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Le pape François et la Chine : stratégie diplomatique

Les mots du Pape François adressés à la Chine lors du Regina Coeli du 22 mai ont pour toile de fond le renouvellement de l'accord sur la nomination des évêques et l'arrestation du cardinal Joseph Zen, évêque émérite de Hong Kong, qui a été emprisonné le 11 mai et n'a été libéré sous caution que par la suite.

Maria José Atienza-9 septembre 2022-Temps de lecture : 5 minutes
pape francis

Texte original de l'article en espagnol ici

Après avoir prié le Regina Coeli le 22 mai, le pape François a prié pour les catholiques de Chine, les recommandant à Marie Auxiliatrice, qui est vénérée le 24 mai et, en particulier, au sanctuaire de Sheshan. Ce n'est pas la première fois que le pape évoque cet anniversaire. Et il ne pouvait guère en être autrement : Benoît XVI a fait du 24 mai une journée de prière pour la Chine dans sa lettre de 2007 aux catholiques de Chine, et il s'agit d'un anniversaire fixe depuis 15 ans.

Toutefois, les paroles du pape François s'inscrivent dans un contexte plus dramatique. Depuis 2008, première année de la prière, les missionnaires ne cessent de dénoncer les obstacles posés par Pékin aux pèlerinages à la basilique de Sheshan. Et avec la pandémie, le sanctuaire a été fermé pendant deux ans, de sorte qu'en 2021, il n'a pas pu figurer parmi les sanctuaires inclus dans le marathon de prière contre la pandémie proclamé par le pape François en mai - et tandis que le sanctuaire reste fermé, le parc d'attractions voisin vient de rouvrir.

Les propos du pape François s'inscrivaient toutefois dans un contexte plus large : les négociations en vue du renouvellement de l'accord entre le Saint-Siège et la Chine sur la nomination des évêques, qui expire en octobre 2022 ; et l'arrestation totalement surprenante du cardinal Joseph Zen, évêque émérite de Hong Kong, qui a été emprisonné le 11 mai et n'a été libéré sous caution que par la suite.

Le Regina Coeli du 22 mai

La salutation du pape François à la fin du Regina Coeli du 22 mai était pleine de signes. Le Pape a tout d'abord renouvelé aux catholiques de Chine "l'assurance de ma proximité spirituelle : je suis avec attention et participation la vie et les vicissitudes des fidèles et des pasteurs, souvent complexes, et je prie pour eux chaque jour".

Ces mots contiennent une référence à l'affaire du Cardinal Zen, qui sera jugé le 19 septembre. Le Pape a ensuite invité les catholiques à s'unir dans la prière "afin que l'Église en Chine, dans la liberté et la tranquillité, puisse vivre en communion effective avec l'Église universelle et exercer sa mission d'annoncer l'Évangile à tous, offrant ainsi également une contribution positive au progrès spirituel et matériel de la société".

Cette deuxième partie de la salutation, en fait, appelle à une plus grande liberté pour l'Église et à une plus grande liberté religieuse. C'est le pouvoir de la diplomatie : dire les choses sans les dire et surtout sans déformer l'interlocuteur chinois.

L'équilibre diplomatique

Le fait est qu'au Vatican, on ne tient pas pour acquis que l'accord sera renouvelé. Le cardinal Pietro Parolin, secrétaire d'État du Vatican, a déclaré dans une interview qu'il espérait modifier une partie de l'accord. Et l'archevêque Paul Richard Gallagher, le "ministre des affaires étrangères" du Vatican, rencontrant les ambassadeurs de l'UE lors d'un déjeuner à huis clos, aurait déclaré que si la Chine souhaitait un accord plus stable, peut-être permanent, le Saint-Siège dirait non.

En revanche, un détail indique que le Saint-Siège a voulu donner un certain poids à l'accord : il a été signé le 22 septembre 2018, le premier jour du voyage du pape François dans les pays baltes.

Comme on le sait, le secrétaire d'État et le secrétaire d'État aux relations avec les États suivent le pape dans ses déplacements. En choisissant cette date, c'est Mgr Antoine Camilleri, sous-secrétaire aux relations avec les États, qui a signé l'accord au nom du Saint-Siège avec son homologue, Wang Chao, vice-ministre des affaires étrangères de la République populaire de Chine.

Si les dates comptent, il semble clair que ce jour a été choisi parce que cela signifiait que, inévitablement, la délégation était moins puissante, avec un accord signé par les numéros 3 et non par les numéros 1.

