Francis est venu au Canada d'écouter, dans la mesure du possible, les 1,7 million d'autochtones répartis entre les Premières nations, les Métis et les Inuits (ces derniers étant moins de 50 000). Beaucoup d'entre eux ont subi de nombreux abus, principalement dus à des politiques éducatives malavisées, et ils restent profondément blessés. Il est venu demander leur pardon.
À Iqaluit
Mission accomplie. Il semble que cela fasse le bonheur de nombreux Canadiens. Lors de sa dernière étape, Iqaluit, il a rencontré un millier d'Inuits, une foule pour ce territoire du Nunavut, et a passé plus de temps que prévu à écouter en privé une centaine d'entre eux qui ont souffert du colonialisme. Cette capitale du Nunavut ne compte que huit mille habitants.
Dans son discours, il s'est adressé aux jeunes Inuits, dont le taux de suicide est l'un des plus élevés au monde. Avec des concepts clairs et de belles comparaisons, il a encouragé les jeunes Inuits à aller de l'avant, à ne pas se décourager, à demander conseil aux aînés, à persévérer et à vouloir changer le monde. Il leur a donné trois conseils : marcher vers le haut, aller vers la lumière et faire équipe.
Il a expliqué ce que le libertéSi nous voulons être meilleurs, nous devons apprendre à distinguer la lumière des ténèbres... Vous pouvez commencer par vous demander : qu'est-ce qui me semble lumineux et séduisant, mais qui me laisse ensuite un grand vide à l'intérieur ? Ce sont les ténèbres ! D'autre part, qu'est-ce qui me fait du bien et me laisse la paix dans le cœur, même si cela m'a demandé de quitter certains conforts et de dominer certains instincts ? C'est la lumière ! Et je continue à me demander quelle est la force qui nous permet de séparer la lumière des ténèbres en nous, qui nous fait dire "non" aux tentations du mal et "oui" aux occasions du bien ? C'est la liberté. La liberté, ce n'est pas faire ce qui me plaît, ce n'est pas ce que je peux faire malgré les autres, mais pour les autres, c'est la responsabilité. La liberté est le plus beau cadeau que notre Père céleste nous ait fait, avec la vie".
En souvenir de Jean-Paul II
Vingt ans après les Journées mondiales de la jeunesse de Toronto, il leur a répété une phrase que saint Jean-Paul II avait prononcée devant 800 000 personnes à l'époque : "Il n'y a peut-être pas de ténèbres plus épaisses que celles qui pénètrent dans l'âme des jeunes lorsque de faux prophètes éteignent en eux la lumière de la foi, de l'espérance et de l'amour".
Le discours d'aujourd'hui s'adressait à beaucoup moins de personnes que cette homélie de 2002. Quelle importance ? C'est la périphérie. Elle rééquilibrera une Église en voie de disparition, une Église qui veut rencontrer chaque âme là où elle se trouve.
Le discours était en espagnol, traduit par sections par le prêtre qui a servi d'interprète tout au long du voyage (le polyglotte franco-canadien Marcel Caron), puis une seconde fois en inuktituk par un interprète local.
C'est comme ça que ça s'est terminé : "Amis, marchez vers le haut, allez chaque jour vers la lumière, faites équipe. Et faites tout cela dans votre culture, dans la belle langue inuktitut. Je vous souhaite, en écoutant les anciens et en puisant dans la richesse de vos traditions et de votre liberté, d'embrasser l'Évangile gardé et transmis par vos ancêtres, et de trouver le visage inuk de Jésus-Christ. Je vous bénis de tout mon cœur et je vous dis : "qujannamiik" [merci].
Construire l'espoir
Le saint canadien François de Laval (1623-1708) est comparable au saint péruvien Toribio de Mogrovejo (1538-1606). Tous deux étaient des évêques missionnaires infatigables dans un monde nouveau. Le 28 juillet, dans la cathédrale de Québec où il est enterré, le pape François a qualifié son homonyme, qui fut le premier évêque de la Nouvelle-France, de "bâtisseur d'espoir". L'évêque de Rome a tenté de le faire en visitant le deuxième plus grand pays du monde. Il a construit l'espoir.
Il était déjà venu ici auparavant, et Jorge Bergoglio n'a jamais voulu être un "évêque d'aéroport". Il n'a jamais voyagé aux États-Unis jusqu'à ce qu'il s'y rende, en tant que pape, en 2015. Mais il était venu à Québec en tant qu'archevêque. Il a été invité par son ami, l'archevêque de la ville de l'époque, le cardinal Marc Ouellet. Bergoglio a donné une conférence en 2008 au Congrès eucharistique de Québec, qui s'est déroulé à l'occasion du 400e anniversaire de la ville.
Maintenant, il part fatigué mais heureux. Il était assis la plupart du temps, à cause de son genou. Mais son sacrifice personnel et sa souffrance ont été aussi inspirants que ceux de son prédécesseur âgé et malade, Jean-Paul II, il y a deux décennies.
Mission accomplie
Lui, les évêques canadiens et de nombreux observateurs conviendront que ce chemin de réconciliation entre les autochtones indignés et l'Église du Canada n'en est qu'à ses débuts et prendra beaucoup de temps. Mais la réaction des indigènes qui l'ont reçu a été très généreuse.
Ce qui est certain, c'est qu'une fois de plus, providentiellement, chaque nuage a un bon côté. Dans les arts martiaux, le mouvement de l'adversaire est souvent utilisé pour le mettre à terre. Quelque chose comme ça vient d'arriver ici. Alors que l'on pensait que l'Église allait être renversée, Bergoglio est arrivé et a profité du mouvement pour évangéliser.
Dans ce pays, ces dernières années, les médias et les politiciens ont voulu enseigner l'éthique aux chrétiens, et voilà que le chrétien le plus connu de la planète vient au Canada et parle de religion et de moralité, avec une telle humilité, savoir faireL'Église est la gagnante, la subtilité et la sympathie. Les journalistes ne pouvaient pas le croire, mais les médias ne pouvaient pas faire le vide pour le Pape. Ils n'avaient d'autre choix que de diffuser les événements importants de la visite, ainsi que les gestes et les messages d'un grand communicateur. Parce qu'il est venu rendre visite aux indigènes (qui sont "à la mode"), à leur demande. Et parce que Francis est Francis. Son nom même est attrayant pour les hommes et les femmes d'aujourd'hui. Tout comme sa personne, et son message parfaitement calibré. Il fait tout ce qu'il peut pour être sur la même longueur d'onde que ceux qu'il visite.
Le pape sait coudre. L'aiguille des pensionnats autochtones, une véritable tragédie (qui doit encore faire l'objet d'une enquête académique, ce qui prendra des décennies), lui a permis de mettre le fil du Christ dans le tissu social canadien.