Il y a quelques années, le pape Benoît XVI a réfléchi aux différentes attitudes de la société contemporaine vis-à-vis des positions morales de l'Église. D'une part, il y a des questions pour lesquelles il y a une convergence totale avec ce que nous pourrions appeler les "sensibilités actuelles", comme l'attention aux personnes vulnérables, la recherche de la justice et de la paix, ou le respect de l'environnement ; d'autre part, il y a un rejet assez généralisé des questions concernant la moralité sexuelle ou le début et la fin de la vie.
Il y a quelques années également, après le discours du pape François au Parlement européen, le leader de Podemos de l'époque, qui était présent, a indiqué qu'il avait donné plusieurs "likes" aux paroles du pape sur certains sujets (sa critique du modèle économique actuel), montrant son rejet d'autres (sa défense de la vie des enfants à naître). Maintenant, si ceux qui se trouvent sur le spectre politique opposé devaient répondre sincèrement, ils auraient sûrement la même divergence (dans la direction opposée, bien sûr), même s'ils n'oseraient peut-être pas critiquer ouvertement le Pape sur ces questions sociales où, au fond, il leur semble "suspicieusement progressiste".
Cette double attitude à l'égard de la moralité est très répandue. À mon avis, elle réside dans une confusion sur la vision anthropologique de l'Église, et donc de l'Évangile, qui voit la moralité comme une conséquence de la manière dont les êtres humains - et donc les autres créatures - ont été créés par Dieu. Et cela implique de prendre en compte dans le jugement moral les dimensions qui composent la personne humaine, le biologique, le social et le rationnel-spirituel. D'autre part, ces dimensions ne sont pas exclusives aux croyants, puisqu'elles ont été partagées par de nombreux autres philosophes moraux au cours de l'histoire, d'Aristote à Cicéron, qui ont également accepté la loi naturelle comme base du jugement moral, même sans la considérer d'origine divine.
Le concept d'écologie intégrale
Ces pensées me sont venues à l'esprit en lisant le dernier livre du pape François ("Rêver ensemble : la route vers un monde meilleur", 2020). Face à ceux qui restent méfiants à l'égard de sa position sur la question écologique, comme s'il s'agissait d'une concession aux valeurs du "progressisme culturel", le Pape rappelle une fois de plus que l'objectif de l'Union européenne est d'améliorer la qualité de vie des citoyens. prendre soin de la nature (de la Création, en termes chrétiens) porte en elle ce qu'il appelle la "écologie intégrale", qui comprend à la fois le soin de l'environnement et, surtout, le soin des êtres humains.
Pour le pape François, cette vision implique "bien plus que de prendre soin de la nature ; c'est prendre soin les uns des autres en tant que créatures d'un Dieu qui nous aime, et tout ce que cela implique. En d'autres termes, si vous pensez que l'avortement, l'euthanasie et la peine de mort sont acceptables, il sera difficile pour votre cœur de se soucier de la pollution des rivières et de la destruction de la forêt tropicale. Et l'inverse est également vrai. Ainsi, même si l'on continue à affirmer avec véhémence qu'il s'agit de problèmes d'un ordre moral différent, tant que l'on insistera pour dire que l'avortement est justifié mais que la désertification ne l'est pas, ou que l'euthanasie est condamnable mais que la pollution des rivières est le prix à payer pour le progrès économique, nous resterons coincés dans le même manque d'intégrité qui nous a menés là où nous sommes. Je pense que Covid-19 est en train de rendre cela clair pour quiconque a des yeux pour voir. C'est le moment d'être cohérent, de démasquer la moralité sélective de l'idéologie et d'embrasser pleinement ce que signifie être enfant de Dieu. C'est pourquoi je crois que la régénération de l'humanité doit commencer par une écologie intégrale, une écologie qui prend au sérieux la détérioration culturelle et éthique qui va de pair avec notre crise écologique. L'individualisme a des conséquences" (p. 37).
Je pense qu'on ne saurait mieux dire ce que signifie le fait que les deux dimensions de la morale naturelle vont de pair, que prendre soin de la nature et prendre soin des gens n'est pas un compromis, mais plutôt les deux faces d'une même pièce, à la fois parce qu'en tant qu'humains nous sommes aussi la nature, et parce que la nature est notre maison et que nous avons besoin qu'elle soit propre pour continuer à y vivre.
