Nous proposons la deuxième partie de la interview que Juan Narbona, professeur de communication numérique à l'Université pontificale de Sainte-Croix, a donné à Omnes. Dans la première partie, publiée il y a quelques jours, il expliquait que la méfiance envers les institutions affaiblit la société, et il s'intéresse maintenant à l'Église.
Peut-on dire que le manque de confiance est plus qu'un simple problème de communication ?
- La communication sert à tendre la main lorsqu'on s'estime digne de confiance, et à mettre en marche les mécanismes qui nous en rendent dignes. Dans une organisation, le département de la communication a pour mission de rappeler le rôle inspirateur des valeurs, de créer une culture d'entreprise au service des personnes (par exemple, par l'écoute) et de montrer, avec des mots et des images compréhensibles, sa propre proposition. Mais toute personne qui utilise la communication pour masquer son propre comportement incohérent, égoïste ou incapable, échouera tôt ou tard.
Par exemple, si une réalité de l'Église, pour atteindre les personnes éloignées, défendait des vérités contraires à la foi, elle semblerait peut-être avoir une plus grande capacité - "ils sont proches des gens" - ou une plus grande bienveillance - "ils ont une mentalité moderne et ouverte" - mais elle cesserait d'être droite et, par conséquent, elle perdrait tôt ou tard la confiance de ceux qui veulent témoigner de la foi. Comme le disait Groucho Marx : "Ce sont mes principes, et si vous ne les aimez pas, j'en ai d'autres...". Quelqu'un comme ça n'inspire pas beaucoup de confiance, n'est-ce pas ?
Certains s'inquiètent de la perte de crédibilité de l'Église que peuvent entraîner les rapports d'abus sexuels. Y a-t-il un lien direct entre ces deux questions ?
- Ces scandales ont sans aucun doute érodé la crédibilité de l'Église. Lorsque de tels cas se sont produits, ils ont donné l'image d'une institution qui s'est défendue elle-même plutôt que les personnes qu'elle était censée protéger. Et dans de nombreux cas, cela a été le cas.
Rétablir la confiance est un long processus qui demande de la patience, car avant de pouvoir regagner la confiance, il faut changer la dynamique qui a permis ces crimes et ces mensonges.
On prétend parfois que pour regagner de la crédibilité, il faudrait changer le contenu proposé aux fidèles pour qu'ils croient...
- Un désir sain de réforme est très positif s'il génère des changements en accord avec sa propre identité et sa mission. Il ne s'agit pas de renoncer à ce que l'on est pour regagner les applaudissements du public. Ce serait un faux changement.
Les crises sont l'occasion de revenir à ses racines, de dépoussiérer les raisons pour lesquelles une organisation ou une initiative a été lancée. Elles sont aussi l'occasion de se libérer du poids inutile acquis au fil du temps, des mauvaises pratiques ou des façons de faire qui ont servi pendant un temps, mais dont on doit pouvoir se débarrasser si elles n'aident pas la mission, qui dans le cas de l'Église est le salut des âmes.
Discerner ce qui peut et ne peut pas être changé est un exercice qui demande beaucoup de prudence et de courage. Comme je l'ai dit au début, les limites dans lesquelles nous pouvons évoluer sont marquées par qui je suis et quel est mon rôle. Ces lignes directrices s'appliquent à l'Église, à toute organisation et à chacun d'entre nous.
Vous avez dit que mériter La confiance exige de faire preuve d'intégrité, de bienveillance (désirer le bien de l'autre) et de capacité. Comment communiquer l'"incohérence" est en un sens inévitable, car l'objectif de l'entreprise est d'obtenir des résultats.Église est composée de pécheurs et de saints ?
- Communiquer sa vulnérabilité est un sujet délicat mais nécessaire. Par exemple, s'excuser peut coûter cher, mais c'est une action qui permet de remettre au premier plan les valeurs que l'on a trahies. Si une organisation où l'argent a été mal géré présente des excuses, elle admet qu'elle souhaite être guidée par l'honnêteté financière à l'avenir.
Je ne cesse de répéter que le pardon doit suivre la règle des trois R : "reconnaître" le préjudice causé, "réparation" dans la mesure du possible, les dommages causés à l'autre partie et "rectifier". les circonstances qui ont pu conduire à cet acte répréhensible. Ce n'est pas toujours facile, mais s'excuser - reconnaître que son propre comportement s'est écarté des valeurs qui devraient nous guider - est le cri du pécheur qui espère encore pouvoir être saint. La reconnaissance de sa propre fragilité est, paradoxalement, la base sur laquelle on peut travailler solidement pour regagner la confiance des autres.
Demander le pardon, - c'est la question de l'Évangile - combien de fois ? En outre, certains membres de l'Église sont également censés s'excuser et assumer les conséquences des erreurs des autres.
- L'Église se sent responsable de demander pardon pour les infractions commises par certains de ses ministres, et elle devra le faire tant que des personnes seront blessées. Mais je reviens aux trois "r" ci-dessus : ils montrent que demander le pardon est un acte important, sérieux, profond. Il est important de ne pas la banaliser, ni de l'utiliser comme un outil de marketing.
Il est tout aussi grave de demander le pardon : il faut en expliquer les raisons, et ne pas le demander simplement pour humilier l'autre partie ou pour se venger du préjudice subi. Si la justice est recherchée, oui, c'est parfaitement légitime. En outre, l'Église est appelée à aller au-delà de la justice et à être un maître de la charité.
Quant à la "bienveillance", peut-on se demander si l'Église veut le bien des fidèles ?
