Jesús Díaz Sariego, supérieur provincial de la province d'Hispanie de l'Ordre des Prêcheurs, est président de la CONFER depuis novembre dernier. Cet organisme de droit pontifical regroupe les Instituts religieux et les Sociétés de vie apostolique et comprend également quelques monastères masculins et féminins.
-Il y a quelques semaines, vous avez pris la présidence de la CONFER, alors que vous faites partie de l'équipe de direction depuis 2017. Quel est le poids de la CONFER au sein des différentes congrégations, qui sont déjà autonomes ?
L'inscription à CONFER est gratuite. Il s'agit d'une décision prise par chaque congrégation. Cette liberté d'adhésion est très appropriée. Comme vous le dites, chaque congrégation est autonome en fonction de son charisme et de sa mission dans l'Église. Cette autonomie fait la richesse de CONFER. Chaque famille charismatique est une grande contribution à l'ensemble. Son poids doit être précisément ici, et non pas tant dans le nombre d'hommes et de femmes religieux. Ni dans l'implantation ecclésiale et sociale avec plus ou moins de visibilité et d'influence. La Conférence espagnole des religieux voudrait choyer et prendre soin de chacun de ses membres pour leur force charismatique, un don de l'Esprit dans l'Église.
-Est-ce qu'il y a une unité entre les différents membres de CONFER ?
Sur les questions les plus importantes, il y a communion et unité. Encore plus. Sur les questions qui pourraient nous séparer, je constate que nous nous rejoignons sur les fondamentaux. Dans le dialogue et dans les préoccupations communes, nous finissons par nous rencontrer dans ce qui nous constitue en tant que disciples de Jésus. Il y a une vocation commune, qui nous appelle ensemble dans ce qui suit. Nous avons une langue commune dans laquelle nous nous comprenons. Nous savons même comment exprimer les différences de styles et d'approches. Être en communion ne signifie pas que nous sommes tous les mêmes, car nous représentons de nombreux charismes. Aucun n'est indispensable, mais tous sont nécessaires.
De plus, dans ce moment historique où nous nous trouvons, nous développons davantage la valeur de chaque famille religieuse en elle-même et dans son ensemble. C'est un moment très intéressant et un discernement qui nous conduit à une plus grande communion et synodalité entre nous. La relation et la communication entre les charismes est un signe de notre temps que nous devons explorer encore davantage. La voie de l'inter-congrégation est l'un des engagements de la CONFER, parmi d'autres, pour les années à venir.
Il y a un déclin évident des vocations, en particulier pour le sacerdoce et la vie consacrée. Comment ce défi est-il relevé à la CONFER ? Est-il le même dans toutes les congrégations ou instituts ?
Le déclin des vocations à la vie consacrée et au sacerdoce en Espagne est une réalité qui s'impose à nous. Nous devons l'accepter et le comprendre également du point de vue de Dieu. Pas seulement de notre propre point de vue culturel, bien que cela soit également vrai. Je dois dire, en même temps, que la situation qui se produit dans notre pays, en ce qui concerne le déclin des vocations, n'est pas la même que dans d'autres pays et dans d'autres réalités culturelles des différents continents.
En Espagne, dans les années cinquante du siècle dernier, nous avons vécu un essor professionnel ce qui nous a amenés à être très présents dans la société espagnole, en raison du nombre de religieux et des nombreuses présences et œuvres qu'ils ont générées. Beaucoup avaient un esprit missionnaire au-delà de nos frontières. En ce sens, la contribution de la vie religieuse pendant des décennies a été magnifique et pas toujours dûment reconnue.
Nous sommes maintenant dans un moment différent. Non seulement parce que la société espagnole a changé, et beaucoup changé, mais aussi parce que l'Église a changé. Nous-mêmes, en tant qu'hommes et femmes consacrés, nous devenons différents. Nous devrions nous arrêter et nous demander si la société d'aujourd'hui a besoin du même nombre de religieux ou si elle a besoin d'un autre type de levain pour faire lever le pain. J'en suis de plus en plus convaincu.
