Articles

Le Liban : un pays au bord de l'abîme

Ces dernières années, secoué par la crise économique et les explosions de 2020, le Liban est confronté à un avenir difficile. Les dernières élections montrent un pays qui lutte pour le changement mais qui a perdu confiance, et dans lequel le rôle des communautés chrétiennes reste crucial pour son destin.

Gerardo Ferrara-8 septembre 2022-Temps de lecture : 6 minutes
liban beyrouth

Texte original de l'article en espagnol ici

Traduction : Charles Connolly

L'occupation syrienne du Liban n'a pris fin qu'en 2005, lorsque les Forces de défense syriennes (FDS) ont dû quitter le pays à la suite de manifestations, connues aujourd'hui sous le nom de "révolution du cèdre". Tout est parti d'un attentat brutal contre l'ancien Premier ministre, Rafiq Hariri, dont Damas, dont le régime était ouvertement hostile à Hariri, a été accusé. Deux coalitions politiques ont émergé de ces protestations.

Le premier, le Alliance du 14 marsa impliqué l'accord de forces politiques mixtes et interconfessionnelles, y compris l'Union européenne. Phalange libanaiseun parti maronite historique désormais présidé par un membre de la famille historique Gemayel, Sami. Il est le petit-fils du célèbre Bachir, le fils d'Amine et le frère de Pierre Amine, les deux premiers présidents de la république, les précédents dirigeants de l'Union européenne. Alliance du 14 marsqui ont tous deux été tués dans diverses attaques. Font également partie de cette coalition les Forces libanaisesun autre parti maronite (présidé par son fondateur et ancien milicien Samir Geagea) et L'avenirun parti sunnite, dissous par son fondateur Saad Hariri, fils de Rafiq, lorsqu'il a démissionné en 2021 de la présidence du gouvernement et s'est retiré de la scène politique. Cette alliance se caractérise par ses positions anti-syriennes et anti-iraniennes et par sa proximité avec l'Arabie Saoudite et l'Occident.

Le second, le Alliance du 8 marsa réuni les Mouvement patriotique libreLe parti de l'actuel et contesté président maronite de la République, Michel Aoun ; Amal (le mouvement politique chiite lié au Hezbollah) et d'autres, connus pour leur hostilité à l'égard d'Israël et leurs positions ouvertement pro-syriennes - ou, mieux, pro-iraniennes.

Depuis lors, malgré une instabilité endémique dans la région et dans le pays lui-même (un exemple étant la deuxième guerre du Liban en 2006, avec l'invasion d'Israël suite à des tirs de missiles du Hezbollah sur son territoire depuis le sud du pays), il semblait que le Liban, avec sa reconstruction d'après-guerre, se remettait lentement.

La crise économique et les explosions de 2020

Cependant, une nouvelle crise économique dévastatrice (décrite par la Banque mondiale comme " l'une des trois pires crises que le monde ait connues depuis le milieu du XIXe siècle ") a entraîné de nombreuses manifestations en 2019 et une alternance de gouvernements et de présidents pro ou anti-Hezbollah. Ensuite, il y a eu l'urgence sanitaire de Covid-19 et, enfin, la fameuse et formidable explosion qui, le 4 août 2020, a détruit le port de Beyrouth et dévasté les quartiers environnants (majoritairement chrétiens), tuant plus de 200 personnes et laissant 300 000 sans-abri.

Tout cela a amené le pays au bord de l'abîme.

On estime que plus de 160 000 personnes ont émigré du Liban (s'ajoutant à la déjà importante diaspora libanaise à l'étranger, entre 4 et 8 millions de personnes, principalement des chrétiens, bien que certaines estimations portent ce chiffre à près de 14 millions, soit deux fois le nombre de Libanais vivant dans le pays), sans compter que le pays accueille des centaines de milliers de réfugiés syriens et palestiniens qui, avec le nombre déjà énorme de citoyens libanais vivant sous le seuil de pauvreté, transforment le Pays du Cèdre en une véritable poudrière.

Crises politiques et élections

Entre 2018 et 2021, ces questions ont conduit à la chute et à l'ascension de plusieurs gouvernements : Saad Hariri, Hassan Diab, Hariri à nouveau et, enfin, Najib Mikati ; et à l'émergence d'un mouvement déterminé à changer le balancier parlementaire, à lutter contre la corruption endémique (également liée au confessionnalisme et au tribalisme) et à apporter des solutions concrètes à la crise économique.

Cependant, ce mouvement n'a pas réussi à se rassembler sous une seule aile politique et à s'imposer au niveau national, bien que les récentes élections législatives du 15 mai 2022 aient montré l'ombre d'un possible changement, pour la première fois dans l'histoire du pays.

La campagne électorale et le débat politique ont en effet mis en avant quatre questions fondamentales autour desquelles s'est articulé le vote : l'ingérence du Hezbollah et de l'Iran ; la "neutralité positive" du pays, telle que proposée et comprise par le patriarche maronite Bechara Boutros Raï ; la crise bancaire et financière ; la réforme judiciaire et la lutte contre la corruption afin de faire la lumière sur les causes de l'incendie du port de Beyrouth du 4 août 2020 (le Hezbollah s'est toujours opposé à une enquête formelle et indépendante sur ces événements tragiques).

L'image qui se dessine à la lumière des résultats finaux est cependant celle d'un pays qui lutte pour changer et qui a perdu confiance en lui. L'abstentionnisme a dominé partout, même dans les fiefs du Hezbollah, envoyant un message clair de méfiance envers la classe dirigeante.

