Mes trois premières années en tant que vicaire régional de la Opus Dei en Argentine, au Paraguay et en Bolivie s'est déroulée parallèlement aux trois dernières années du cardinal Bergoglio en tant qu'archevêque de Buenos Aires. Cette circonstance m'a permis de le rencontrer à plusieurs reprises et une précieuse amitié s'est forgée qui dure encore aujourd'hui.
Le fait de traiter avec le pape comme un ami, par le biais de lettres, de rencontres personnelles et de concélébrations eucharistiques, m'a permis d'assister à vivre et diriger ce que je considère comme un trait caractéristique de sa personnalité : l'oubli de soi. C'est d'ailleurs sur cette base d'humilité que j'ai pu percevoir sa piété touchante, sa préoccupation pour les prêtres et sa prédilection évidente pour les pauvres et les vulnérables.
J'étais avec lui pour la première fois lors d'une messe dans la cathédrale de Buenos Aires. Il présidait et je concélébrais. C'était le 26 juin 2010, jour de la fête de l'Église catholique. Saint Josémaria. En plus d'être à l'aise, entouré de l'affection de tant de fidèles de la prélature de l'Opus Dei, j'y ai vu une occasion de me sentir à l'aise. caché dans le mystère : pieux, recueilli, diffusant à tous les assistants la vibration de sa foi et l'élan de son feu apostolique.
Avant le début de la célébration, il s'est intéressé très sincèrement à moi et au travail qui m'attendait : je venais d'arriver à Buenos Aires. Je l'ai ensuite accompagné à deux autres messes de saint Josémaria, en 2011 et 2012, où j'ai pu admirer à nouveau son tempérament sacerdotal. Un tempérament qui, pour ainsi dire, s'est formé sacramentellement un jour comme aujourd'hui, le 27 juin 1992, lorsqu'il reçut l'ordination épiscopale des mains du cardinal Antonio Quarracino.
J'ai vu sa piété resplendir dans toutes les messes que j'ai concélébrées avec lui : aussi bien dans l'intimité de son oratoire de Santa Marta qu'en plein air, au Paraguay, au milieu d'un million et demi de personnes. Comme s'il était isolé de son environnement, je l'ai toujours vu attentif au Seigneur dans l'Eucharistie.
Boisson tereré
Pendant ces trois années à Buenos Aires, je me suis sentie soutenue par ses vertus de bon berger : toujours très paternel, toujours très proche. Jusqu'au 13 mars 2013, lorsque nous l'avons vu sur la place Saint-Pierre, vêtu de blanc.
Ce jour-là, j'ai vécu ce que tous les Argentins ont probablement vécu : l'émotion, l'étonnement, la surprise heureuse et le pressentiment que rien ne serait plus jamais comme avant, que je ne le reverrais peut-être plus jamais.
Deux ans plus tard, en mars 2015, je me suis rendu à Rome et je l'ai rencontré à la fin d'une audience générale. Je savais que le mois de juillet suivant, il se rendrait au Paraguay. Pour cette raison, et parce que je savais aussi qu'il avait une affection particulière pour ce pays, j'ai pris le courage de lui offrir "a tereré".
La photo du pape dégustant cette boisson typique du Paraguay, à base de yerba mate et d'eau presque gelée, s'est rapidement répandue dans les médias paraguayens : c'était le prélude d'un voyage inoubliable, marqué par l'enthousiasme et l'émotion d'un peuple qui aime François de toutes ses fibres.
Dans la poche du Pape
Je crois, sans crainte d'exagérer, que la manière affectueuse dont le peuple paraguayen a reçu le Pape est un exemple pour le monde entier. Et moi, par la grâce de Dieu, j'ai eu l'immense chance d'être reçu seul pendant quelques minutes au cours de ces journées épuisantes. C'était le samedi 11 juillet 2015 à la nonciature.
À la fin de notre entretien, intime et intense, de fils à père, de prêtre à prêtre, d'ami à ami, de compatriote à compatriote, je lui ai offert un rare et très petit chemin de croix : avec ses stations sculptées en argent, il s'agit d'une miniature antique appartenant à une famille paraguayenne qui l'a généreusement offerte au Pape de tout son cœur.
Je dois dire que je lui ai offert cette œuvre d'art authentique avec la crainte bien fondée qu'il la laisse dans d'autres mains, comme il le fait habituellement avec les nombreux cadeaux qu'il reçoit, mais cette fois encore, je me suis trompée. Très rapidement, alors qu'il avait déjà le trésor entre les mains, son visage s'est illuminé, il l'a immédiatement mis dans sa poche et, visiblement ému, il m'a dit : "Voilà ce que je vais garder", ajoutant qu'il lui serait très utile de le revoir tous les jours.
