Vatican

La miséricorde, la justice et la juste application des normes canoniques face aux abus

Le professeur Ricardo Bazán, prêtre et juriste, réfléchit à l'application des normes canoniques face aux abus sexuels au sein de l'Église, en partant de la question suivante : "Les normes suffisent-elles à mettre de l'ordre dans une société ?

Ricardo Bazán-6 mai 2022-Temps de lecture : 6 minutes
procès du vatican

Photo : ©2022 Catholic News Service / Conférence des évêques catholiques des États-Unis.

Traduction de l'article en italien

L'un des problèmes majeurs auxquels Benoît XVI a dû faire face durant son pontificat a été les cas d'abus sexuels sur mineurs commis par des prêtres et des religieux. Malgré les nombreux efforts et mesures qui ont été pris, ce n'était pas suffisant, on pourrait même dire que le temps n'a pas suffi. Le pape François a pris cette situation très au sérieux, comme en témoignent les normes qu'il a édictées au cours de son pontificat pour lutter contre ce cancer au sein de l'Église.

Les règles sont-elles suffisantes ?

En tant que prêtre et juriste, je me pose la question suivante : les règles suffisent-elles à mettre de l'ordre dans une société ? L'Église est un mystère, elle est le Corps mystique du Christ, et en même temps elle est composée d'hommes et de femmes, tous baptisés, entre lesquels il existe une série de relations et un échange de biens, pas nécessairement ou principalement de nature matérielle, mais surtout de nature spirituelle. C'est pourquoi nous parlons de l'Église comme d'une société et qu'elle possède son propre système juridique, le droit canonique. Cependant, comme dans toute société, les règles ne suffisent pas à l'ordonner. Par exemple, le fait qu'il existe une loi pénale dans un État qui stipule que toute personne qui s'approprie le bien d'autrui sera punie d'une peine de prison de 4 à 8 ans ne signifie pas que le vol n'existe pas.

Depuis la promulgation du motu proprio Sacramentorum Sanctitatis Tutela (SST), en 2001, avec les modifications ultérieures, ainsi que les normes promulguées par le pape François, les cas d'abus sexuels sur des mineurs n'ont pas diminué, peut-être au début, lorsque les scandales sont devenus publics, mais aujourd'hui les abus sexuels commis par des membres du clergé continuent, et nous ne parlons pas seulement de scandales impliquant des mineurs, mais aussi d'actes contre le sixième commandement et qui impliquent une violation de la promesse ou du vœu de célibat attendu d'un prêtre ou d'un religieux.

Que faut-il alors ? Beaucoup de choses. Le problème moral de la part des membres de l'Église commence avec la formation des prêtres et des religieux, dans le processus de discernement et de sélection, ainsi que dans l'accompagnement qu'ils doivent avoir tout au long de leur vie. Nous allons ici traiter de l'aspect juridique, en essayant de répondre à la première question. 

"Le bon sens de la justice

Il convient de préciser que les lois ne sont pas efficaces en elles-mêmes. Pour les appliquer correctement, il est nécessaire de comprendre la règle et quelque chose d'autre, que nous pouvons appeler "un bon sens de la justice". Prenons un exemple. Si dans un diocèse l'évêque veut mettre en œuvre toutes les mesures prescrites par Vos estis lux mundi (VELM), SST, Code de droit canonique tel que modifié dans le livre VI sur les peines par la Constitution Apostolique Pascite gregem Deietc., une connaissance minimale du droit et des droits sera nécessaire. L'un d'eux est le principe de la présomption d'innocence. En d'autres termes, toutes ces règles doivent avoir pour principe la présomption que le clerc ou le religieux en question est innocent jusqu'à preuve du contraire. 

D'où la nécessité d'un processus judiciaire, avec des principes, des étapes, des moyens de preuve et des ressources qui visent à garantir une protection judiciaire efficace, c'est-à-dire que toute personne puisse s'adresser aux tribunaux de l'Église lorsqu'elle a subi une violation de ses droits. En contrepartie, comme le veulent la justice et le bon sens, la personne accusée d'un crime doit avoir la garantie de n'être qu'un accusé, même en tant que personne faisant l'objet d'une enquête dans un premier temps, avant que la plainte ne soit formalisée. Il sera innocent, et devra être traité comme tel, jusqu'à ce que le jugement, dûment motivé sur la base des actes de procédure et des preuves, dise qu'il est coupable.

Ce que nous voyons dans les nouvelles et dans la pratique actuelle, c'est que l'accusé est déjà coupable et doit prouver son innocence. Par exemple, nous avons le cas du cardinal George Pell, qui a dû se battre pendant trois ans pour son innocence. Il faut saluer l'attitude du pape François qui ne l'a pas démis de ses fonctions de préfet du Secrétariat à l'économie pendant la durée du processus judiciaire en Australie, mais lui a accordé la permission de voyager et de comparaître devant la justice de son pays, précisément parce qu'il était innocent jusqu'à ce qu'il y ait un jugement définitif, jusqu'à ce que toutes les instances aient été épuisées.