Quoi qu'il en soit, le président sortant, Michel Aoun, a vu ses propres députés élus au Parlement réduits de moitié (son parti est majoritairement maronite, mais allié à Amal et au Hezbollah), dépassés par les Forces libanaises de Geagea, son grand rival, qui est devenu le premier parti chrétien du Liban. Une autre défaite partielle pour Amal, et pour le Hezbollah lui-même, a été l'élection d'un Druze et d'un Chrétien (d'une faction différente) dans le sud du Liban, qui est historiquement un bastion chiite.

Le rôle des chrétiens

Le cœur spirituel et culturel du Liban, comme je l'ai dit, est certainement chrétien, surtout si l'on pense au principal centre spirituel du pays, qui est la vallée de la Qadisha (la "Vallée Sainte"), dans le nord du pays, véritable pivot du christianisme syriaque et de l'Église maronite (rite syro-antiochène).

L'Église maronite, en communion avec Rome, tire son nom de son fondateur, saint Maron, et a son siège historique dans la verte vallée de la Qadisha, qui regorge d'anciens monastères enchâssés comme des perles dans la roche et qui, au fil du temps, sont devenus un peu comme les monastères bénédictins en Europe : des centres de diffusion du savoir (la première presse à imprimer au Liban a été installée dans l'un d'entre eux), de l'art, de la culture, de divers métiers (y compris l'agriculture, en particulier la culture en terrasses), de la sagesse spirituelle, ainsi que de la proximité avec les gens.

La preuve en est la grande dévotion que tous les Libanais, chrétiens et musulmans, éprouvent pour les saints locaux (par exemple, le célèbre Saint Sharbel Makhlouf, Saint Naamtallah Hardini, Saint Rafqah), dont les sanctuaires sont les lieux d'incessants pèlerinages interconfessionnels et interreligieux.

Les récentes élections ont également confirmé que le rôle des communautés chrétiennes reste crucial pour le destin du pays. En effet, grâce aussi à la contribution des chrétiens et du président Michel Aoun, la majorité issue des élections de 2018 a poussé le pays dans l'orbite chiite, sous l'égide de l'Iran. Maintenant, avec la préférence des partis chrétiens pour la Alliance du 14 marsLe Liban pourrait se rapprocher de l'Arabie saoudite, d'Israël et, par extension, du bloc occidental. Tout cela dépend toutefois de la possibilité ou non de former un gouvernement, étant donné l'impossibilité d'obtenir une majorité parlementaire globale. Cela laisse présager une nouvelle paralysie politique et la stagnation, voire l'aggravation, de la crise actuelle.

Entre autres, l'exceptionnalité libanaise dans le monde arabo-musulman n'est pas seulement celle d'avoir institutionnalisé la présence chrétienne au niveau politique, mais aussi celle de voir, parmi les chrétiens eux-mêmes, la prédominance des catholiques, en particulier des maronites. (Les autres Églises catholiques sui iuris Les principales religions présentes dans le pays sont l'Église melkite ou grecque-catholique, qui représente au moins 12% de la population, l'Église arménienne-catholique et l'Église syrienne-catholique ; les catholiques de rite latin sont également présents, bien sûr, mais en plus petit nombre).

L'auteur a pu constater combien cet œcuménisme populaire est fascinant : il n'est pas rare d'assister à un déjeuner dans une grande famille où mères, pères, frères, sœurs, beaux-frères, cousins, représentent toutes les Églises présentes au Liban, qu'elles soient catholiques, orthodoxes ou protestantes.

Ainsi, au fil des ans, le patriarche maronite est devenu une figure de premier plan, non seulement en tant que représentant idéal de toutes les communautés chrétiennes, mais aussi de la société civile dans son ensemble. Son Église, en effet, en plus d'être l'expression d'une partie importante de la population libanaise, est aussi la plus active dans l'aide apportée non seulement aux chrétiens, mais à toute personne dans le besoin.

Récemment, à l'occasion de la fête de Saint Maron en 2022, le Patriarche a rappelé aux autorités civiles du pays que " les Libanais maronites ont fait de la liberté leur spiritualité ", ainsi qu'un " projet social et politique ", et que ce progrès se traduit non seulement par la foi et le progrès, mais aussi par la promotion de valeurs telles que l'amour, la dignité et la force, par opposition à " la rancœur, l'envie, la haine, la vengeance et l'esprit de capitulation ".

Le cardinal Raï a vigoureusement défendu la pluralité culturelle et religieuse du Liban, la démocratie et la séparation de la religion et de l'État, en promouvant un concept qui lui est particulièrement cher, celui de la "neutralité positive" du pays, qui préserve son âme et son identité en tant que terre de rencontre entre les civilisations, mais dénaturée, en fait, par ceux qui en ont fait "un théâtre des conflits de la région et une rampe de lancement pour les missiles" (la référence au Hezbollah est évidente). Selon le raï, qui est devenu la véritable figure de proue du pays, "pour sauver l'unité du Liban et démontrer sa neutralité", il est impératif de respecter le triangle historique qui réunit "le but du pacte de coexistence, le but du rôle des chrétiens et le but de la loyauté envers le Liban lui-même.

L'auteurGerardo Ferrara

Écrivain, historien et expert en histoire, politique et culture du Moyen-Orient.

Lire la suite
Bulletin d'information La Brújula Laissez-nous votre adresse e-mail et recevez chaque semaine les dernières nouvelles traitées d'un point de vue catholique.
Bannières publicitaires
Bannières publicitaires