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Pie XII et le national-socialisme

L'origine de la légende noire sur Pie XII remonte au 20 février 1963, date de la première de la pièce de théâtre "Le Vicaire" de Rolf Hochhuth. Cette pièce présentait Pie XII comme un cynique sans scrupules qui, obsédé par la lutte contre le communisme, avait justifié et même soutenu les actions des nazis.

José M. García Pelegrín-19 novembre 2024-Temps de lecture : 6 minutes
Pie XII

Le pape Pie XII avant d'envoyer un message radio pendant la Seconde Guerre mondiale (photo CNS)

Le pape Pie XII représente probablement le cas le plus spectaculaire de transformation de la perception du public au cours du 20e siècle. Comme le souligne l'historien et journaliste Sven Felix Kellerhoff, "il n'y a probablement aucune autre figure historique d'envergure mondiale qui, comme Eugenio Pacelli, soit passée en si peu de temps après sa mort du statut de modèle largement respecté à celui de personne condamnée par la majorité".

De son vivant et au moment de sa mort, le 9 octobre 1958, Pie XII jouissait d'un prestige international incontestable, reflété par des événements tels que son apparition en couverture de Time avec la citation "L'œuvre de la justice est la paix". Des rues et des avenues lui ont été dédiées en Allemagne, tandis que le Premier ministre israélien Golda Meir l'a décrit comme "un grand ami du peuple d'Israël".

Le grand rabbin de Rome, Israel Zolli, qui s'est ensuite converti au catholicisme et a pris le nom d'Eugène en l'honneur du pape, a défendu cette position : "Aucun héros de l'histoire n'a commandé une armée aussi militante que celle que Pie XII a mobilisée contre Hitler. Il a mené une bataille sans effusion de sang mais sans relâche". Le grand rabbin de Jérusalem, Isaac Herzog, a déclaré en 1944 : "Le peuple d'Israël n'oubliera jamais ce que Sa Sainteté fait pour nos malheureux frères et sœurs en cette heure tragique". L'Union des communautés juives italiennes a même frappé une médaille d'or en son honneur.

Pie XII, le pape d'Hitler ?

Cependant, cette perception a pris un tournant radical peu après, à tel point que John Cornwell a publié en 1999 un livre intitulé "Hitler's Pope". L'origine de la légende noire sur le pape Pacelli remonte au 20 février 1963, date de la première de la pièce "Le Vicaire" de Rolf Hochhuth. Cette pièce présentait Pie XII comme un cynique sans scrupules qui, obsédé par la lutte contre le communisme, avait justifié et même soutenu les actions des nazis. Quiconque s'étonne qu'une pièce de théâtre puisse avoir un tel impact sous-estime le pouvoir de la fiction - pensons, par exemple, au "Da Vinci Code".

Cependant, la réalité historique contredit catégoriquement cette caractérisation. Dès 1924, alors qu'il était nonce apostolique à Munich, Pacelli a fait preuve d'une clairvoyance exceptionnelle en télégraphiant à la Secrétairerie d'État du Vatican : "Le national-socialisme est l'hérésie la plus grave de notre temps". Cette déclaration est particulièrement significative si l'on considère qu'à l'époque, l'Église considérait le communisme comme sa principale menace.

Les dirigeants nazis eux-mêmes le considéraient comme l'un de leurs plus dangereux ennemis. Dans son journal, Joseph Goebbels mentionne Pie XII plus d'une centaine de fois, toujours sur le ton de l'avertissement. Par exemple, à propos du discours papal de Noël 1939, Goebbels note : "Plein d'attaques très mordantes et cachées contre nous, contre le Reich et le national-socialisme.

L'acte de protestation

L'opposition de Pacelli au régime nazi a pris un tournant décisif lorsqu'il était secrétaire d'État sous le pontificat de Pie XI. Il a été l'un des principaux artisans de l'encyclique historique "Mit brennender Sorge"Le titre de l'encyclique a été personnellement modifié par lui, remplaçant le mot "großer" ("Avec une grande inquiétude") par "brennender" ("Avec une inquiétude brûlante"). Cette encyclique, la seule rédigée dans une langue autre que le latin, est l'acte de protestation le plus significatif des douze années du régime nazi. Sa diffusion clandestine en Allemagne a permis qu'elle soit lue simultanément en chaire dans de nombreuses églises catholiques.

Les représailles nazies ont été immédiates et sévères : outre l'incendie systématique des copies, plus de 1 100 prêtres ont été arrêtés et 304 d'entre eux ont été déportés à Dachau. Ces événements ont laissé une marque indélébile sur la conscience de Pacelli, qui s'est rendu compte que la contestation publique du régime nazi pouvait avoir des conséquences dévastatrices pour les catholiques.

Pie XII et les réfugiés juifs

Pendant l'occupation allemande de RomaEntre le 10 septembre 1943 et le 4 juin 1944, l'intervention directe de Pie XII a été déterminante pour le salut des Juifs romains. Le pape ordonne l'ouverture des couvents cloîtrés, mais aussi du Vatican et de sa résidence d'été de Castelgandolfo pour donner refuge aux persécutés. Les chiffres parlent d'eux-mêmes : 4 238 Juifs romains ont trouvé refuge dans 155 couvents de la ville, 477 autres ont été accueillis au Vatican et environ 3 000 autres ont trouvé protection à Castelgandolfo.

Dans la chambre papale elle-même, plusieurs femmes juives enceintes accouchèrent ; une quarantaine d'enfants y naquirent, et beaucoup reçurent le nom d'Eugène ou de Pie en remerciement. Comme le note l'historien Michael Hesemann : "Dans aucun pays de l'Europe occupée par les nazis, autant de Juifs ont survécu qu'en Italie ; dans aucune autre ville, autant qu'à Rome, grâce à Pie XII et à sa sage initiative.