Lorsque ces principes et droits fondamentaux ne sont pas respectés, l'application aveugle des règles peut conduire à de graves préjudices, du point de vue de la justice et du droit. Considérez les mesures sévères qui sont souvent prises lorsqu'un prêtre est accusé et immédiatement suspendu de toutes ses fonctions. Bien entendu, cette mesure de précaution a une raison d'être : éloigner le délinquant potentiel des personnes auxquelles il pourrait nuire, car l'expérience passée montre que le pédophile a été déplacé dans une autre paroisse et a continué à commettre des crimes. Mais la prudence est une chose, traiter l'accusé comme coupable en est une autre. Dans d'autres cas, sans une distinction appropriée entre un processus judiciaire et un processus de sanction administrative, ce dernier est choisi afin d'accélérer le processus pénal, et on oublie qu'il s'agit d'une procédure exceptionnelle, lorsqu'il existe des preuves suffisantes ou des preuves solides contre l'innocence de l'accusé, pour mériter de prendre cette voie, qui ne présente pas toutes les garanties du cas. Ainsi, un accusé peut constater qu'une enquête a été ouverte à son encontre et qu'il est appelé à témoigner dans ce que l'on peut appeler une audience probatoire, alors que les preuves ont déjà été pratiquement actées, et avec peu d'options ou de moyens pour se défendre, comme il se doit.

L'article 2 du motu proprio VELM prescrit la création d'un bureau chargé de recevoir les rapports ou les plaintes concernant d'éventuelles infractions. L'idée de ce règlement est que l'ordinaire, par exemple l'évêque, doit être obligé d'enquêter et que la victime doit avoir la possibilité d'être entendue. Il convient toutefois de préciser ici que ce bureau n'est pas un organe judiciaire et que la simple réception d'une plainte n'est pas non plus synonyme de culpabilité, mais qu'il s'agit de garanties ou de moyens permettant d'éviter une dissimulation. Tout au long de cette enquête, le principe de la présomption d'innocence doit toujours prévaloir, ainsi qu'un travail sérieux pour recueillir des témoignages ou des preuves qui permettront de discerner s'il existe des éléments suffisants pour engager un processus judiciaire dans l'Église. Cependant, nous considérons qu'il s'agit d'une solution de facilité pour un problème plus important.

Si les tribunaux de l'Église sont correctement constitués et organisés, il ne serait pas nécessaire de créer ces bureaux dont parle le VELM, puisque cette activité d'enquête devrait être menée par un organe du pouvoir judiciaire du diocèse, avec une formation adéquate, précisément pour recueillir toutes les informations nécessaires pour leur permettre de porter un jugement sur l'existence éventuelle d'un délit ou non, mais pas sur la culpabilité de la personne enquêtée. En même temps, il est compréhensible que de tels bureaux aient été proposés, étant donné qu'en de nombreuses occasions, certains évêques n'ont pas répondu aux demandes de protection de personnes ayant subi des abus ou des comportements inappropriés de la part de prêtres ou de religieux.

L'année dernière a vu la publication d'un rapport commandé par l'Église de France sur les abus commis par le clergé entre 1950 et 2020, dont les chiffres en ont laissé plus d'un pantois. Il est juste de préciser que le chiffre présenté, 216 000 victimes, est une estimation faite par la commission à partir des 2700 victimes identifiées entre 1950 et 2020, et de 4800 autres provenant d'archives retrouvées. Toutefois, cela n'enlève rien au fait que pas un seul abus n'aurait dû se produire au sein de l'Église, et encore moins être couvert. Une démarche similaire est attendue dans des pays comme l'Espagne, où la Conférence épiscopale a demandé un audit à un cabinet d'avocats.

Principes et droit naturel

Depuis le cas de l'Église aux États-Unis, mis en lumière par l'enquête du journal Le Boston GlobeÀ partir du cas récent de l'Église en France, nous pouvons voir l'ampleur du problème auquel l'Église a dû faire face, pour lequel des mesures d'urgence ont été nécessaires, avec une faible capacité de réflexion, tout d'abord pour connaître les causes et pouvoir prévenir, en partant d'une question très simple : pourquoi mes clercs et religieux ont-ils commis ces abus ou n'ont-ils pas tenu leurs promesses ou leurs vœux de chasteté ? Que s'est-il passé ? Ensuite, il est nécessaire d'identifier les moyens à la disposition de l'Église, dont l'un, et celui qui nous occupe, est la loi. Mais la loi n'est pas un outil qui peut être utilisé sans discernement. Le droit a des principes qui émanent du droit naturel et des choses.

Ainsi, elle doit être utilisée et appliquée avec justice et avec un juste sens des choses, sinon, nous commettrions à nouveau une injustice. Il est donc nécessaire que l'Église, lorsqu'elle légifère pour faire face aux scandales sexuels dont nous parlons, prenne le temps, pas trop, de réfléchir au phénomène qu'elle tente de réglementer ; aux principes et aux droits qui doivent être respectés de manière juste pour la réalisation de l'objectif de cette norme, ainsi qu'aux effets qu'une telle norme pourrait générer dans l'Église. Nous sommes probablement loin de mettre un terme au problème des abus, tant que l'on ne s'attaque pas à la cause des abus, qui mérite une étude détaillée et interdisciplinaire, interdicastérielle oserais-je dire. En attendant, le droit canonique peut offrir certains outils, à condition que cela soit fait avec justice, et pas seulement avec légalité. Ainsi, la justice et la miséricorde seraient vécues avec toutes les parties concernées, y compris les saints fidèles de Dieu, pour paraphraser le pape François.

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