Une année de plus, le Dr Jesús Poveda s'est rendu à son rendez-vous devant la clinique Dator à Madrid. C'est un rituel auquel ce leader pro-vie espagnol participe chaque 28 décembre, jour du martyre des Saints Innocents. Poveda se présente à la porte de la clinique, la police lui demande de partir, il s'assoit par terre et les officiers l'emmènent pour outrage à l'autorité. Comme le répète souvent Poveda, "nous fournissons une assistance 364 jours par an et un seul jour, nous faisons de la résistance passive".
La scène n'est plus controversée, mais elle arrive à point nommé pour réfléchir aux limites éthiques, juridiques et sociales de la défense de la vie, un débat qui reste l'un des plus polarisants de notre époque. Au-delà des controverses et des gros titres, ce qui est vraiment surprenant, c'est l'intensité du moment : une manifestation pacifique et une arrestation qui cherche à faire taire quelque chose de plus profond qu'une simple dissidence idéologique.
Les critiques de Sandel à l'égard des pro-vie
Le philosophe Michael Sandel, lauréat 2018 du prix Princesse des Asturies et l'un des professeurs les plus renommés d'Harvard, soutient dans "Contre la perfection un argument qui mérite notre attention. En tant que membre du comité consultatif de bioéthique du président américain, il a écouté pendant des années les opinions de médecins pro- et anti-avortement renommés. Ce qui l'a frappé, cependant, c'est que la plupart des gynécologues pro-vie entretiennent des relations amicales avec des collègues avec lesquels ils ne sont pas d'accord sur cette question. Selon Sandel, il s'agit là d'une énorme incohérence, car s'il pensait que l'avortement implique la mort de millions d'êtres humains innocents, sa réaction et son militantisme seraient beaucoup plus véhéments.
Selon lui, la tiédeur avec laquelle de nombreux pro-vie expriment leur rejet de l'avortement prouve qu'au fond, ils ne croient pas vraiment à ce qu'ils défendent. Il en veut pour preuve que très peu d'entre eux consacrent 50 euros par an à la cause et que leur activisme se limite le plus souvent à la participation à une ou deux manifestations. En y regardant de plus près, il est difficile de ne pas admettre qu'il a en partie raison.
Incohérence du discours pro-avortement
Paradoxalement, la critique de Sandel sur l'"incohérence" des actions pro-vie peut également s'appliquer au discours pro-avortement. De nombreux pays, dont l'Espagne, ont adopté des restrictions extrêmes visant à interdire même la prière devant les cliniques d'avortement. Cela ne limite pas seulement le droit à la liberté d'expression et de conscience, mais révèle également une contradiction dans le discours pro-avortement. Si l'avortement est une intervention médicale légitime dépourvue d'implications éthiques graves, pourquoi réprimer avec autant de véhémence toute forme d'opposition pacifique ? Ne sommes-nous pas dans une société pluraliste et libre ?
L'interdiction de la prière à proximité des cliniques d'avortement est un exemple clair de la manière dont le débat ne porte pas seulement sur la défense des droits individuels, mais aussi sur la volonté de faire taire les discours gênants. N'est-ce pas là un aveu tacite que la question est moralement épineuse ? Au lieu d'affronter le débat, on semble chercher à éviter de rappeler que ce qui se passe à l'intérieur des cliniques n'est pas un acte éthiquement neutre.
Où sont les limites ?
Le dilemme posé par Sandel et les actions d'activistes comme Jesús Poveda nous confrontent à des questions essentielles sur les limites de la défense de la vie : que sommes-nous prêts à sacrifier pour ce que nous considérons comme juste ? Quel type de protestation est valable et proportionnel lorsqu'il s'agit de questions aussi fondamentales que la vie humaine ?
Pour ceux qui croient que la vie commence dès la conception, la défense de la vie ne peut se limiter à des mots. Elle ne peut pas non plus recourir à la violence ou à l'imposition coercitive, car cela compromettrait sa légitimité morale. Cependant, entre ces deux extrêmes, n'y a-t-il pas place pour des gestes et des actions visant à sensibiliser l'opinion publique à ce problème ? N'est-il pas valable de proposer une échographie à celles qui envisagent d'avorter ? N'est-il pas légitime d'offrir une aide, tant publique que privée, aux femmes qui sont confrontées au drame et à la difficulté de poursuivre leur grossesse ?
On ne peut exiger la cohérence de ceux qui défendent la vie tout en leur interdisant d'exprimer librement leurs convictions. L'arrestation du Dr Poveda lors d'une manifestation pacifique met en évidence cette contradiction : d'une part, les pro-vie sont accusés de ne pas être cohérents avec leurs convictions et, d'autre part, des restrictions légales leur sont imposées, limitant même des actes symboliques tels que la prière devant une clinique d'avortement. Cette approche empêche un débat honnête sur la valeur de la vie et de l'avortement en réduisant l'une des parties au silence. Nous devons garantir le droit de chacun à exprimer sa position, ce n'est qu'à cette condition qu'un dialogue authentique et équitable est possible.
Rédacteur en chef de Omnes. Auparavant, il a collaboré à divers médias et a enseigné la philosophie au niveau du Bachillerato pendant 18 ans.