Comme le montrent les nombreux reportages de ces derniers jours, le pape émérite Benoît XVI a également été un pontife qui a maintenu la tradition de ses prédécesseurs d'entreprendre des voyages apostoliques à l'étranger, et pas seulement en Italie. Une série inaugurée quatre mois après le début de son pontificat par un voyage dans son pays natal pour les Journées mondiales de la jeunesse à Cologne.
Il est retourné en Allemagne à deux autres reprises, en 2006 (en Bavière, où s'est produit le célèbre "incident de Ratisbonne") et en 2011, lors d'une visite officielle dans le pays.
Au total, Benoît XVI a effectué 24 voyages apostoliques à l'étranger, plusieurs en Europe (trois fois en Espagne), mais aussi en Amérique latine (Brésil, Mexique, Cuba), aux Etats-Unis (2008), en Afrique (Cameroun, Bénin) et en Australie (2008), comme l'a également rapporté OMNES ces derniers jours.
Confirmation dans la foi
Évidemment, la première raison de ces voyages en dehors du Vatican dans des pays lointains est de nature spirituelle ; le Vicaire du Christ se rend en pèlerinage dans des terres habitées par des catholiques baptisés - même s'ils sont minoritaires - pour les confirmer dans la foi et leur apporter la proximité et la bénédiction de toute l'Église.
Il y a aussi des raisons politiques, puisqu'il s'agit de visites dans un pays spécifique, avec sa propre représentation institutionnelle qui l'accueille - et surtout l'invite - avec ses propres traditions et cultures, ses problèmes, ses défis et ses perspectives d'avenir, que chaque Pontife s'engage à valoriser et à intégrer dans l'ensemble de son magistère, en laissant toujours des graines de croissance et de développement possibles.
Ce fut donc également le cas pour Benoît XVI qui, au cours de son mandat de sept ans à la tête de l'Église universelle, n'a pas manqué de rencontrer les différents responsables politiques et culturels des pays européens et des réalités internationales.
Cette expérience - et les discours qu'il a prononcés à l'occasion de ses différents voyages - nous permet de dégager une série de réflexions sur des questions fondamentales de la société, telles que le rapport entre la justice et la liberté religieuse, la confrontation entre la foi et la raison, la dynamique entre le droit et la loi, etc.
Une diplomatie à la Ratzinger
Sur ces thèmes, son secrétaire particulier, Monseigneur Georg Gänswein, a proposé en 2014, un an après la démission de Benoît XVI, des réflexions qui soulignent précisément l'impact " politique " de la diplomatie formatée de Ratzinger, en se concentrant sur cinq grands discours du pape émérite, adressés à autant de contextes et de publics différents, mais d'où émergent certaines " idées clés ", développées " de manière organique et cohérente ".
Le premier de ces discours mis en exergue par le préfet de la Maison pontificale est sans aucun doute celui prononcé à l'occasion de la Journée mondiale de la santé.n Regensburg le 12 septembre 2006La véritable signification de cette déclaration, bien sûr, ne réside pas dans les critiques qui ont suivi. Bien sûr, la véritable importance de cette déclaration ne réside pas dans les critiques qui ont suivi.
Un deuxième discours a été prononcé aux Nations unies à New York deux ans plus tard, portant sur les droits de l'homme et le projet qui, soixante ans plus tôt, a conduit à l'adoption de la Déclaration universelle des droits de l'homme.
M. Gänswein a ensuite souligné l'importance du discours qu'il a prononcé à l'occasion de l'assemblée générale de l'UE. Collège des Bernardins de Paris (12 septembre 2008), adressée aux élites culturelles d'un pays considéré comme sécularisé et hostile aux religions. Benoît XVI a rappelé ici la contribution de la foi chrétienne au développement de la civilisation européenne.
En 2010, le 17 septembre, Benoît XVI s'est exprimé à Londres au siège de ce Parlement qui, entre autres, a décrété la mort de Thomas More à la suite de dissensions religieuses. À cette occasion, il a apprécié la tradition démocratique libérale, tout en dénonçant les attaques contre la liberté de religion qui ont lieu en Occident.
Enfin, d'une importance politique et diplomatique, il y avait son discours devant le Bundestag allemand le 22 septembre 2011, dans lequel Benoît XVI a abordé la question des fondements du système juridique et les limites du positivisme qui en a résulté et qui a dominé l'Europe tout au long du 20ème siècle.