Certains catholiques qui continuent à voir des dichotomies dans ce concept holistique du moralSelon les auteurs, il est insensé d'avoir des préoccupations écologiques tout en préconisant l'élimination des êtres humains en gestation.
Je suis d'accord.
Mais, comme le souligne François, défendre la vie humaine et mépriser celle des autres créatures ne l'est pas non plus. Tout cela fait partie de la même chose, et tant que nous ne saurons pas l'intégrer dans une morale commune, ce que nous pourrions appeler la "morale de la vie", il sera difficile de surmonter le dysfonctionnement auquel j'ai fait référence précédemment. Une morale de vie qui est ancrée dans la loi naturelle (au sens classique et plus récent de la nature), et qui nous permet de l'étendre à toutes sortes de personnes, qu'elles soient croyantes ou non.
Une idée pas si nouvelle que ça
Cette idée du pape François n'est pas nouvelle. Il l'avait déjà clairement indiqué dans ses écrits précédents (à commencer par l'encyclique Laudato si), et en se rattachant au Magistère des papes qui l'ont précédé.
Il suffit de mentionner quelques paragraphes significatifs de Saint Jean Paul II. Par exemple, à la fin de son message pour la Journée mondiale de la paix de 1990, il a déclaré : "Le respect de la vie et de la dignité de la personne humaine comprend également le respect et le soin de la création, qui est appelée à s'unir à l'homme pour glorifier Dieu (cf. Ps 148 et 96)".
De même, il a déclaré dans l'encyclique Centesssimus annusLa terre n'est pas seulement donnée par Dieu à l'homme, qui doit l'utiliser en respectant l'intention originelle selon laquelle elle est un bien, selon laquelle elle lui a été donnée ; même l'homme est pour lui-même un don de Dieu et doit donc respecter la structure naturelle et morale dont il a été doté" (n. 38).
Benoît XVI a également consacré une partie importante de son magistère à la question environnementale. Dans le Caritas in veritateIl a souligné qu'"il est contradictoire de demander aux nouvelles générations de respecter l'environnement naturel, alors que l'éducation et les lois ne les aident pas à se respecter elles-mêmes". Le livre de la nature est un et indivisible, tant en ce qui concerne la vie, la sexualité, le mariage, la famille, les relations sociales, en un mot, le développement humain intégral" (n. 51).
Pour souligner la cohérence entre ces deux façons de comprendre l'écologie, il a déclaré dans son message pour la Journée mondiale de la paix 2007 : "L'humanité, si elle est vraiment intéressée par la paix, doit toujours avoir à l'esprit l'interrelation entre l'écologie naturelle, c'est-à-dire le respect de la nature, et l'écologie humaine. L'expérience montre que toute attitude irrespectueuse à l'égard de l'environnement entraîne des dommages à la coexistence humaine, et vice versa" (n. 8).
En bref, si nous sommes vraiment cohérents avec la moralité qui découle de la loi naturelle (et finalement, pour un chrétien, du dessein créatif de Dieu), nous devons prendre soin de la nature, tant humaine qu'environnementale.
La bioéthique et l'éthique de l'environnement doivent se fonder sur un ensemble de principes communs, valables pour rejeter aussi bien la manipulation inconsidérée d'un embryon humain que la manipulation inconsidérée d'une espèce végétale ou animale. Les opposer l'un à l'autre est artificiel et pernicieux pour les deux.
C'est pourquoi, comme l'a souligné François dans la Laudato siLa solution aux problèmes sociaux et environnementaux "exige une approche holistique pour combattre la pauvreté, restaurer la dignité des exclus et simultanément prendre soin de la nature" (n. 139).
Il ne s'agit pas de choisir entre sortir de la pauvreté et respecter l'environnement, mais de promouvoir un développement intégral qui tienne compte du bien des personnes et de l'environnement dans lequel elles se trouvent, pour leur propre bien-être et celui des autres êtres vivants qui nous accompagnent dans ce merveilleux cadeau que nous avons reçu de Dieu le Créateur.
Professeur de géographie à l'université d'Alcalá.