Le monde sécularisé dans lequel nous nous trouvons a besoin pour son levain d'un levain moins nombreux, mais aussi très qualifié du point de vue évangélique, comme l'ont été les hommes et les femmes religieux qui nous ont précédés. C'est comme si les récits évangéliques qui se réfèrent à la description de ce qu'est le Royaume, que nous avons entendu tant de fois, avaient dans notre temps présent un message particulièrement approprié pour comprendre et vivre notre époque.
J'invite - je m'invite moi-même - à penser à la rareté des vocations plus à partir de Dieu que de nous-mêmes. Cela nous dit sûrement quelque chose. Au moins, elle soulève ces questions et d'autres : quelle vie religieuse Dieu veut-il pour l'avenir ? Dans quelle Église ? Dans quel monde ? La vocation religieuse, disons-nous souvent, est celle de Dieu, même si elle exige notre collaboration à cent pour cent. Mais c'est celui de Dieu... Essayons cette nouvelle façon de voir les choses.
Je souhaite que la CONFER explore cette nouvelle façon de faire face au déclin des vocations. La pénurie peut aussi être un signe des temps, un signe de l'Esprit qui veut nous dire quelque chose.
Je peux affirmer, en revanche, que le déclin des vocations est commun à toutes les familles religieuses enregistrées dans la CONFER. Nous ne devons pas oublier qu'ils viennent tous d'il y a longtemps. Certains d'entre eux ont des centaines d'années. En eux, il y a assez de sérénité, donnée par l'expérience du temps, pour s'asseoir devant Dieu et prier avec Lui les questions : " Que veux-tu faire de ta vie ? ".Seigneur, que veux-tu de nous aujourd'hui, et comment pouvons-nous donner de la valeur à la rareté ?". La pénurie ne sera-t-elle pas une nouvelle occasion de reprendre l'Évangile et de tourner davantage et mieux nos vies vers Dieu pour mieux servir ce que notre monde exige de nous ? C'est une question qui me prend des heures de répétition à chercher des réponses.
En ce sens, comment vivez-vous la naissance de nouvelles formes de vie religieuse, souvent à partir de charismes antérieurs ?
La naissance d'un nouveau charisme dans l'Église est toujours une bénédiction de Dieu et donc une bonne nouvelle. Il témoigne de la vitalité et du dynamisme. Dieu, en un sens, nous guide.
D'autre part, chaque charisme est une manière créative de lire la Parole de Dieu en relation avec chaque époque.
Suivre Jésus n'a pas besoin de beaucoup de justifications. Il y a plusieurs façons de le suivre. La volonté du Seigneur est que nous le suivions par amour et l'expression de cet amour est plurielle, donnant lieu à de nombreuses formes de vie religieuse.
Les hommes et les femmes de notre temps veulent aussi suivre le Seigneur en exprimant leur volonté de l'aimer et en même temps de percevoir son amour pour eux. Nous ne devons pas nous étonner de l'émergence de nouvelles formes de vie religieuse. Tant que l'amour de Dieu sera une réalité dans les êtres humains et dans les membres de l'Église, de nouveaux charismes apparaîtront pour l'exprimer.
L'Église en communion saura discerner chacun d'eux et le fera, comme elle sait le faire, en veillant toujours à éviter les excentricités ou les réponses qui ne sont pas entièrement conformes à la Sainte Écriture lue dans son ensemble et à la tradition de l'Église. Nous ne devons pas oublier que le projet de Jésus est toujours un projet fraternel, communautaire. D'intégration et de communion. Si quelque chose nuit à l'ensemble d'une manière viscérale, je me permets de douter de son authenticité. Le projet de Dieu est toujours intégrateur, il nous rend plus humains et nous rapproche de son plan. Ce n'est rien d'autre que son amour qui se donne.
Aucune famille religieuse n'épuise en elle-même le charisme qu'elle a reçu en son temps. Les charismes eux-mêmes, leur approfondissement et leur actualisation, sont dynamiques, en raison de la créativité qu'ils contiennent en eux-mêmes.
-Dans son premier discours en tant que président de la CONFER, il a parlé de la nécessité de la "créativité". ....
La créativité, bien comprise, fait plutôt référence à notre capacité à changer (à modifier notre façon de penser et d'agir). conversion(en termes évangéliques, dirions-nous). Il doit s'agir d'un processus spirituel et doit naître d'une prière intime avec le Seigneur et d'un dialogue profond avec ceux qui vous entourent.
