Monde

Madeleine Enzlberger : "Le but ultime de la censure imposée par l'État est l'autocensure".

Le directeur exécutif de l Observatoire de l'intolérance et de la discrimination envers les chrétiens en Europe (OIDAC Europe) estime que "la liberté de religion et d'autres libertés fondamentales intrinsèquement liées, comme la liberté d'expression, devraient être mieux surveillées et protégées, notamment dans les universités".

Maria José Atienza-16 novembre 2022-Temps de lecture : 7 minutes
RAPPORT DE L'OIDAC

"Moins un chrétien a de connaissances ou d'éducation sur sa propre foi, plus il est susceptible de s'autocensurer", dit-il. Madeleine Enzlbergerdirecteur exécutif de la Observatoire de l'intolérance et de la discrimination envers les chrétiens en Europe (OIDAC Europe).

Cette plateforme vient de publier sa dernière informe sobre los ataques a la libertad religiosa en Europe, dans lequel sont répertoriés plus de 500 cas de crimes haineux contre la foi chrétienne dans divers pays et régions d'Europe.

Le rapport, lancé dans le cadre de la Journée internationale de la tolérance le 16 novembre, montre comment le taux actuel de crimes haineux et l'intolérance séculaire croissante ont un effet paralysant (effet de refroidissement) sur la liberté de religion des chrétiens.

Dans de nombreuses sociétés occidentales, nous sommes confrontés à la réalité d'un manque de formation à la foi chez les chrétiens eux-mêmes, ce qui leur rend difficile de défendre des questions essentielles telles que la dignité de la vie ou le rôle de l'Église dans la société... Le défi essentiel est-il dans l'éducation ? Comment s'attaquer à une tâche aussi vaste ?

L'une des principales conclusions de notre récente étude sur le phénomène de l'autocensure chez les chrétiens en Allemagne et en France a révélé que le niveau d'éducation des chrétiens présente une corrélation significative avec leur tendance à l'autocensure.

Cela signifie que moins les connaissances ou la formation qu'un chrétien a sur sa propre foiPlus elle est susceptible de s'autocensurer.

Ils le feront parce qu'ils ne se sentent pas assez sûrs d'eux pour exprimer publiquement leur opinion, qui est souvent considérée comme critique par le public, ce qui est simplement un problème de faible estime de soi dû à un manque de connaissances. Nous avons également constaté que c'est un problème qui touche davantage les catholiques que les protestants.

En définitive, il ne s'agit pas d'un problème qui ne peut être résolu qu'en générant davantage de connaissances théologiques, mais d'une croyance personnelle et relationnelle qui se manifeste dans la vie quotidienne et l'identité d'un croyant.

Pour qu'une personne puisse développer ce niveau de foi, elle a besoin de suffisamment d'espace et de liberté dans la sphère privée et publique.

Si, par exemple, un jeune est confronté à une discrimination ou à une intolérance persistante, ou s'il voit ses pairs subir des sanctions sociales ou juridiques pour avoir exprimé des opinions conformes à ses convictions, il est probable que, dans certains cas, il conclura que les coûts sociaux de ses convictions sont trop élevés.

En conséquence, l'individu peut même abandonner complètement sa foi. Il s'agit d'une évolution qui ne peut être souhaitable dans toute société pluraliste et véritablement tolérante.

Pour remédier à ce problème, il est important de contrecarrer les deux principaux problèmes de ce développement érodé.

Tout d'abord, la liberté de religion et les autres libertés fondamentales intrinsèquement liées, comme la liberté d'expression, doivent être mieux contrôlées et protégées, notamment dans les universités.

La soi-disant effet de refroidissement (Cela a un effet paralysant) qui se traduit même par une culture de l'annulation, non seulement au bénéfice des chrétiens mais de la société dans son ensemble.

Deuxièmement, les croyants ont besoin d'espaces sûrs pour pouvoir grandir dans leur foi et, dans une certaine mesure, également une formation apologétique.

