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Paul R. Gallagher : "L'Europe a besoin d'un mécanisme pour répartir l'accueil des migrants".

Dans cette interview accordée à Omnes, l'archevêque Paul Richard Gallagher donne le point de vue de l'Église sur des questions d'actualité telles que les relations entre l'Europe et le Saint-Siège et l'urgence sanitaire. 

Giovanni Tridente-1er décembre 2020-Temps de lecture : 8 minutes

De l'"identité" du Vieux Continent au 70e anniversaire de la Convention européenne des droits de l'homme, en passant par la contribution du Saint-Siège au sein de la communauté internationale. Sans oublier les limites de l'individualisme, le débat passionné sur la question des migrations avec des suggestions sur la nécessaire collaboration entre les États, et enfin la sauvegarde des cultes en période de pandémie, qui a conduit à certaines limitations de son exercice. Le Secrétaire pour les relations avec les États du Saint-Siège, L'archevêque Paul Richard Gallagher, interviewé par OmnesLe document de la Commission européenne intitulé "Le point de vue de l'Église sur ces questions d'actualité en Europe".

"L'identité européenne

Excellence, si l'on veut résumer en quelques lignes "l'identité européenne", qui est souvent au centre de nombreuses discussions, quels sont les éléments à mettre en avant ?

Je crois que le Pape Françoisqui a consacré plusieurs discours à l'Europe, a souligné à juste titre les traits qui caractérisent l'identité européenne, qui repose essentiellement sur la le principe de la centralité de la personne. L'Europe perd son âme, et donc son identité, si elle devient un ensemble de procédures ou se limite à des considérations purement économiques.. Au contraire, En partant de l'individu, l'Europe redécouvre qu'elle est avant tout une communauté.. C'est en effet le mot-clé sur lequel s'est concentré le projet européen, inspiré, entre autres, par les Déclaration Schumandont nous avons commémoré le 70e anniversaire cette année..

Redécouvrir le fait d'être une communauté est encore plus urgent dans le contexte de la pandémie actuelle, où la tentation d'agir de manière autonome est plus forte, alors qu'il devient plus évident que ce n'est qu'ensemble, dans un esprit de solidarité, que nous pouvons faire face aux défis que le moment nous présente. Le respect mutuel et la capacité de dialogue mûrissent également dans la vie d'une communauté. Ce sont les principes fondamentaux, au sein desquels le respect et la promotion des droits de l'homme, qui constituent le plus petit dénominateur commun de l'Europe moderne, ne restent pas un simple concept abstrait ou une bonne intention, mais prennent une physionomie concrète, respectueuse de l'identité et de la contribution de chaque individu.

Paul Gallagher à la canonisation de John Henry Newman
Mgr Gallagher lors de la cérémonie de canonisation de John Henry Newman

En ce sens, dans quelle mesure est-il important aujourd'hui de redécouvrir la véritable signification des "droits" dans une société multiculturelle ?

La Convention européenne des droits de l'homme a été signée deux ans après la Convention universelle des droits de l'homme et se réfère précisément aux droits universels qui y sont reconnus. Il est important de rappeler la dimension universelle des droits de l'hommeprécisément parce qu'elles doivent être garanties à toute personne humaine, homme ou femme, à tous les stades de son existence et dans tous les pays. La reconnaissance des droits de l'homme correspond à une exigence anthropologique de la nature humaine qui transcende les cultures individuelles. Je pense que la célébration du soixante-dixième anniversaire de la Convention européenne des droits de l'homme pourrait être l'occasion de redécouvrir cette dimension d'universalité qui sous-tend la signification des droits de l'homme.

Quelle contribution spécifique le Saint-Siège offre-t-il en fait au sein de la communauté internationale européenne et à quel titre le fait-il ?

La contribution du Saint-Siège au sein de la communauté internationale, tant européenne que non-européenne, est toujours celle de réveiller sa conscience d'une manière ou d'une autre. Elle le fait à la lumière de sa mission spirituelle. Comme nous le rappelle le pape François, nous, en tant que chrétiens, ne sommes pas appelés à occuper des espaces, mais à initier des processus. Il ne s'agit donc pas de reconquérir des espaces de pouvoir, animés par la nostalgie du passé. Au contraire, le Le Saint-Siège offre sa contribution afin que ceux qui ont des responsabilités politiques puissent agir concrètement pour promouvoir le bien commun, en sauvegardant avant tout la dignité de la personne humaine.

