Manuel Serrano a été directeur médical du Hôpital Laguna Careun centre de santé orienté vers les soins palliatifs à Madrid (Espagne). Le Dr Serrano écrit des articles, des livres et donne des conférences, mais ce qui caractérise avant tout son travail, c'est de "prendre soin des gens".
Convaincue que les soins palliatifs "sont une activité fondamentale pour un médecin", et compte tenu de l'importance accordée aux soins palliatifs par l'Union européenne, la Commission européenne a décidé de mettre en place un programme de soins palliatifs. Pape FrançoisLe Dr Serrano en parle avec Omnes dans cette interview.
Lorsqu'un patient est en soins palliatifs, le médecin sait que sa mission n'est plus de guérir, mais de soigner. En quoi son travail change-t-il ?
- En tant que professionnels de la santé, nous savons que ce qui doit nous caractériser le plus est de prendre soin des gens. Il n'est pas toujours possible de guérir, mais il est toujours possible de soigner, de réconforter et d'accompagner. Lorsque les gens tombent malades, même s'il s'agit d'une maladie banale, ils préfèrent avoir à leurs côtés un médecin attentif à leurs besoins, à leur façon de vivre ce qui leur arrive, qui s'adapte avec empathie et compassion à leur douleur, à leur souffrance. Ils ont d'abord besoin d'être rassurés au moins par un regard, puis de se sentir compris, et enfin de se voir proposer le traitement qui les guérira ou les soulagera, et de se voir proposer de se préoccuper de l'issue de leur traitement.
En bref, le médecin devient un ami sincère qui s'occupe d'un aspect fondamental de la vie : la santé, qui peut souvent être restaurée, parfois non, mais qui peut toujours être soulagée, accompagnée et réconfortée. Et le fait d'en être conscient et de le vivre de cette manière, croyez-moi, est un privilège.
Certains pensent que les soins palliatifs reviennent à "jouer à Dieu", car ils prolongent inutilement la vie du patient. Pouvez-vous clarifier ce que sont les soins palliatifs afin que nous ne tombions pas dans cette interprétation erronée ?
- Cela n'a rien à voir avec la réalité. Les soins palliatifs sont une activité fondamentale pour un médecin. En fait, elle est toujours possible, dans toutes les circonstances de la maladie. Elle rapproche le médecin de ses semblables, et il s'y développe une activité qui est le fruit de l'amour entre les hommes, du désir d'aider les autres parce qu'ils sont mes égaux, en raison de la dignité humaine qui nous unit. Rien n'est plus éloigné de l'idée de jouer à Dieu. Il s'agit tellement d'une relation humaine que je ne peux en imaginer d'autre plus digne de ce nom.
D'autre part, les soins palliatifs ne prolongent pas la vie, mais la facilitent à un moment où la menace de la fin se rapproche, et permettent d'attendre cette fin, qui est la mort, avec une attitude plus calme et plus optimiste. Car nous ne nous occupons pas seulement de la douleur, de l'agitation, de l'immobilité et de la faiblesse, mais nous résolvons aussi, dans la mesure du possible, les problèmes du patient avec les formalités sociales ou familiales, nous agissons dans le domaine psychologique, ce qui facilite une prise de conscience plus ou moins acceptée de ce qui lui arrive, et nous nous occupons aussi de ce qui est indissociable de la maladie terminale, à savoir l'accompagnement de l'agitation spirituelle.
En tant que médecin, quand décidez-vous de passer de la guérison à l'admission en soins palliatifs ? Comment éviter l'acharnement thérapeutique ?
- Le traitement raisonnable des maladies, en particulier celles de nature maligne, qui comportent un risque implicite pour la vie, devrait être mis en œuvre tant que la maladie est sous contrôle, sans signe d'extension ou d'évolution progressive. On constate parfois que tout ce qui est fait ou pourrait être fait comporte un risque plus grand que le bien qu'il est censé faire, en raison des effets secondaires ou du risque de maladies qui découlent de l'affaiblissement que le traitement provoque souvent.