Les chrétiens sont appelés à dire la vérité lorsqu'on leur demande de le faire ou lorsqu'ils sont témoins d'une injustice, et cela demande de plus en plus de courage.

Madeleine Enzlberger. Directeur exécutif OIDAC Europe

De nombreux chrétiens considèrent que défendre une position forte est contraire au respect des différents modes de vie ou croyances qui nous entourent. Comment éviter le piège de l'autocensure déguisée en tolérance ou en prudence ?

-C'est une question plus spirituelle que pratique, je dirais. Il n'y a pas de concept unique qui puisse s'appliquer à tout le monde. Vous devez également tenir compte du fait que les différentes confessions ont des positions différentes sur certaines questions et sur la manière de les traiter.

Une approche qui pourrait être considérée comme une stratégie générale consiste à discerner la motivation et la posture de son propre cœur lorsque nous parlons.

Un cœur endurci, l'impression de se battre contre des personnes ou la peur sont généralement de mauvais conseils. N'oubliez jamais que nous ne nous battons pas contre quelqu'un, mais pour quelqu'un.

Le site Les chrétiens sont appelés à dire la vérité quand on le leur demande, ou quand ils voient une injustice commise, et cela demande de plus en plus de courage.

Discerner son propre cœur est un bon navigateur et tenir les parties prenantes responsables des principes démocratiques.

Les chrétiens d'Europe ne sont pas seulement des croyants, mais aussi des citoyens de pays démocratiques, qui placent la tolérance sur leur bannière.

L'autocensure ou la censure imposée sont-elles plus dangereuses ?

-Il convient de répondre à cette question de manière différenciée, car les deux formes de censure peuvent être très dommageables.

Madeleine Enzlberger. Directeur exécutif OIDAC Europe

En définitive, la censure imposée par l'État est plus dangereuse car elle est plus répandue. Par rapport à l'autocensure, elle est plus visible, et la censure de l'État est généralement liée à une sanction juridique. Par conséquent, l'effet paralysant est très important, et les gens ne seront pas seulement censurés mais s'autocensureront, ce qui est le but ultime de la censure imposée par l'État.

Elle crée également un manque de confiance entre les individus, car on ne sait jamais à qui on peut faire confiance ou non, à qui on peut parler ou non. La censure imposée par l'État est donc l'une des caractéristiques les plus essentielles d'un régime totalitaire par rapport à une démocratie libérale.

Le danger de l'autocensure est qu'elle n'est souvent pas visible au premier coup d'œil. Elle peut également se produire dans les démocraties, car elle constitue une forme particulière de "régulation" d'un conflit social existant. À notre époque, le conflit porte avant tout sur les fondements de notre morale, qui sert à son tour de base à la réglementation de notre coexistence en société.

L'autocensure étant un phénomène social plus subtil, elle érode lentement la liberté d'expression et les discours publics et privés divers et vitaux. Sans la liberté d'expression, la liberté de religion ne peut être pleinement garantie.

Sans le libre échange d'idées dans le discours public, les démocraties ne peuvent évoluer et cessent d'être véritablement représentatives.

Nous sommes à une époque où, dans la sphère publique, on évite tout signe religieux ou on critique une personne, un dirigeant, etc. qui participe à un service religieux. Est-ce vraiment un manque de pluralité ou de respect pour les autres croyants ou athées que de montrer une dimension non seulement religieuse mais aussi spirituelle de l'être humain ?

L'hypothèse selon laquelle les personnes non religieuses fondent leur moralité ou leur pensée sur une vérité "neutre" sans valeur est tout simplement fausse.

Tous les gens ont des croyances qui reposent sur une vérité fondamentale, même si cette vérité n'implique pas Dieu. C'est l'une des plus grandes erreurs du monde actuel. Cela signifie que tous les individus tirent leurs décisions ou leur comportement d'une certaine forme de vérité, il n'y a pas d'exception.

Laisser la religion en dehors de l'équation lorsqu'on essaie de comprendre la réalité sociale conduira toujours à un résultat biaisé.