C'est donc dans cette perspective que la Les appels du pape François en faveur des migrants, ainsi que des pauvres, des chômeurs et des marginaux en général.. Les récents avertissements du pape à l'Europe et au monde entier en cette période de pandémie doivent également être lus dans le même sens, en nous rappelant qu'il ne s'agit pas d'une période d'indifférence, d'égoïsme et de division, mais d'une bonne occasion de se reconnaître comme faisant partie d'une même famille et donc de se soutenir mutuellement dans un esprit de solidarité.

Le pape reçoit la présidence de la COMECE le 30 janvier 2020

Comment redécouvrir la nécessité d'ancrer le fondement éthique "dans l'objectivité de la nature" plutôt que dans "la subjectivité de l'individu" ou, pire, dans le courant dominant ?

Les idéologies inspirées par un humanisme agnostique et athée insistent sur l'idée que l'homme est, en lui-même, le début et la fin de tout. La liberté individuelle est exaltée de telle sorte que la subjectivité de l'individu prend parfois le pas sur l'objectivité de la nature reçue en cadeau. Lorsque l'homme post-moderne croit qu'il peut soumettre la société et les lois à sa propre volonté et à ses désirs, il finit par se soumettre au courant dominant, qui peut prendre différentes connotations, de la dérive hédoniste au refus de l'existence même d'une "nature". Il y a, au contraire, un grand besoin de redécouvrir l'objectivité de la nature humaine également à la lumière de la dimension relationnelle et sociale, qui est également essentielle à notre civilisation humaine et qui nous rend "naturellement connectés" les uns aux autres.

Immigration

Une autre question où le débat est très vif et où les affrontements sont de plus en plus fréquents est la migration, où l'on constate souvent un manque délibéré de coopération entre les États membres. Quel est votre avis sur ce phénomène ?

Actuellement, il existe un pression croissante sur les pays de la Méditerranée orientale et des Balkans occidentauxoù de nombreux migrants tentent de passer de la Grèce et de la Bulgarie aux pays d'Europe du Nord après avoir quitté la Turquie. Toutefois, l'Organisation internationale pour les migrations (OIM) confirme que La plupart des migrants sont entrés en Europe par la mer. Près de la moitié des arrivées ont eu lieu en Grèce via la Turquie, puis en Italie et à Malte via la Libye et l'Afrique du Nord en général. Plus récemment, L'Espagne a également enregistré une augmentation de plus de 1 0000% des arrivées dans l'archipel des Canaries, où quelque 17 000 migrants sont arrivés cette année.. Globalement, nous ne sommes pas au niveau de 2015, mais avec la poursuite des conflits et les effets de la pandémie, les chiffres pourraient continuer à augmenter.

Jusqu'à présent, la charge de la preuve incombait aux pays de "première arrivée", créant une situation qui s'est avérée insoutenable et a conduit à des violations manifestes du principe de non-refoulement et des droits de l'homme, avec des décès évitables en mer et des actes de torture dans les camps de détention, notamment dans des pays tiers comme la Libye. Deux mesures sont nécessaires pour promouvoir la solidarité entre les États de l'UE : 1) a mécanisme commun de partage équitable de la charge dans l'accueil des migrants ou des réfugiés et le traitement des demandes d'asile ; 2) un accord commun sur recherche et sauvetage (SAR) en mer, ainsi qu'un mécanisme commun pour le débarquement et le retour.

A cette fin, Le Saint-Siège attend avec impatience la négociation du nouveau pacte européen sur les migrations et l'asile.. Toutefois, il faut dire que les politiques et mécanismes concrets ne fonctionneront pas s'ils ne sont pas soutenus par la volonté politique nécessaire, ainsi que par l'engagement de toutes les parties prenantes en faveur d'une véritable solidarité et du bien commun.

Sans un effort concerté pour mettre fin aux conflits et aborder le développement dans les pays d'origine, aucun système ne sera suffisant. D'autre part, l'objectif de tout système doit toujours être de rendre la migration plus sûre, ordonnée, régulière et volontaire. Comme le Saint-Siège l'a toujours affirmé, tout individu a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne, ce qui implique avant tout la possibilité de mener une vie digne, dans la paix et la tranquillité, dans leur propre patrie.