L'obstination dans l'application des traitements, dans l'espoir que l'un d'entre eux puisse apporter la preuve d'une certaine action, conduit à des actions en dehors de toute preuve scientifique et revient donc à appliquer des traitements non inoffensifs qui causent de la souffrance et offrent de manière trompeuse un espoir éloigné de toute raison.
Lorsqu'une maladie maligne ou terminale a atteint un certain degré, il faut savoir que l'urgence est d'apporter le maximum de confort et de bien-être au patient et, dans les limites de la relation humaine, de l'aider à comprendre que tout ce qui est humainement possible a déjà été fait. C'est le moment d'appliquer les soins palliatifs ou de confort.
Comment considérer les patients comme des personnes, sans les réduire à leur maladie ?
- La première chose que l'on apprend à l'école de médecine, c'est qu'il n'y a pas de maladies, seulement des malades. Ce ne sont pas les maladies en elles-mêmes qui ont un traitement, mais les personnes qui en souffrent, et bien qu'ils aient tendance à être appliqués de manière protocolaire, il doit y avoir des variations dérivées des caractéristiques personnelles et biologiques du patient qui va recevoir le traitement. C'est très important.
L'attitude la plus récente consiste à pratiquer une médecine centrée sur la personne, à ne pas considérer la maladie de manière impersonnelle. Des situations similaires chez des personnes différentes nécessitent des approches thérapeutiques différentes.
D'autre part, les circonstances de la vie, l'impact de la maladie sur leur vie, nous obligent à connaître les particularités individuelles qui transforment finalement une seule maladie en un nombre indéfini de maladies différentes.
D'un point de vue personnel, psychologique et spirituel, ils nous demandent de les traiter différemment. La vie des gens est toujours différente et la façon dont nous les traitons est toujours différente. Cette attitude conduit à la personnalisation de la relation thérapeutique entre le médecin et le patient, qui devient ainsi unique.
Le pape François parle de l'importance d'accompagner non seulement le patient mais aussi sa famille. Comment y parvenir grâce aux soins palliatifs ?
- Le pape a tenu des propos très motivants sur les soins palliatifs à l'intention des professionnels de la santé, comme le fait que ces soins ont un rôle décisif et qu'ils garantissent non seulement un traitement médical, mais aussi un accompagnement humain et proche, parce qu'ils offrent une compagnie pleine de compassion et de tendresse. Le simple fait de tenir la main du patient lui fait ressentir la sympathie de la personne qui l'accompagne, et le regard peut apporter un réconfort qu'il est autrement plus difficile d'obtenir.
Le pape a également insisté sur le fait que les familles ne peuvent pas être laissées seules dans les situations où un être cher est en train de vivre ses derniers jours. Trop de souffrances familiales sont générées dans ces circonstances. Dans les soins palliatifs, notre priorité est de répondre aux besoins de la famille, de l'aider et de l'accompagner dans son deuil.
Certains affirment que, compte tenu de la situation économique difficile de certains pays, l'euthanasie est un moyen d'économiser des ressources. Quelle est votre opinion à ce sujet ?
- Je pense qu'il y a beaucoup de faux arguments avec lesquels l'opinion publique est manipulée. Aucun des pays qui ont adopté des lois autorisant l'euthanasie n'est un pays pauvre ou un pays dont les ressources en matière de santé sont limitées. La Belgique, les Pays-Bas, le Canada, certains États américains, etc. ne sont pas des exemples de pays qui ont besoin d'économiser des ressources. Le traitement palliatif de maladies malignes ou d'autres maladies vouées à la mort n'est en aucun cas un fardeau ; il suffit de décider d'organiser les soins de santé pour soigner et soulager au lieu de techniciser à outrance et parfois inutilement, ce qui renchérit considérablement les soins de santé.