Sur la base de ces prises de position, le Secrétaire particulier de Benoît XVI tire un fil conducteur dans trois perspectives.
Religion et droit
La première concerne le cœur de la réflexion de Benoît XVI sur la contribution de la religion au débat public et, par conséquent, à la construction de l'ordre juridique. Cela apparaît très clairement dans le discours prononcé devant le Bundestag à Berlin, lorsque Ratzinger déclare : "Dans l'histoire, les systèmes juridiques ont presque toujours été motivés par la religion : sur la base d'une référence à la volonté divine, on décide de ce qui est juste parmi les hommes.
Contrairement aux autres grandes religions, le christianisme n'a jamais imposé à l'État et à la société une loi révélée, un ordre juridique dérivé d'une révélation. Au contraire, il s'est référé à la nature et à la raison comme les véritables sources du droit, il s'est référé à l'harmonie entre la raison objective et la raison subjective, une harmonie qui, cependant, présuppose que les deux sphères sont fondées sur la Raison créatrice de Dieu.
Il avait proposé un concept similaire à Westminster Hall, pour apaiser les craintes que la religion soit une "Autorité" qui s'impose d'une manière ou d'une autre dans les questions juridiques et politiques, frustrant la liberté et le dialogue avec les autres.
La proposition de Benoît XVI, au contraire, a une vision universelle et se situe précisément dans l'interrelation entre la raison et la nature. Gänswein réfléchit : "La contribution première et fondamentale de Benoît XVI est le rappel que les sources ultimes du droit se trouvent dans la raison et la nature, et non dans un mandat, quel qu'il soit".
Raison et nature
Une deuxième perspective pédagogique concerne le domaine du rapport entre la raison et la nature, dans lequel "se joue le sort des institutions démocratiques, leur capacité à produire le "bien commun", c'est-à-dire la possibilité, d'une part, de décider à la majorité une grande partie de la matière à réglementer légalement et, d'autre part, de s'efforcer continuellement de reconnaître et de réaffirmer ce qui ne peut être voté", rappelle Monseigneur Gänswein.
Dans ses discours publics, Benoît XVI dénonce ouvertement la tentation de réduire la raison à quelque chose de mesurable et la compare à un bunker de béton sans fenêtres. Au contraire : "Nous devons rouvrir les fenêtres, nous devons voir à nouveau l'immensité du monde, du ciel et de la terre, et apprendre à utiliser tout cela de manière juste", a-t-il déclaré à Berlin.
C'est pourquoi il ne faut pas avoir peur de se mesurer à la réalité, en pensant que la seule façon d'y accéder est de la réduire à des schémas préconstitués, voire préconçus. Il y a là pratiquement "une correction du rationalisme moderne, qui permet de rétablir un rapport correct entre la raison et la réalité". Une raison positiviste ou autosuffisante est incapable de sortir du marécage des incertitudes", commente Gänswein.
Interrelation entre la raison et la foi
Enfin, un paradigme fondamental de tout le pontificat, l'interrelation entre la raison et la foi, qui brille dans les discours que le Pontife de l'époque a prononcés avec le continent européen comme point de référence. "La culture de l'Europe est née de la rencontre entre Jérusalem, Athènes et Rome ; de la rencontre entre la foi dans le Dieu d'Israël, la raison philosophique des Grecs et la pensée juridique de Rome. Cette triple rencontre façonne l'identité intime de l'Europe", a encore dit M. Ratzinger dans son discours au Bundestag.
La réflexion sur la manière dont la foi chrétienne a contribué à la réhabilitation de la raison émerge plutôt du contenu du discours prononcé au Collège des Berardins à Paris, lorsque l'émérite cite l'exemple du monachisme occidental comme une occasion de renaissance d'une civilisation jusqu'alors "ensevelie sous les ruines des dévastations de la barbarie" - rappelle Gänswein - ayant "bouleversé les anciens ordres et les anciennes certitudes".
En bref, selon Benoît XVI, il existe une profonde relation d'amitié entre la foi et la raison, et aucune ne veut subjuguer l'autre. Il a déclaré à Westminster Hall : "le monde de la raison et le monde de la foi - le monde de la rationalité séculaire et le monde de la croyance religieuse - ont besoin l'un de l'autre et ne devraient pas avoir peur de s'engager dans un dialogue profond et continu, pour le bien de notre civilisation. Par conséquent, la religion, pour tout législateur, n'est pas du tout un problème à résoudre, les législateurs ne sont pas un problème à résoudre, "mais une contribution essentielle au débat national".