Le pape François a déclaré ce mois-ci dans une interview accordée au quotidien argentin La Nation que "l'idéologie du genre est l'une des colonisations idéologiques les plus dangereuses". Il y a quelques années, le Pape a fait une appelIl a ensuite rappelé qu'il fallait refuser "les nouvelles colonisations idéologiques qui cherchent à détruire la famille".
La lecture de la réflexion intitulé "Materniphobie : ni mères, ni pères, ni enfants", où il est écrit qu'"il est indéniable que, dans notre société, nous trouvons un courant qui tente d'effacer tout signe positif de la maternité ou de la paternité", peut introduire adéquatement cet entretien.
L'antécédent immédiat était une conférence sur "La famille et les nouvelles lois de l'ingénierie sociale", qui sont mises en œuvre dans diverses parties du monde, et pas seulement en Espagne, organisée par Jara Siglo XXI.
L'orateur était le professeur Julio Banacloche PalaoProfesseur de droit procédural à l'université Complutense de Madrid, auteur prolifique en matière juridique, qui parle à Omnes, par exemple, de la neutralité de l'État ou de la "contre-éducation" à la maison.
Un autre antécédent proche est le document "Le Dieu fidèle garde son alliance". (TD 7,9), de la Conférence épiscopale espagnoleprésenté en janvier de cette année. Il s'agit d'un instrument de travail pastoral sur la personne, la famille et la société, auquel l'interviewé se réfère dans la conversation.
Vous avez commencé votre discours en citant le sociologue Zygmunt Bauman. Pourquoi Bauman ?
-Parce que Bauma, malgré son adhésion au marxisme (qui est toujours un facteur de conditionnement théorique), était un grand sociologue qui a très bien caractérisé notre époque, en la définissant comme une société liquide, dans laquelle les grands piliers qui donnaient stabilité et solidité à la vie dans le monde occidental (la famille, le travail et la nation) se sont effondrés, générant une situation d'insécurité et d'incertitude.
C'est d'ailleurs ce manque de repères "solides" qui a permis l'émergence d'idées et de constructions sur l'homme, le monde et la vie, contraires à la science et au bon sens, et inconcevables il y a cinquante ans.
Je ne sais pas si parmi les idées de Bauman, ou comme conclusions, vous avez fait référence à l'insécurité et à la peur de l'avenir.
-Telles sont les idées de Bauman. Selon lui, cette perte de sécurité (le mariage n'est plus éternel, l'emploi n'est pas stable, la nation est diluée par les puissances mondiales) génère une insécurité dans le présent et une incertitude pour l'avenir qui engendrent la peur et rendent les gens particulièrement incapables de s'engager. La seule valeur sûre est la consommation ("tout désir de bonheur se termine dans un magasin", disait Bauman), mais elle aussi est éphémère et génère plus de frustration (il y aura toujours un meilleur iPhone que celui que je viens d'acheter).
Cela rend très difficile la construction d'une société fondée sur les valeurs classiques, forgées dans le christianisme (loyauté, engagement, solidarité), car la vertu dominante est la flexibilité, que Bauman définit lui-même comme la capacité à revenir sur les engagements pris sans aucun sentiment de culpabilité ou de regret ("il faut s'adapter, ce sont les temps nouveaux, c'est ce qu'il faut faire").
Vous avez mentionné un document de la Conférence épiscopale espagnole, en quoi la libre autodétermination de la volonté nous concerne-t-elle ? Que retenez-vous de ce texte ?
Ce qui est le plus intéressant dans ce document de janvier 2023, c'est que les évêques espagnols détectent que nous sommes face à un changement d'époque, où il n'est pas nécessaire d'analyser chaque changement juridique résultant de la soi-disant "ingénierie sociale" de manière isolée, mais comme un tout. On tente précisément de "dissoudre" ce qui reste des solides piliers dont parlait Bauman : au lieu de l'idée de communauté, on impose l'individualisme et le solipsisme, où l'on ne voit que soi, où l'on est ce que l'on veut être, et où l'on décide même des questions qui s'imposent à soi. Comme l'a dit Benoît XVI, c'est la dernière étape de la rébellion de la créature contre son Créateur.
Le principe de libre autodétermination de la volonté, qui trouve ses racines chez Hegel, est projeté dans le fait que je décide de permettre ou non la vie d'autrui (avortement), de continuer à vivre ou de mettre fin à ma vie de manière "officielle" (euthanasie), ou encore d'être un homme ou une femme selon ce que je ressens aujourd'hui (trans-loi).