Les critiques qui reprochent à Pie XII de ne pas avoir suffisamment protesté auprès des autorités nazies ignorent les conséquences contre-productives que de telles protestations pouvaient avoir. Le cas le plus illustratif est celui de l'évêque catholique d'Utrecht en août 1942 : sa protestation publique contre la déportation des Juifs aux Pays-Bas a amené les nazis à inclure les catholiques d'origine juive dans les déportations. Parmi les victimes figure Edith Stein, convertie du judaïsme au christianisme et religieuse carmélite. 

Dès 1942, Pie XII déclarait à son confident Don Pirro Scavizzi : "Une protestation de ma part non seulement n'aurait été d'aucune aide pour personne, mais aurait déchaîné la colère contre les Juifs et multiplié les atrocités. Elle aurait peut-être suscité les louanges du monde civilisé, mais pour les pauvres Juifs, elle n'aurait fait qu'engendrer une persécution plus atroce que celle qu'ils ont subie".

Une enquête historique

La publication de "Le Bureau - Les juifs de Pie XII" (édition italienne : "Pio XII e gli ebrei") par Johan Ickx, directeur des Archives historiques du Département des relations avec les États de la Secrétairerie d'État du Saint-Siège, a permis de révéler les succès et les limites de la diplomatie vaticane pendant la Seconde Guerre mondiale. M. Ickx a analysé des documents du pontificat de Pie XII (1939-1958), ouverts à la recherche en mars 2020. En 400 pages réparties en 18 chapitres, il documente le vaste réseau d'évasion des persécutés organisé par le pape, ainsi qu'un réseau d'ecclésiastiques répartis dans toute l'Europe dont le seul but était de sauver des vies.

L'une des révélations les plus importantes d'Ickx est que Pie XII a créé, au début de la guerre, un service spécifique au sein de la Secrétairerie d'État, chargé exclusivement de traiter les demandes d'aide des Juifs persécutés en Europe. Ce "bureau" centralisait les informations sur les déportations, les rafles et l'extermination systématique dans les camps de concentration nazis. Des documents montrent que ce bureau agissait sur instruction directe du Pape. Ickx établit un parallèle avec la "liste de Schindler", qu'il appelle la "liste Pacelli", tout en reconnaissant que la constitution d'un dossier ne garantissait pas une intervention réussie dans tous les cas.

Un exemple significatif est la protestation de Monseigneur Cesare Orsenigo, successeur d'Eugenio Pacelli en tant que Nonce apostolique à Berlin, auprès des autorités allemandes en avril 1940 au sujet du traitement inhumain des prêtres polonais dans les camps de concentration, en particulier à Sachsenhausen. En septembre de la même année, Orsenigo est à nouveau intervenu en faveur de prêtres catholiques en isolement. Le régime nazi refuse de les libérer, craignant qu'ils ne fassent de la propagande antinazie à l'étranger. La seule concession obtenue est la concentration des prêtres dans le camp de Dachau.

Le 20 mars 1942, le nonce en Slovaquie, Mgr Giuseppe Burzio, intervient auprès du gouvernement slovaque pour faire cesser la déportation des Juifs, en réponse à une demande du rabbin de Budapest. Le bureau papal a envoyé une note officielle à l'ambassadeur slovaque auprès du Saint-Siège déclarant : "La question juive est une question d'humanité. Les persécutions contre les Juifs en Allemagne et dans les pays occupés ou soumis sont une offense à la justice, à la charité et à l'humanité. Le même traitement brutal s'étend aux juifs baptisés. L'Eglise catholique est donc pleinement autorisée à intervenir au nom de la loi divine et de la loi naturelle". Un mois plus tard, le nonce à Budapest, Angelo Rotta, a signalé que les déportations s'étaient intensifiées, suggérant que les interventions du Vatican avaient pu exacerber la répression nazie dans certains cas.

Guerre contre l'Église catholique

Ickx consacre 23 pages à un cas qui illustre les tactiques nazies pour neutraliser les interventions du Vatican. En février 1943, une note de protestation du Saint-Siège adressée au ministre allemand des Affaires étrangères Joachim von Ribbentrop est interceptée par le secrétaire d'État Ernst von Weizsäcker, qui la renvoie au nonce sans la lui remettre. Cela a permis aux nazis de nier avoir reçu des protestations officielles du Vatican. À propos de cet incident, Ickx conclut : "Il était clair pour le bureau que les nationaux-socialistes avaient déclaré la guerre à l'Église catholique. L'Église ne pouvait rien dire ou faire pour changer la politique nazie de persécution. Le fait de ne pas avoir compris cela explique en partie les faussetés qui ont circulé pendant des décennies au sujet de Pie XII et de ses actions pendant la Seconde Guerre mondiale".

Le Vatican remporte quelques succès isolés, comme l'obtention de visas pour des professeurs juifs allemands et italiens qui se réfugient dans des universités aux États-Unis, en Uruguay et au Brésil. Comme en témoigne le diplomate américain Myron Taylor, envoyé de Roosevelt à Rome, Pie XII a toujours défendu l'humanité souffrante, sans distinction de race ou de croyance.

Les recherches de Johan Ickx permettent de mieux comprendre le rôle du Saint-Siège dans l'une des périodes les plus sombres de l'histoire récente. Elles confirment que Pie XII a maintenu une position cohérente et engagée dans la défense des Juifs et des autres personnes persécutées, conformément aux principes moraux qu'il a défendus tout au long de sa vie.

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