Madeleine Enzlberger. Directeur exécutif OIDAC Europe

La deuxième idée fausse est que la laïcité signifie que la foi n'a pas sa place dans l'espace public. Ce n'est pas vrai non plus. La laïcité, qui sépare l'Église et l'État et garantit une relation saine entre les deux, est généralement neutre vis-à-vis de la religion.

Le site La laïcité signifie que l'État n'a pas de position positive ou négative envers l'Église.. En revanche, le laïcisme, qui est une laïcité imprégnée d'idéologie, a un parti pris spécifiquement anti-religieux et souvent anti-chrétien. Nous parlons donc de la dynamique de l'intolérance séculaire comme étant le principal moteur des cas d'intolérance et de discrimination que nous observons à l'encontre des chrétiens en Europe.

Une troisième idée fausse est qu'une croyance personnelle est quelque chose qui pourrait être comparé à un style de vie ou à un hobby choisi, ce qui n'est pas le cas ; en fait, c'est l'un des marqueurs d'identité prépondérants des personnes. Laisser la religion en dehors de l'équation Lorsque nous essayons de comprendre la réalité sociale, nous obtenons toujours un résultat biaisé.

À la lumière de ces trois idées fausses, il est juste de dire que le véritable respect et la diversité ne peuvent exister que si les non-croyants et les croyants se considèrent comme égaux, car il n'y a pas de différence entre eux, les deux groupes suivant leur propre compréhension de la vérité. Une vérité fondée sur la foi n'a absolument pas moins de valeur qu'une vérité qui ne découle pas de la foi. C'est le point le plus essentiel.

Le rapport annuel de l'OIDAC

L'étude réalisée par l'OIDAC (Observatoire de l'intolérance et de la discrimination envers les chrétiens en Europe) est principalement basé sur l'analyse du traitement actuel de la liberté de religion et de conscience.

À cette fin, l'étude se concentre sur trois éléments clés : la liberté d'expression, l'autorité parentale, la liberté de réunion et la liberté contractuelle. L'OIDAC a collecté les données principalement à partir des archives de l'Observatoire, d'entretiens, de questionnaires, de rapports gouvernementaux, de statistiques officielles et des médias.

Deux experts de la liberté religieuse, Janet Epp Buckingham et Todd Huizinga, ont également contribué à l'étude.

En 2021, l'OIDAC a enregistré des crimes de haine contre les chrétiens dans 19 pays européens, dont 14 impliquaient une forme d'agression physique et 4 cas étaient des meurtres.

D'autre part, au cours de la même année, plusieurs organisations chrétiennes ont été bannies des plateformes de médias sociaux en raison de leurs opinions dissidentes, tandis que des commentaires et des discours violents à l'encontre des chrétiens étaient autorisés dans ces mêmes médias.

Le rapport fait également état d'une autocensure accrue des chrétiens en 2021 dans cinq domaines : l'éducation, le lieu de travail, la sphère publique, les relations privées et les médias.

Les résultats de l'étude indiquent que la France et l'Allemagne sont les pays où la concentration de crimes haineux est la plus élevée, suivis par l'Italie, la Pologne, le Royaume-Uni et l'Espagne.

La plupart des délits consistent en des actes de vandalisme (graffitis, dommages matériels et profanations), suivis par le vol d'offrandes, d'objets religieux, d'hosties consacrées et de biens d'église.

Pendant les périodes de fêtes religieuses, comme Noël, on observe une concentration de crimes haineux contre les chrétiens, principalement perpétrés par des satanistes, des islamistes et des groupes politiques d'extrême gauche.

En conclusion, le rapport de l'OIDAC examine les difficultés rencontrées par les chrétiens pratiquants en Europe, en raison de l'hostilité sociale, des crimes de haine, des traitements discriminatoires et des stéréotypes.

De tels actes portent atteinte aux libertés fondamentales dont la protection, selon l'Observatoire, "est vitale pour maintenir une société démocratique, et pour promouvoir la tolérance, la paix et le respect de ses membres".

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