Écologie intégrale

La miséricorde pour tous

La miséricorde doit être exercée envers tous. Ni ceux qui ont agi injustement, ni ceux qui ont été guidés par la naïveté ou une générosité mal comprise, ne doivent en être exclus.

Juan Arana-7 janvier 2022-Temps de lecture : 4 minutes
la miséricorde pour tous

Photo : Ryoji Iwata / Unsplash

Pour tout chrétien, les mots de conclusion de l'Évangile de Marc sonnent depuis vingt siècles comme un bon rappel à l'ordre : " Allez dans le monde entier et prêchez l'Évangile à toute créature ". Rien de moins ! Au monde entier et à chaque créature... C'est une mission énorme, aussi écrasante que passionnante. On comprend l'urgence de François Xavier et de tant d'autres, qui se sont empressés de voyager et de convertir le globe avant que leur propre souffle ne s'épuise... Matthieu ajoute à sa version quelques nuances qu'il ne faut pas négliger : "Enseignez à toutes les nations... en leur apprenant à observer tout ce que je vous ai prescrit". En d'autres termes : tout à tout le monde. Il n'y a pas de clause d'exclusion dans le message à transmettre ; le semeur doit continuer à semer sa semence sans la freiner, même parmi les pierres et les chardons, car personne ne sait à l'avance si le terrain ensemencé ne manque pas d'une fécondité cachée qui attend celui qui lui dit "Lève-toi et marche".

Aujourd'hui, les civilisations, plutôt que de s'allier ou de se faire la guerre, se frottent les unes aux autres et se mélangent. Il est donc très facile de tirer des conclusions pessimistes sur la possibilité d'atteindre une vérité qui convainque tout le monde. En ce qui concerne les religions, la question de savoir s'il existe des qui se démarque du reste semble aussi plus irrésoluble que jamais. À bien des égards, les chrétiens ne sont pas meilleurs que le reste de l'humanité. Si les Juifs de l'Ancien Testament saisissaient toutes les occasions de décevoir les attentes que Dieu avait placées en eux, nous, enfants de l'Église issue de la Nouvelle Alliance, décevons aussi souvent les nôtres et les étrangers. 

Mais il y a une chose qui permet à un observateur impartial de remarquer un trait distinctif : notre doctrine ne réfute pas le label d'universel, Catholique. Contrairement à tant d'associations de tel ou tel signe, dans la nôtre seul Dieu se réserve le droit d'admission, et Il ne l'exercera qu'à la fin des temps : en ce qui nous concerne, si c'était objectivement possible, personne ne devrait être exclu du message. Contrairement à d'autres champs, mieux aménagés, plus consciencieusement désherbés ou systématiquement désherbés, dans les jardins de l'Église, les mauvaises herbes poussent joyeusement à côté du blé : ce n'est pas le moment de séparer les unes des autres, et nous ne sommes pas appelés à le faire.

En bref, nous devons veiller à ce que la bonne semence ne soit pas perdue et ne meure pas, même si un adversaire qui ne respecte pas les règles du jeu agit parmi nous.D'où une grande partie des reproches qui nous sont adressés par les enfants du siècle, qui tentent de compenser leur absence avouée de Dieu par la pureté prétendument immaculée de leurs errances. Mais peu importe : que ce soit eux qui se vantent de pratiquer la tolérance zéro avec ces ou ces au-delà. Pour le chrétien fidèle à son identité, la lutte est uniquement contre le mal, contre le péché, mais pas contre l'auteur, puisque Dieu ne nous a pas autorisés à désespérer de la conversion d'un quelconque pécheur. La miséricorde que nous essayons de pratiquer est pour tous.

À première vue, la situation à laquelle nous sommes arrivés est amusante. Il semblerait que ceux qui critiquent tant de choses à l'encontre des membres (et surtout de la hiérarchie) de l'Église, revendiquent une tolérance presque infinie pour le mal, et en revanche très peu d'intolérance à l'encontre de ceux qui protègent ou pardonnent les malfaiteurs repentis. Je ne cherche pas par là à excuser ceux qui, ayant le devoir de tutelle, ont négligé, quel qu'en soit le motif, un devoir aussi élémentaire. En revanche, comme le proclame Nicolás Gómez Dávila dans l'un de ses aphorismes : "À un certain niveau profond, toutes les accusations portées contre nous sont exactes". Et sans doute ceux qui rejettent systématiquement toute accusation portée contre eux ont-ils tort, et encore plus ceux qui se targuent d'un bilan immaculé. Mais c'est une chose que nous, les croyants, ayons une grande marge de progression, et c'en est une autre que ceux qui nous détestent pour le simple fait d'être croyants s'érigent en juges suprêmes de la moralité, tout en faisant office de procureurs et de bourreaux.

La dénonciation de l'injustice est une vertu prophétique... à condition, bien sûr, qu'elle ne soit pas instrumentalisée au service d'autres causes, notamment celle de persécuter les ennemis ou de favoriser les amis. Il serait souhaitable que ceux qui sont si prompts à accuser les pauvres bergers d'être des méchants, victimes d'une naïveté coupable ou d'une générosité mal comprise (et il serait bon qu'ils puissent surmonter les deux), soient capables d'appliquer des réprimandes aussi sévères à eux-mêmes et à leurs alliés le moment venu. Le mal reste le mal, quelle que soit la façon dont on le regarde. Lorsqu'il s'agit de le commettre, la dissimulation hypocrite est sans aucun doute une circonstance aggravante, mais le cynisme de ceux qui se vantent de leurs méfaits en face n'est certainement pas non plus une circonstance atténuante. 

Comme le dit le proverbe "sept fois le juste tombe", très peu de fidèles ordinaires ou de pasteurs de l'Église prétendront qu'il n'est pas de leur devoir de se frapper la poitrine et d'affronter toutes les conséquences de leurs propres actions et omissions. Mais soit nous avons pitié de tous (y compris des méchants) comme notre Maître l'a enseigné, soit je crains que nous n'enclenchions une dynamique qui, au final, ne fera de cadeau à personne (pas même aux plus innocents). D'après ce que beaucoup disent, il semblerait qu'il n'y ait pas de péchés, mais seulement des pécheurs impardonnables, qui coïncident curieusement avec ceux qui, pour une raison ou une autre, sont l'objet de leur haine.

L'auteurJuan Arana

Professeur de philosophie à l'université de Séville, membre titulaire de l'Académie royale des sciences morales et politiques, professeur invité à Mayence, Münster et Paris VI -La Sorbonne-, directeur de la revue de philosophie Nature et Liberté et auteur de nombreux livres, articles et contributions à des ouvrages collectifs.

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