Un chemin de paix entre les religions

En février 2019, le Document sur la fraternité humaine pour la paix mondiale et la coexistence commune Que s'est-il passé avec cette initiative et quels sont les progrès réalisés ? Quelqu'un a dit qu'il s'inquiétait d'une prétendue perte d'identité chrétienne dans l'ouverture à d'autres dénominations religieuses ?

La signature de la Document sur la fraternité humaine n'est pas une invitation à "perdre sa propre identité". Au contraire, c'est plutôt l'encouragement à approfondir la perspective de tendre la main à ceux qui appartiennent à une religion différente. Comme l'observe le pape François dans l'encyclique Fratelli tutti: "Un chemin de paix entre les religions est possible. Le point de départ doit être Dieu. En tant que croyants, nous sommes mis au défi de revenir à nos sources afin de nous concentrer sur l'essentiel : [...] le culte de Dieu, sincère et humble." qui conduit au respect du caractère sacré de la vie, de la dignité et de la liberté d'autrui et à un engagement aimant pour le bien-être de tous (cf. 282-283).

Le site Document sur la fraternité humaine est donc un instrument fondamental pour passer de la simple tolérance à une véritable collaboration entre les fidèles des différentes religions engagés dans la promotion de la coexistence pacifique. Il s'agit essentiellement de la reconnaissance d'un changement de perspective, qui a conduit le Saint-Père et le Grand Imam à réfléchir sur la signification du concept de "citoyenneté", c'est-à-dire que nous sommes tous frères et donc tous citoyens avec des droits et des devoirs égaux..

Parmi ses fruits, le document a inspiré la création du Haut Comité pour atteindre les objectifs de l'UE. Document sur la fraternité humaine. Le Comité, qui comprend des membres des Émirats arabes unis, d'Espagne, d'Italie, d'Égypte, des États-Unis et de Bulgarie, est présidé par le cardinal Miguel Angel Ayuso Guixot, président du Conseil pontifical pour le dialogue interreligieux. Parmi les initiatives du Comité, je citerai notamment la construction de le site Maison de la famille abrahamique à Abu Dhabi, qui comprendrait une mosquée, une église catholique et une synagogue.et la création du prix de la fraternité humaine.

La liberté religieuse en période de pandémie

L'urgence sanitaire liée au coronavirus a également relancé le débat sur la religion et la liberté religieuse, certains gouvernements ayant suspendu la célébration de messes avec la population par mesure de précaution. Qu'en pensez-vous ?

L'émergence de la pandémie, qui malheureusement bat son plein dans de nombreux pays, a conduit les gouvernements à adopter des mesures restreignant les libertés fondamentales, dont la liberté de religion. Il est clair que cela a conduit à la la souffrance des fidèles qui, en de nombreux endroits, n'ont toujours pas pu se réunir dans les églises pour l'Eucharistie. L'impossibilité d'organiser des funérailles a été et est ressentie avec une douleur particulière..

Les épiscopats en général ont réagi de manière que je considère comme prudente et responsable, à savoir en invitant les fidèles à se conformer aux instructions du gouvernement. À une époque où chacun était appelé à sacrifier une partie de sa liberté, les chrétiens ont voulu être solidaires de leurs frères et sœurs ; pour ce faire, ils ont renoncé temporairement à un aspect de la liberté religieuse.comme l'est l'exercice du culte public, mais sous cette forme a profité de l'occasion pour souligner d'autres aspects de la foi, à commencer par la nécessité de la prière personnelle..

Par conséquent, Ce fut une démission difficile, animée par un esprit de responsabilité.. Lorsque l'urgence sanitaire sera enfin terminée, ce que nous espérons tous le plus tôt possible, les églises des différents pays pourront évaluer la situation, si les restrictions à la liberté de culte décidées par les pouvoirs publics pour lutter contre la propagation du virus ont été adoptées en toute légalité.ou si des violations injustifiées des droits ont été commises au nom de la santé publique.

Je note que l'attitude des épiscopats à l'égard des arrangements gouvernementaux, telle que décrite ci-dessus, a également été suivie par les autres églises et dénominations chrétiennes et par les principales confessions religieuses. Je crois que le la prévalence d'attitudes collaboratives envers les institutions est la preuve d'une conscience mature de leur véritable rôle dans la société, plutôt qu'une faiblesse.. La convergence des confessions religieuses vers cette attitude de solidarité, de constructivité et de proximité avec les gens dans sa forme concrète est probablement l'une des notes les plus positives à trouver parmi les nombreux effets de cette épidémie.

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