Enrique Rojas est l'un des "grands" psychiatres de notre pays. Professeur de psychiatrie et directeur de l'Institut espagnol de recherche psychiatrique, M. Rojas vient de se voir décerner le prix Pasteur de la recherche en médecine par l'Association européenne de développement.
Auteur de nombreux ouvrages sur des sujets tels que la dépression, le bonheur, l'anxiété et l'amour, il a vendu plus de 3 millions de livres, traduits de l'anglais en russe, allemand, polonais et italien.
Marié à Isabel Estapé, notaire de Madrid, et première femme de l'Académie royale des sciences économiques et commerciales, Enrique Rojas est le père de 5 enfants, dont certains ont suivi ses traces dans le monde de la médecine ou de la psychologie.
Vous êtes impliqué dans la recherche et les traitements psychiatriques depuis plus de quatre décennies. Au cours de cette période, les êtres humains ont-ils changé leurs aspirations et leurs points de référence ou sommes-nous toujours les mêmes "dans des vêtements différents" ?
- Les psychiatres et les psychologues sont devenus les nouveaux médecins de famille. Les principales maladies mentales, les dépressions, l'anxiété et les obsessions continuent. Mais il existe trois nouvelles formes pathologiques : les couples brisés, les addictions (des téléphones portables à la pornographie, en passant par les séries télévisées), et la conversion du sexe en un acte jetable.
On parle beaucoup du fait que les salles de consultation sont pleines et que les confessionnaux sont vides... N'y a-t-il pas une simplification excessive du travail des uns et des autres ?
- Lorsque le monde est vidé de Dieu, il est rempli d'idoles, dont beaucoup sont vides de contenu. Le monde est fatigué des séducteurs menteurs.
Notre société est-elle plus fragile psychologiquement qu'auparavant ?
- Nous vivons dans une société bombardée de nouvelles qui se dévorent les unes après les autres. Une société hyperinformée et interconnectée. Mais de plus en plus perdu.
En ce sens, lorsque les êtres humains sont ouverts à la transcendance, à Dieu, sont-ils vraiment plus heureux ?
- Le sens de la vie signifie avoir des réponses aux grandes questions de la vie : d'où nous venons, où nous allons, le sens de la mort. Le sens spirituel de la vie est essentiel et conduit à la découverte que chaque personne a de la valeur.
Est-il préférable d'aimer quand on aime Dieu, quand on aime pour Dieu ?
- Dieu est Amour. Dans les amours d'aujourd'hui, le sens spirituel fait défaut et de nombreuses relations sont faites de matériaux de récupération.
S'il y a deux termes qui sont surutilisés, c'est bien l'amour et la liberté. A ce niveau, existe-t-il une définition de l'amour ?
- Aimer, c'est dire à quelqu'un que je vais lui donner le meilleur de moi-même. La liberté consiste à découvrir nos possibilités et nos limites. Ma définition de l'amour est la suivante : c'est un mouvement de la volonté vers quelque chose ou quelqu'un que je découvre comme un bien, comme quelque chose de précieux.
Et qu'entendons-nous par liberté, et n'est-il pas vrai que la nature de l'une et de l'autre nous dépasse souvent ?
- La liberté absolue n'existe qu'en Dieu ; en lui, l'essence et l'existence coïncident. Nous devrions aspirer à ne pas être prisonniers de quoi que ce soit... Aujourd'hui, nous avons remplacé le sens de la vie par des sensations. Beaucoup de personnes recherchent des expériences de plaisir rapides et immédiates, l'une après l'autre, et à la longue, cela produit un grand vide.
Notre société du premier monde est passée des Lumières et de l'exaltation de la raison à celle du sentiment, voire de la biologie : chacun "est ce qu'il ressent". Cette situation est-elle psychologiquement viable ?
- Les Lumières ont été un mouvement très important dans l'histoire de la pensée qui s'est terminé par la Révolution française avec ces trois grands slogans : liberté, égalité et fraternité.
Le romantisme du XIXe siècle a été une réaction contre l'intronisation de la raison, mettant en avant le monde affectif.
Aujourd'hui, la réponse est la suivante Intelligence émotionnelleLa première épidémie psychologique du monde occidental est le divorce : mélanger avec art et habileté les instruments de la raison et les outils de l'affectivité. N'oublions pas que l'épidémie psychologique numéro un dans le monde occidental est le divorce.
Comment trouver un équilibre entre la nature et le sentiment quand on ne comprend ni l'un ni l'autre ?
- Les sentiments servent d'intermédiaires entre les instincts et la raison. La vie affective doit être pilotée par la vie intellectuelle, mais en cherchant une équation entre les deux ingrédients.
Nous parlons des amis comme d'une famille de choix. Mais notre propre famille est-elle alors un fardeau ?
- La famille est le premier espace psychologique où l'on est apprécié pour le simple fait d'être là. Les parents sont les premiers éducateurs et la clé est double : cohérence de vie et enthousiasme pour des valeurs qui ne se démodent pas.
Quel est le rôle de la famille dans la société, est-elle remplaçable ?
- Un bon père vaut mille professeurs. Et une bonne mère est comme une université domestique. Éduquer, c'est donner des racines et des ailes, de l'amour et de la rigueur.
Nous n'en sommes pas encore à une pandémie qui a secoué le monde entier. Est-ce que l'on sort de cette situation, comme d'une guerre ou d'un conflit, meilleur ou pire ?
- On sort mieux de la pandémie si on en a vraiment tiré des leçons. Toute philosophie naît sur les rives de la mort. Tout le bonheur consiste à faire quelque chose de valable de sa vie.
Face à ces "traumatismes collectifs", les personnes et les sociétés changent-elles ou s'adaptent-elles, voire multiplient-elles les échappatoires ?
- Nous devons apprendre à faire une lecture positive de tout ce qui est bon dans cette société : des extraordinaires avancées technologiques à une médecine de plus en plus polyvalente et innovante, en passant par la vitesse des communications, etc. Mais nous devons être conscients qu'il existe une vérité sur l'être humain, et que cette vérité est actuellement assez floue.