La créativité, c'est avant tout l'observation et la confiance. Observation de la réalité et des besoins des autres. Mais aussi la confiance dans la parole de Dieu, que nous avons aussi pour observezà capturer dans les moindres détails.
L'Évangile est plein de créativité. Il s'agit d'un débordement d'imagination lorsqu'il s'agit de saisir les détails de Jésus dans sa façon d'entrer en relation avec les gens, dans sa façon de façonner ses discours, dans sa façon d'agir et d'observer la réalité, dans la spiritualité qui suinte de son contact avec le Père, etc. C'est la créativité de la vie religieuse. Elle doit naître d'une lecture attentive de la Parole de Dieu et d'une écoute attentive du monde qui nous entoure. Pour réunir les deux, nous devons chercher de nouvelles façons de répondre à nos défis et à nos problèmes. Elle exige également de nouvelles façons d'apporter l'Évangile à nos contemporains.
L'expression de Dieu est toujours créative car elle requiert de l'intelligence et un bon cœur. L'intelligence met de l'ordre dans les choses, les dissèque, et approfondit la réalité des choses.
Le cœur, quant à lui, apporte la passion et l'affection. Il permet une identification personnelle avec le programme ou l'idée. L'intelligence et le cœur doivent atteindre l'équilibre nécessaire, se comprendre et se compléter.
Comment les différentes familles religieuses peuvent-elles relever ce défi dans la vie d'aujourd'hui, sans se laisser entraîner dans des voies extravagantes ou éloignées de leur charisme ?
Je dirais que c'est d'abord et avant tout une pratique spirituelle. Un exercice de nouvelle lecture des moments qui viennent de Dieu et pas tellement de nous-mêmes. La créativité est inhérente à tout charisme.
Nos fondateurs n'ont pas improvisé le charisme qui leur a permis de canaliser leur force prophétique. Le prophète est toujours une figure, dans l'Écriture Sainte, novatrice, pleine de créativité, rêveuse et inspiratrice de nouveaux chemins, mais en contraste avec Dieu et avec la réalité.
Le prophète est avant tout un homme ou une femme contemplatif, priant, un chercheur des traces de Dieu dans la réalité. Le véritable prophète de la Bible est celui qui, inspiré par l'Esprit, est capable de discerner la voix de Dieu dans les circonstances historiques qui se présentent à lui. Ce discernement est un processus. Lent par moments, lent et ruminant à l'intérieur. C'est ce que nous enseignent nos fondateurs.
Les différentes familles religieuses mettent en pratique et relèvent le défi de la créativité à partir de la force prophétique qui se niche dans chaque charisme, surtout quand on laisse Dieu agir dans les médiations humaines.
-Avez-vous pu définir les orientations des prochaines années pour la vie religieuse espagnole ?
Après avoir réalisé un diagnostic des principaux défis auxquels sont confrontées les communautés de vie religieuse aujourd'hui, auquel a participé une très importante représentation de religieux et religieuses de toute l'Espagne, nous avons lancé un plan global pour le renforcement et la viabilité de la CONFER.
Un plan qui nous permettra d'effectuer les mises à jour nécessaires dont CONFER a besoin pour mieux servir la vie religieuse en Espagne dans les années à venir. Tout ceci est basé sur les changements rapides que nous vivons au sein de nos congrégations. Mais aussi à la réalité changeante de la société espagnole. Nous devons continuer à renforcer la CONFER comme une maison commune, un espace de référence pour continuer à rassembler et à favoriser les valeurs communes de la vie religieuse.
Le parcours inter-congrégations, la réflexion et la mission partagées, notre présence dans la vie publique, le renforcement et le développement des CONFER diocésaines et régionales, la communication et la présence dans les réseaux sociaux, sont des plans d'action que nous voulons promouvoir dans les prochaines années.
En plus de ce qui précède, il y a le souci de notre formation continue, selon les exigences du moment culturel et social dans lequel nous nous trouvons ; la durabilité financière des projets et des œuvres ; l'attention - leur soin - pour les religieux et les religieuses selon le moment vital dans lequel ils se trouvent. Le soutien aux congrégations les plus faibles, la recherche de nouvelles méthodes de travail, la création de dynamiques de travail en équipe sont, entre autres, de nouveaux défis que nous voulons considérer en ce moment.