Depuis huit ans, cette pièce précieuse est dans la poche du Pape. Il l'a même montré lors de réunions publiques pour expliquer que la Croix, apparent "échec de Dieu", est en réalité sa grande victoire. "Avec ces deux choses, je ne perds pas l'espérance", a-t-il par exemple déclaré au Kenya le 27 novembre 2015, en montrant à la foule un chapelet et le chemin de croix paraguayen.
Réponses manuscrites
En 2020, en pleine pandémie, je lui ai écrit ma première lettre. Je voulais lui demander des conseils pastoraux sur la manière de mieux servir les personnes qui dépendaient le plus directement de mon travail de vicaire régional.
Sa brève réponse, écrite de sa main, ne manqua pas de m'émouvoir. Il m'a encouragé à avoir de la patience, de la patience et encore de la patience, à cultiver un regard compatissant et plein d'espoir envers chaque âme, et il m'a supplié de bien vouloir prier pour lui et ses intentions, comme il prierait pour moi et les miennes.
Notre correspondance s'élève maintenant à vingt lettres : la mienne, numérique, et celle de François, manuscrite. Je les conserve comme des reliques et elles se terminent toutes de la même manière, par la simple demande de prier pour lui. Ce fait est en soi très impressionnant et je ne comprends pas pourquoi : le pape n'est pas obligé de me répondre et pourtant il n'a pas manqué de répondre à une seule de mes lettres. Mais ce qui me surprend le plus, c'est un autre détail : la réponse arrive généralement le jour même où je lui écris, ou le lendemain. C'est extraordinaire et cela ne peut s'expliquer que par son généreux dévouement.
Parmi les dernières lignes que je lui ai écrites en mars 2023, je lui ai dit que j'étais sur le point de subir une opération de la colonne vertébrale. Comme c'est désormais incroyablement habituel, il m'a répondu le jour même, m'assurant qu'il priait pour mon prompt rétablissement. Puis, un mois plus tard, je lui ai dit que j'allais déjà mieux, que je me rétablissais, et il m'a répondu à nouveau, toujours aussi rapidement, en ajoutant l'habituel : "n'oublie pas de prier pour moi ; je prie pour toi".
"Ne vous laissez pas détremper par le chipa".
En octobre 2021, je lui ai écrit pour lui annoncer un événement important : je quittais Buenos Aires et je retournais à Asunción pour prendre mes fonctions de vicaire de l'Opus Dei au Paraguay. Face à ce nouveau défi, je l'ai prié de m'offrir quelques conseils ou suggestions.
Il m'a écrit, se réjouissant que je retourne dans ce pays qui est si proche de son cœur de prêtre, et jugeant apparemment que je n'avais pas besoin de conseils, car il m'a simplement dit en plaisantant : "Ne sois pas trempé de chipa !
Pour ceux qui ne connaissent pas la gastronomie paraguayenne, il faut savoir que la chipa est un pain très populaire à base d'amidon de manioc et, comme le sait bien le pape, il est presque irrésistible. Tout compte fait, il s'agit donc d'un conseil qui cache plus de sagesse qu'il n'y paraît à première vue.
"Comment es-tu arrivé ici ?"
Au milieu de l'année 2021, en raison de mes fonctions pastorales, j'ai dû me rendre à Rome. Et par la grâce de Dieu, le Pape m'a reçu dans son bureau. Il était très affectueux et la première chose qu'il m'a demandée, plus qu'intrigué, c'est : "Comment êtes-vous arrivé ici ?
La question n'était pas anodine, car à cette époque de pandémie mondiale rampante, traverser l'Atlantique était une entreprise impossible. J'ai pu le faire par une constellation surprenante et providentielle de facteurs, je dirais même par miracle.
Il s'est passé quelque chose d'impensable lors de cette réunion : j'ai dû l'annuler ! François, oublieux de lui-même, m'a consacré son temps comme s'il n'avait pas d'agenda, comme si nous étions des amis de longue date. Moi qui ne mérite pas un tel traitement, j'ai senti que je ne pouvais plus profiter de la gentillesse du Pape et au bout de 45 minutes, j'ai suggéré qu'il était temps pour moi de partir.
Je termine maintenant le récit de mes souvenirs : j'ai reçu sans le mériter, comme sans le chercher, le don et le privilège de l'amitié avec le Pape. Et aujourd'hui, depuis mon humble position de prêtre, à l'occasion de l'anniversaire de son ordination épiscopale, je décide de redoubler de prières pour lui et ses intentions. Puis-je vous demander, cher lecteur, de dire aussi une prière pour François ?
Vicaire de l'Opus Dei au Paraguay