- Comme l'a dit le pape, "le pouvoir est un service", ce qui a parfois été mal compris par ceux qui exercent l'autorité et par ceux qui la suivent. C'est pourquoi nous considérons avec suspicion les dirigeants de nombreuses institutions, et pas seulement de l'Église. La crise de confiance actuelle dans les organisations régies par un système structuré doit nous faire réfléchir. Il ne s'agit pas d'éliminer les hiérarchies - qui sont nécessaires - mais de trouver de nouveaux modes de participation. Plus de dialogue peut aider chacun à se sentir responsable de l'avenir et de la bonne santé de sa propre organisation - de l'Église aussi ; cela aiderait à trouver des propositions créatives pour répondre aux défis d'une société en changement continu, à comprendre les difficultés de ceux qui dirigent l'organisation, à connaître les besoins et les attentes de ceux qui en font partie, à avoir une vision plus complète et réaliste du contexte dans lequel ils travaillent.....
A mon avis, la synodalité proposée par le Pape François - qui est un bien enraciné théologiquement et pas seulement une technique de participation démocratique - est un exemple, mais chaque réalité doit trouver ses propres méthodes pour augmenter l'écoute et la participation. Le sens critique que nous avons tous peut être transformé en quelque chose de positif si nous pouvons trouver un système qui l'oriente vers des solutions constructives.
Parlons maintenant de la capacité. Dans quel sens l'Église peut-elle être "compétente" ? Les catholiques ont toujours la possibilité de faire le bien, mais nous ne le faisons pas toujours.
- Nous aurons toujours l'impression, dans l'Église, de ne pas être en mesure d'offrir au monde toute la merveille du message chrétien. Cela ne signifie pas qu'à chaque époque, nous devons nous efforcer de renouveler notre langage, en habillant notre proclamation de mots nouveaux qui éveilleront l'intérêt des gens. Pour y parvenir, il est important d'apprendre à écouter. Comme le disait le poète Benedetti : "Quand nous avions les réponses, ils changeaient les questions". C'est l'impression que nous pouvons avoir dans l'Église.
Quelles sont les questions que les gens se posent aujourd'hui, et pourquoi la proposition chrétienne ne répond-elle pas toujours à leurs questions ? Nous ne pouvons pas non plus oublier que, dans un monde polarisé, qui laisse peu de place au dialogue et dans lequel les émotions ont parfois trop de poids, le témoignage serein et constant des chrétiens - dans les œuvres de charité, par exemple - continuera d'être une énorme source de confiance.
Les travaux montrent que nous sommes capable pour faire le bien. J'aime citer ce que saint François a dit à ses disciples pour leur rappeler la valeur du témoignage : "Sortons et prêchons, si nécessaire même avec des mots". Parfois, il suffit de s'appuyer sur l'énorme pouvoir d'une vie cohérente. Les actions communiquent d'elles-mêmes lorsqu'elles sont bien faites.
Où ancrer la fidélité, si l'on perçoit un manque de cohérence dans les actions ?
- Rappelez-vous souvent que nous ne devons pas être fidèles à une institution, mais à une Personne. Le Christ et son Église sont inséparables, c'est pourquoi nous sommes sûrs que dans l'Église nous trouvons le Christ. Mais chaque personne cherche le trésor de la foi dans des contextes culturels, sociaux et intellectuels différents. à l'adresse l'Église. C'est pourquoi, parfois, pour rester fidèle, il est nécessaire de changer d'accessoires. La fidélité n'est pas l'immobilité, mais l'amour en mouvement.
En perdant la "confiance" d'une partie du peuple, l'Église perd-elle sa "crédibilité" ?
- Comme nous l'avons dit au début, la confiance est liée aux attentes des autres. Parfois, certaines personnes peuvent avoir des attentes envers l'Église qu'elle ne peut pas satisfaire. Être cohérent avec la foi, même si cela nous coûte de perdre la confiance de certains, peut renforcer la confiance des autres.
L'Église a une identité qu'elle ne peut pas changer. Il est lui-même croyantLa mission : il fonde sa foi sur Dieu. En même temps, elle a une mission à remplir, elle doit donc être crédible. Mais cela ne suffit pas : il faut aussi qu'elle soit ".Cher". Tu ne peux pas aimer ce qui te fait peur ou te rend méfiant, mais tu peux aimer ceux qui veulent ton bien, qui sont cohérents et qui savent t'aider, même s'ils ont tort. Je dirais donc que les chrétiens et l'Église doivent acquérir ces trois caractéristiques consécutives : nous sommes appelés à être croyants, crédibles et "aimables".
L'opinion publique évolue si vite qu'il n'y a pratiquement plus de temps pour réfléchir. Dans ce contexte, comment communiquer sur des questions telles que la foi ou l'Église, qui nécessitent une lente réflexion ?
-L'Internet a accéléré les communications, augmentant le volume d'informations et diminuant, à la même vitesse, notre capacité d'analyse. Whatsapps, mails, séries, posts, histoires... envahissent chacune de nos plages d'attention. Si nous ne nous protégeons pas, nous perdons tout simplement la capacité de réfléchir - qui est une habitude malléable, comme toute autre.
Sherry Turkle, pionnière dans l'analyse de l'impact social d'Internet, soutient que pour qu'Internet ne nous aliène pas des autres, il est nécessaire de promouvoir le dialogue physique : à la maison, avec les amis, au travail... Mais aussi avec soi-même ! Cet espace intérieur est essentiel pour cultiver notre foi - qui est aussi une relation personnelle - dans la réflexion, dans la prière, dans l'étude continue. Dans un paradoxe apparent, dans une société au rythme rapide, l'Église peut gagner en attractivité en tant qu'espace sérieux de réflexion et d'équilibre, également pour les non-croyants. Pour qu'ils nous fassent confiance, nous devons d'abord croire que la foi est puissamment attrayante.