Le pape François ne cache pas son inquiétude mais aussi son encouragement pour la vie religieuse. Ce soutien est-il un encouragement pour vous ?
En effet. Le pape François est une bénédiction pour la vie religieuse. Ses réflexions et suggestions sont très motivantes pour nous en ce moment historique. De plus, en tant que religieux, nous savons qu'il le fait de l'intérieur, c'est-à-dire à partir de sa propre expérience intérieure. C'est particulièrement précieux et crédible pour nous. Nous le remarquons lorsqu'il s'adresse à nous en particulier. Il est clair et direct dans son message. Mais il est aussi passionné dans ce qu'il dit. Il montre qu'il croit en ce qu'il nous dit. C'est une valeur qui communique et convainc et une impulsion qui nous stimule et nous encourage.
-Quel est votre rôle dans la vie diocésaine ?
La vie religieuse, à travers les différentes communautés, a été et continue d'être très présente dans la vie des diocèses. Celles-ci ont été enrichies par la contribution des différentes congrégations et de leurs charismes. Ces dernières années, une plus grande synergie, comme on aime à le dire aujourd'hui, a été réalisée entre les congrégations et les pasteurs locaux. C'est sans doute un chemin de synodalité sur lequel nous devons marcher.
De nombreux religieux et religieuses occupent également des postes diocésains importants dans le dynamisme ecclésial de l'Église locale.
Nous ne devons pas oublier que la vie religieuse apporte à l'Eglise universelle, et donc à l'Eglise locale, non seulement son faire, mais surtout son être. Benoît XVI nous le rappelle dans son exhortation Sacramentum caritatis lorsqu'il dit que la contribution essentielle que l'Église attend de la vie consacrée est davantage de l'ordre de l'être que de l'ordre du faire. Lorsque cela se produit, nous, les personnes consacrées, devenons objectivement, au-delà des personnes concrètes, une référence et une anticipation du chemin vers Dieu que tout baptisé a entrepris.
Dans cette perspective, notre rôle dans la vie diocésaine ne se réduit pas uniquement et exclusivement à une collaboration pastorale ou à une participation plus ou moins active à la vie ecclésiale du diocèse. La vie consacrée, par sa présence, représente un signe du Royaume plus profond et conforme au plan de salut que Dieu a tracé pour tous.
Il est bon et nécessaire que certains baptisés, dans l'engagement de vie qu'ils ont acquis, se souviennent, dans leur manière de vivre et d'être, de ce dynamisme de l'Esprit qui nous rapproche tous du Dieu qui nous soutient et nous sauve.
Comment la vie religieuse en Espagne vit-elle le processus synodal ?
La vie religieuse a beaucoup d'expérience, pour des raisons évidentes, dans son mode de vie et dans son mode d'organisation et de fonctionnement, de synodalité. Notre vie communautaire et notre participation commune aux décisions les plus importantes de chaque communauté et de chaque congrégation nous ont éduqués à une manière de participer et d'être coresponsables. En ce sens, je peux dire que nous sommes une aide qui jaillit de notre propre expérience.
Le pape François nous le rappelle souvent : "La vie consacrée est experte en communion, elle promeut la fraternité en son sein comme son propre mode de vie".. L'Église universelle a ouvert la voie à la synodalité à l'occasion du prochain Synode. Je crois qu'il répond à un moment ecclésial important et nécessaire. C'est pourquoi il nous a fait travailler tous dans la même direction.
De nombreux religieux et religieuses, dans leurs paroisses et leurs diocèses, ont déjà commencé à travailler, avec l'ensemble du peuple de Dieu, au processus synodal de cette première phase : la phase d'écoute. Je suis conscient de leur intérêt et de leur participation.
Depuis la CONFER, nous assumons ce travail et ce projet ecclésial avec responsabilité. Nous sommes également ouverts à la collaboration avec les diocèses et avec d'autres secteurs ecclésiaux et sociaux dans les processus d'écoute mutuelle et de discernement commun.
Nous y apporterons ce que nous essayons de vivre au quotidien, ainsi que notre expérience, nos recherches, nos questions et nos tentatives de réponse. Nous sommes déjà reconnaissants de pouvoir compter sur ce processus ecclésial dans lequel nous sommes tous impliqués.