Dans ces décisions, que l'État doit reconnaître, promouvoir et exécuter, les autres ne comptent pas : ni le père (et encore moins l'enfant avorté) dans l'euphémisme "interruption volontaire de grossesse" (lorsque rien n'est interrompu, mais que la grossesse est interrompue), ni les proches dans l'euthanasie, ni le reste des personnes et des groupes concernés par un changement de sexe dans la loi sur les transsexuels.
Outre l'avortement et l'euthanasie, vous avez fait référence à la loi dite "transgenre"...
Oui, c'est l'avant-dernier produit de l'usine d'ingénierie sociale qui a gagné l'accès au gouvernement et au parlement. Une fois de plus, il s'agit de profiter d'une réalité qui mérite un traitement respectueux, équilibré et adapté à ses circonstances (comme celle des personnes intersexuées ou transsexuelles), pour imposer une réglementation disproportionnée, idéologisée, contraire à la science, à la logique et à la sécurité juridique et sociale la plus élémentaire.
Personne ne comprend qu'une personne peut changer de sexe simplement en le déclarant à l'état civil, et qu'elle peut dès lors bénéficier des avantages attribués à son nouveau sexe.
D'autre part, les principales victimes de ces réformes sont les femmes, qui voient se diluer dans ces lois tous les acquis sociaux et professionnels obtenus au cours des dernières décennies. Mais cette loi n'est pas la dernière dans le délire législatif que nous vivons ("diarrhée", comme l'a qualifiée la secrétaire à l'égalité, jamais mieux dite en raison de la décomposition et du manque de cohérence que ce terme implique) : la loi sur le bien-être animal, qui accorde des droits aux animaux en tant qu'"êtres sensibles", ou le projet de loi sur les familles, qui considère dix-huit réalités différentes en tant que telles, en sont d'autres exemples.
La question qui se pose aujourd'hui est de savoir pourquoi l'État doit faire autant de prosélytisme.
-L'État doit être idéologiquement neutre, et c'est ce qu'exige notre Cour constitutionnelle. C'est ce que signifie vivre dans une société plurielle et diversifiée : que toutes les approches des questions morales soient acceptées, tant qu'elles ne dépassent pas les règles de base de la coexistence, qui sont incarnées dans les principes et les valeurs constitutionnels.
C'est pourquoi l'État ne doit pas assumer ou faire sienne la perspective chrétienne ou marxiste du monde ou de l'homme, mais il ne doit pas non plus assumer ou faire sienne la perspective du genre, qui n'est rien d'autre qu'une approche idéologique fondée sur l'existence d'un hétéropatriarcat et d'une invisibilisation séculaire des femmes, et qui promeut un nihilisme destructeur.
Ce que nous constatons, c'est que l'État, par sa législation, devient un activiste de certaines idées et un proscripteur d'autres, excluant non seulement du débat mais aussi de la légalité ceux qui ont des opinions contraires. Et la mise en œuvre d'une pensée unique et la sanction administrative ou pénale de ceux qui s'y opposent nous rapprochent dangereusement du totalitarisme.
Qu'est-ce que la "contre-éducation" à la maison ?
-C'est un appel à la responsabilité des parents et des familles, en particulier des familles catholiques, mais en général de toutes les familles qui veulent que leurs enfants aient des valeurs morales. Rien n'est plus acquis et les vents idéologiques ne sont pas favorables à ceux qui défendent une vision chrétienne - ou simplement morale - de la vie.
Pour cette raison, il n'est plus possible de laisser l'éducation aux écoles, pas même à celles qui ont une idéologie catholique ou qui sont dirigées - souvent seulement nominalement - par des religieux, mais, en matière religieuse ou morale, il est nécessaire de demander à la maison ce qui a été expliqué à l'école, ou ce qui a été vu sur Internet, et d'expliquer et de corriger ce qui n'est pas en accord avec les convictions que les parents veulent transmettre à leurs enfants.
Dans le même ordre d'idées, comment les parents peuvent-ils avoir plus d'influence sur l'éducation ou sur les écoles ?
-La situation actuelle est une excellente occasion de renforcer l'engagement social à tous les niveaux. Le fait que ces lois folles et anti-humaines aient réussi à passer est largement dû au "silence des bons", à la passivité des gens ordinaires qui ont préféré vaquer à leurs occupations (ce qui est suffisant) et ne pas s'impliquer dans la sphère politique ou de la société civile.
C'est pourquoi je crois que le moment est venu pour nous tous d'assumer courageusement des engagements personnels et sociaux pour défendre le bien commun : les parents consacrant du temps et des efforts à l'éducation de leurs enfants (parfois en sacrifiant du temps pour les loisirs ou l'épanouissement personnel), les enseignants se consacrant à leurs élèves et, en général, nous tous faisant partie d'entités et d'associations susceptibles d'influencer la société.