Certains pays sont déterminés à faire passer des lois en faveur de l'euthanasie tout en ne faisant rien d'efficace pour promouvoir l'organisation des soins palliatifs. D'autre part, certains pays qui ont légiféré en faveur de l'assistance au suicide et ont facilité la prolifération des entreprises d'assistance au suicide, comme la Suisse, n'autorisent pas l'euthanasie.
La manipulation intentionnelle est la manière dont la loi réglementant l'euthanasie s'est imposée dans de nombreux pays, dont le nôtre. Il y a des mots qui ont été installés comme des slogans dans la société, comme la mort dans la dignité par exemple, sans se rendre compte que supprimer la vie, c'est supprimer la dignité, et qu'accompagner dans la maladie, c'est accompagner quelqu'un qui nous ressemble, qui est aussi digne que nous, vers son dernier destin.
Faut-il être catholique pour soutenir les soins palliatifs ?
- Pas du tout. Je dirais que soigner et accompagner est une vocation universelle. Les soins palliatifs sont une manifestation de l'humanité à l'extrême. Je veux dire par là que la véritable humanité reconnaît la dignité de ses semblables comme possédant une qualité immatérielle qui les rend identiques à nous jusqu'à la mort naturelle. C'est pourquoi nous ressentons le besoin de soigner et de soulager nos semblables qui souffrent, comme nous voudrions être soignés nous-mêmes.
Pour cela, il est nécessaire de reconnaître que l'être humain a une transcendance qui dépasse le purement matériel et charnel, et qu'il est destiné à avoir un sens dans la vie. C'est cela, qui est une manifestation de l'humanité dans son ensemble, que le christianisme défend en donnant à l'homme l'exaltation qui fait de lui un enfant de Dieu et une entité qui jaillit de l'image et de la ressemblance de Dieu.
Ainsi, les chrétiens, et plus encore les catholiques, qui sont associés à la charnalité du Christ et à la vie terrestre comme chemin de la vie éternelle, ont d'autant plus de raisons de développer les soins palliatifs comme chemin de la charité et de la compassion fraternelle.
Peut-on parler des soins palliatifs de manière lumineuse, sans être guidé par la peur de la mort et de la maladie ? Quelle devrait être, selon vous, la perspective ?
- Bien sûr. Dans la vie, nous avons toujours des occasions de tendre la main et de ressentir de l'espoir. Il y a des gens qui, peut-être dans leur vie, n'ont pas fait attention ou n'ont pas pensé à la fin qui nous attend tous.
Dans le monde d'aujourd'hui, on ne veut pas parler de la souffrance ou de la mort, on les écarte des conversations et on n'y prête pas attention, elles sont devenues taboues. Lorsque la douleur devient trop forte, les soins palliatifs apportent suffisamment de sérénité pour repenser à tout ce qui, peut-être sans le savoir, a toujours été prévu.
La mort précoce n'est souhaitée que par ceux qui souffrent en désespoir de cause, ceux qui sont seuls ou mal soignés, ceux pour qui l'existence est devenue un fardeau. Mais j'ai souvent constaté que le traitement qui soulage de ces situations, l'accompagnement, l'affection et la tendresse les font changer et retrouver l'espoir de vivre en paix.
L'homme ne peut en aucun cas se rendre maître de la vie. Je suis désolé pour ceux qui prônent l'euthanasie, mais il n'y a pas de noble raison pour décider quand une vie vaut la peine d'être vécue ou quand une vie n'a plus la dignité qui la maintient dans l'existence. La reconnaissance de la dignité dépend précisément de ceux qui en prennent soin.
La fin de vie peut être envisagée avec espoir. Toute circonstance vécue peut nous aider à apprécier que la vie a un sens, qu'elle va quelque part. Pour éviter des expériences qui peuvent conduire à l'anxiété, à l'angoisse et à une souffrance spirituelle supplémentaire, les soins palliatifs ont un rôle indispensable à jouer dans le traitement et la prise en charge de toutes les personnes atteintes de maladies qui conduisent à une fin lente.