Reflétant une attitude critique à l'égard de l'Église, dans les années 1970 et 1980, dans les pays d'Europe jusqu'alors traditionnellement catholiques, dont l'Autriche, on disait souvent : " Christ oui, Église non ". Au tournant du millénaire, si ce n'est avant, cette affirmation a été remplacée par la question de Dieu en soi : Dieu ou autre chose ? ou quoi ? ou rien... Si les sociologues affirment depuis toutes ces années que l'intérêt pour la religion demeure, il n'en va pas de même pour l'intérêt pour Dieu. Religion, ou spiritualité, même sans Dieu ?
L'athéisme en Autriche
Le 30 décembre 2019, la " Société athée religieuse d'Autriche " (" .....Atheistische Religionsgesellschaft in Österreich (en anglais)" ARG " a présenté la demande de reconnaissance de l'État en tant que communauté confessionnelle, première étape vers la reconnaissance en tant que communauté religieuse légalement reconnue. L'ARG répond aux exigences légales, car il compte plus de 300 membres ; et il n'est pas le seul groupe athée en Autriche : il en existe plus d'une demi-douzaine, qui ne représentent à leur tour qu'une fraction de tous les athées d'Autriche. D'autres associations laïques critiquent la proposition de l'ARG car elle impliquerait une complicité avec un système obsolète.
Cela soulève la question suivante : l'athéisme peut-il être une religion, l'est-il ou le devient-il lorsque l'État accorde à une communauté d'athées la reconnaissance d'une communauté religieuse ? Qu'est-ce qu'un État, en l'occurrence l'Autriche, entend par religion ? Il n'existe pas de définition précise dans la loi autrichienne. En général, trois éléments sont mentionnés comme caractéristiques du concept de religion : outre une interprétation globale du monde et de la position de l'homme dans celui-ci, ainsi que les orientations d'action correspondantes, la référence à la transcendance est déterminante. Si cela fait défaut, on parle de "vision du monde" ou de "conception du monde".
Mais... l'athéisme comme religion, n'est-ce pas absurde ? L'athéisme signifie "sans Dieu". Et la religion ne concerne-t-elle pas toujours Dieu ou quelque chose de divin ? Les représentants d'ARG ne croient pas aux divinités qui, selon eux, "ont été créées par les humains". Néanmoins, l'ARG se comprend comme une communauté religieuse : pour eux, la religion est une sorte de philosophie vécue, et la pratique de la religion est une aide pratique pour la vie. Ainsi, sur le site de l'ARG, on peut même lire des articles sur la pastorale athée, par exemple dans des situations de souffrance et de mort, même en l'absence de foi en une âme immortelle. La pastorale se rapproche alors de la psychothérapie.
L'athéisme, une religion ?
Le site Conseil du Vatican IIDans "Gaudium et Spes" (nn. 19-21), il parle de l'athéisme en relation avec la dignité humaine : "La reconnaissance de Dieu ne s'oppose en rien à la dignité humaine, puisque cette dignité a son fondement et sa perfection en Dieu lui-même". Et : "La raison la plus haute de la dignité humaine consiste dans la vocation de l'homme à l'union avec Dieu". En revanche, selon les paroles du Concile, "lorsque ce fondement divin et cette espérance de la vie éternelle font défaut, la dignité humaine subit de très graves dommages - c'est souvent le cas aujourd'hui - et les énigmes de la vie et de la mort, de la culpabilité et de la douleur, restent sans solution, conduisant souvent l'homme au désespoir".
Les représentants de l'ARG répondent à ces questions et à d'autres sur un plan purement humain, car selon leur conception, leur "ethos" a été et est développé et convenu par des êtres humains, et les concepts de valeur sont toujours d'origine humaine. Il est vrai qu'il existe également des valeurs générales parmi elles, telles que "prendre des responsabilités" et "apprendre de ses erreurs". Mais les questions ultimes, au sens du Conseil, trouvent leur réponse dans une perspective et une expérience purement humaines. Y compris la question de la mort : après la mort, il n'y a rien. Peut-être que l'homme en ressentira de la douleur, mais tout au plus tant qu'il vivra.
Une question sur la transcendance
Le christianisme est une religion de la Révélation : "Je suis le Dieu de tes pères, le Dieu d'Abraham, d'Isaac et de Jacob", dit Yahvé lorsqu'il apparaît à Moïse dans le buisson du désert. Dieu a parlé à l'homme, "en ces derniers temps, par son Fils", comme le dit la Lettre aux Hébreux. La foi de l'homme est toujours une réponse de l'homme à Dieu qui s'adresse à lui. Les actions de la personne croyante sont guidées par les paroles et les actes de Dieu, dans la mesure où elle les reconnaît. Bien que Dieu soit le "tout autre" et que, selon saint Thomas d'Aquin, nous en sachions beaucoup plus sur Dieu que nous ne le connaissons, Dieu est néanmoins reconnaissable : "Celui qui me voit voit le Père", dit Jésus à Thomas lors de la dernière Cène, au Cénacle. Même lorsque, selon les termes du Concile, le croyant en tant qu'être humain reste pour lui-même une question non résolue, seul Dieu peut donner la réponse pleine et certaine.
La "Religious Atheist Society" ne sait rien de tout cela. Et pourtant, elle prétend être une société religieuse. Il voit sa référence à la transcendance dans le fait qu'il s'agit, bien sûr, de Dieu, bien qu'il nie son existence. Le 1er juin 2022, le tribunal administratif de Vienne a rejeté la demande de reconnaissance de l'ARG en tant que communauté religieuse, la décrivant comme une "communauté de vision du monde". Le tribunal justifie sa décision en affirmant que la conception de la transcendance de l'ARG est insuffisante pour une communauté religieuse, car elle ne se réfère pas à ces royaumes qui sont en dehors de toute expérience consciente, planifiable et immanente, et qui font l'objet d'une réalité "différente".
La Société religieuse athée a fait appel de cette décision auprès de la Cour constitutionnelle, la plus haute juridiction autrichienne. Ce faisant, elle invoque principalement l'article 14 de la Convention européenne des droits de l'homme, car la décision du tribunal administratif de Vienne méconnaîtrait la liberté de religion de l'ARG. Il sera intéressant de voir comment la Cour constitutionnelle se prononcera.
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