L'accord a ensuite été renouvelé en octobre 2020, et a jusqu'à présent donné deux résultats : tous les évêques de Chine sont considérés comme étant en communion avec Rome, et en quatre ans, seuls six évêques ont été nommés dans le cadre de l'accord.

Les termes de l'accord sont inconnus, bien qu'il y ait eu des spéculations selon lesquelles le Saint-Siège s'engage avec le gouvernement dans un processus d'examen des candidats à l'épiscopat jusqu'à ce que le Pape nomme un évêque qui soit également acceptable pour Pékin. Toutefois, l'accord préserverait la pleine autonomie du pape dans le choix des évêques.

Il est certain que la relation entre le Saint-Siège et la Chine est un équilibre instable, et l'arrestation inattendue du cardinal Zen en est la preuve. Après l'arrestation, le Saint-Siège a fait savoir qu'il suivait de près l'évolution de la situation. Mais il n'y a pas eu de protestation officielle - également parce que, la Chine étant l'un des rares pays au monde à ne pas avoir de relations diplomatiques officielles avec le Saint-Siège, il n'y avait pas de canaux appropriés pour une plainte officielle.

Le Cardinal, cependant, semblait un peu exigeant. Défenseur de la démocratie à Hong Kong, et toujours fermement opposé à l'accord, le cardinal Zen est allé jusqu'à tenter d'éviter le renouvellement en se rendant à Rome et en essayant d'être reçu par le pape. Mais il n'a pas eu beaucoup de succès : il n'a rencontré que brièvement le Cardinal Parolin, le Secrétaire d'Etat. C'était le signal définitif que le pape n'était pas prêt à écouter d'autres arguments sur l'accord. Le dernier d'une série de signaux.

Les signaux à la Chine

Plus tôt, en octobre 2019, le pape François avait envoyé un télégramme à Hong Kong alors qu'il survolait son territoire en se rendant au Japon. Sur le vol de retour, il avait minimisé l'importance du télégramme, disant qu'il s'agissait d'un télégramme de courtoisie envoyé à tous les États. Il s'agit de déclarations partiellement trompeuses, car Hong Kong n'est pas un État, mais il est apprécié par Pékin, au point que le ministre des affaires étrangères, Geng Shuang, avait souligné que, de la part du pape, "la Chine apprécie l'amitié et la gentillesse".

Et pas seulement ça. En se rendant au Japon, le pape François avait survolé la Chine et Taïwan. Dans le télégramme envoyé à Pékin, il a salué la Chine en tant que "nation", tandis que les salutations à Taipei étaient adressées au "peuple de Taïwan", même si la nonciature de Taipei est significativement appelée la nonciature de la Chine.

En juillet 2020, le pape François avait également décidé d'omettre de ses paroles à la fin de l'Angélus un appel en faveur de Hong Kong, à un moment sensible pour le renouvellement de l'accord.

Il s'agit là de signaux clairs adressés à la Chine, qui ont été appréciés.

Aujourd'hui, le pape François s'efforce de ne pas fâcher le "dragon rouge", mais les négociations en vue d'un nouvel accord semblent plus difficiles que jamais. La Chine souhaiterait que le Vatican soit davantage impliqué, et pourrait même mettre sur la table la possibilité d'un représentant non résident du Saint-Siège. Le monde catholique demande plus de prudence, dans une situation que le gouvernement ne facilite certainement pas.

L'arrestation du cardinal Zen s'est avérée être un simple prétexte, une façon de montrer ses muscles. L'accusation, en fin de compte, ne porte pas sur l'ingérence étrangère, mais sur le fait de ne pas avoir enregistré correctement un fonds humanitaire dont le cardinal et cinq autres membres du monde démocratique étaient les administrateurs.

Pas grand-chose, finalement, mais assez pour envoyer un message à l'Église : ici, tout est contrôlé.

Néanmoins, pour le Saint-Siège, il vaut la peine de poursuivre la conversation. "Nous savons que nous tendons la main et que le couteau peut faire couler le sang, mais nous devons parler à tout le monde", explique un monseigneur qui a participé aux négociations par le passé.

Au final, l'accord reste une possibilité à envisager. Comme le dit un vieux dicton diplomatique du Vatican, "On passe des accords avec des gens en qui on ne peut pas avoir confiance".

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