans une grande partie du laïcat "officiel", et même dans une partie de la hiérarchie en Allemagne, à lier le traitement des abus sexuels à un parcours qui vise à surmonter les "structures de pouvoir", tout en revendiquant des "réformes" structurelles, une position que François - dans sa Lettre au Peuple de Dieu en Allemagne - qualifie de "tentation" et de "nouveau pélagianisme" : "Je me souviens que dans la rencontre que j'ai eue avec vos pasteurs en 2015, je leur disais qu'une des premières et grandes tentations au niveau ecclésial était de croire que les solutions aux problèmes présents et futurs viendraient exclusivement de réformes purement structurelles, organiques ou bureaucratiques, mais qu'en fin de compte, elles ne toucheraient pas du tout les noyaux vitaux qui demandent de l'attention." Pour citer sa propre Exhortation Apostolique Evangelii GaudiumIl a ajouté : "C'est un nouveau pélagianisme, qui nous conduit à faire confiance aux structures administratives et aux organisations parfaites".
En rappelant - une fois de plus - que la réforme doit être le fruit d'une conversion personnelle, la lettre du pape François au cardinal Marx pourrait contribuer à libérer l'Église en Allemagne de la "camisole de force", ou à briser le nœud gordien de l'enchevêtrement mentionné ci-dessus. Bien sûr, cela exigerait des responsables de la Voie synodale plus d'attention qu'ils n'en ont accordé à la Lettre au peuple de Dieu en Allemagne.